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Bertille s’était montrée très inquiète de la disparition d’un étui à secret, lequel contenait la clé qui donnait leur véritable signification aux indications sur le trésor. On se rappellera qu’elle avait reconnu la bague de fer de Fausta au doigt de Perrette. C’est ce qui lui avait fait supposer que l’étui avait été égaré.

Pardaillan, qui avait son idée, s’était empressé de la rassurer en lui disant qu’il saurait veiller sur le trésor de son fils. La bague ayant été donnée à Perrette par son frère Gringaille, il en avait conclu que celui-ci avait eu en main l’étui. Comment? Peu importait. Des mains de Gringaille, il ne doutait pas qu’il ne passât entre celles de son fils. Et les yeux clos, dans la nuit opaque, il se disait:

– Morbleu! je ne lui dirai rien tant que cette question du trésor ne sera pas tranchée. Pour cela, je dois le laisser agir librement… sans le perdre de vue toutefois. Je gage qu’il connaît à cette heure le contenu de l’étui. Demain, il saura comment pénétrer en toute tranquillité jusqu’aux millions. Je veux voir s’il aura la force de résister à la tentation.

Ayant ainsi décidé, bien certain que Bertille (à qui il avait donné ses instructions sans lui faire connaître la vérité) ne dirait rien à Jehan, Pardaillan finit par s’endormir à son tour.

LII

Le lendemain, qui était un jeudi, les cinq hommes furent debout à la pointe du jour. Pardaillan vida sa ceinture. Elle contenait une centaine de pistoles qu’il offrit à son fils. Et comme celui-ci esquissait un geste de refus, il dit doucement:

– Prenez sans scrupule. Je ne suis pas riche, c’est vrai mais je puis disposer de ceci sans me gêner. Au surplus, vous me rembourserez quand vous aurez fait fortune… ce qui ne saurait tarder. Vous ne pouvez laisser ces pauvres diables dans l’état où ils sont.

Gringaille, Escargasse et Carcagne louchaient piteusement, tour à tour sur le petit tas d’or et sur leurs guenilles. Ils connaissaient l’orgueil de leur chef et ils pensaient bien qu’il allait refuser, ce dont ils enrageaient d’avance. À leur grande surprise, Jehan accepta sans façon. Mais, comme il ouvrait la bouche pour remercier, le chevalier coupa court en disant avec une brusquerie affectée:

– En route!

Il se dirigea vers un angle de la grotte et expliqua complaisamment le mécanisme qui actionnait la porte secrète. Cette porte franchie, ils s’engagèrent dans un couloir assez étroit, mais fort long. Au bout de ce couloir se trouvait une deuxième porte invisible dont Pardaillan révéla le secret. De là, ils se trouvèrent dans une carrière abandonnée par laquelle ils allèrent sortir sur le versant ouest de la montagne. À mi-côté de la montagne se trouvait une éminence sur laquelle se dressaient cinq moulins. Plus loin, vers le nord, il y avait encore un moulin au pied duquel passait une bifurcation du chemin de la fontaine du But [6]. Ce fut non loin de ce moulin qu’ils aboutirent.

Jehan remit de l’argent à ses trois compagnons, qui rentrèrent dans Paris par la porte Saint-Honoré. Ils s’en furent droit chez un fripier où ils firent emplette de costumes presque neufs, en fort bon drap. Et radieux, quelques pistoles sonnant clair au fond des poches, ils s’en allèrent bras dessus, bras dessous, bayant aux corneilles, comme des écoliers en goguette.

Quant à Pardaillan et à Jehan, ils se dirigèrent vers la fontaine du But, qui se trouvait à une centaine de pas, et contournèrent la montagne; ils passèrent devant le hameau de Clignancourt et revinrent au-dessous de la chapelle, chez Perrette la Jolie.

En effet, Pardaillan avait proposé à son fils de passer cette journée près de sa fiancée. Peut-être se disait-il que tant qu’il resterait là il serait en sûreté. Quoi qu’il en soit, Jehan s’était empressé d’accepter, comme bien on pense. Les deux hommes ne pénétrèrent pas dans la maison avant d’avoir fait le tour de l’enclos. Ils ne découvrirent rien de suspect.

