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– Soit, fit Marie en faisant une révérence ironique. Je dirai à Mme l’abbesse de Montmartre que la reine de France n’est pas assez riche pour rendre à sa maison et à Dieu le service qu’elle est venue implorer. Je lui dirai de s’adresser à Mme de Verneuil, à qui le roi, qui est le maître, ne refusera pas ce qu’il refuse à la reine.

Et furieuse, ayant oublié déjà la grande satisfaction que le roi venait de lui accorder, elle se dirigea vers la porte.

Mais à ces mots, «l’abbesse de Montmartre», le roi avait échangé un rapide coup d’œil avec Sully. Et ils s’étaient entendus.

– Un instant, madame! s’écria Henri radouci. Je refuse les fonds que vous demandez s’ils doivent servir à vos insatiables Italiens. Mais s’il s’agit d’une œuvre pieuse et charitable, c’est une autre affaire. Je ne veux pas qu’il soit dit que des filles de Dieu ont fait en vain appel à la générosité de la reine. Expliquez-vous donc, je vous prie.

La reine comprit qu’elle allait avoir gain de cause. Peu lui importaient les restrictions quelque peu humiliantes du roi. L’essentiel, pour elle, était d’obtenir ce qu’elle voulait.

Elle retrouva donc incontinent son sourire et ne se doutant pas qu’Henri possédait un papier en tout pareil à celui que Léonora lui avait montré, elle se trahit sans le vouloir et le savoir.

– Sachez donc, Sire, que Mme de Montmartre vient d’apprendre que, sous la chapelle du Martyr, doit exister une cave où se dresse un autel de pierre, qui n’est autre que celui sur lequel saint Denis