Cette journée passa, pour le jeune homme, avec une rapidité fantastique. À dire vrai, il en fut de même pour la jeune fille. Il leur semblait, à tous deux, qu’ils faisaient un rêve délicieux qui s’écroulerait avec le réveil.

Si heureux qu’il pût être, Jehan ne perdait cependant pas la tête. Pendant que Pardaillan s’entretenait avec Bertille, il avait pris Perrette à part et lui avait fait ses recommandations. En même temps, il lui avait remis tout ce qui lui restait des cent pistoles avancées par le chevalier, ne gardant qu’une centaine de livres pour lui.

Vers le soir, le père et le fils rentrèrent dans Paris par la porte Montmartre. Au départ comme à l’arrivée, ils ne remarquèrent rien d’anormal aux environs de la petite maison. D’ailleurs, Escargasse, Carcagne et Gringaille devaient tour à tour veiller de loin sur les deux jeunes filles.

Pardaillan emmena son fils souper avec lui à l’hôtellerie du Grand-Passe-Partout. Jehan accepta avec joie le souper, mais refusa l’hospitalité que le chevalier lui offrait en disant:

– Je vais rentrer à mon logis de la rue de l’Arbre-Sec. Puisqu’on me croit mort, je serai en sûreté aussi bien là qu’ailleurs.

Et il avait fait comme il avait décidé.

Le lendemain matin, il était debout de bonne heure et arpentait à grands pas sa mansarde, en réfléchissant d’un air préoccupé. Il résuma ses réflexions en disant à haute voix:

– De tout cela, il ressort qu’il est grand temps de me mettre à faire fortune, si je veux conquérir le bonheur que je tiens à portée de la main.

Ce mot de fortune amena une saute dans son esprit. Il prit le papier qu’il avait trouvé dans l’étui et le considéra longtemps d’un air rêveur. Brusquement, il se mit à battre le briquet, alluma la lampe et brûla les trois papiers en murmurant rageusement:

– Ainsi, je n’y penserai plus!

Vers dix heures et demie, il était dehors. Il ne savait pas où il allait. Il ne savait pas davantage ce qu’il ferait. Une seule idée était bien arrêtée dans son esprit: c’est qu’il lui fallait trouver un grand seigneur au service duquel il pût entrer avec des chances de s’y faire une situation honorable.

Quant à savoir à quel grand seigneur s’adresser, comment se présenter, de qui se recommander, quels titres faire valoir, il n’en avait pas la moindre idée. Il y avait bien le roi… Mais diantre, c’était porter les yeux un peu trop haut. Puis, si peu rancunier qu’il fût, le roi n’oublierait sans doute jamais qu’il l’avait menacé de la pointe de sa rapière. Le roi lui avait ordonné de se faire oublier. Ce n’était pas avec l’algarade du gibet qu’il obtiendrait ce résultat. Le roi connaîtrait certainement cette affaire. Certes, elle était de nature à lui faire ouvrir des portes devant lui. Mais ces portes seraient celles du Châtelet ou de la Conciergerie ou de la Bastille, de n’importe quelle prison enfin, mais jamais celles du palais du Louvre.

En y réfléchissant bien, il était plus prudent de ne pas songer au roi. Ah! s’il avait pu lui rendre quelque signalé service qui fît oublier ses peu recommandables antécédents!… Mais voilà, quel service?… il ne savait pas.

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[6] Pour le lecteur curieux de connaître le chemin parcouru, sous terre, par nos personnages, nous dirons que le gibet se dressait là où passe actuellement la rue de Ravignan. La fontaine du But ou du Buc, ainsi nommée parce que les Anglais, du temps où ils étaient maîtres du royaume, venaient s'y exercer à l'arc, était située sur le versant nord, à peu près où passe la rue Caulaincourt. (Note de M. Zévaco.)

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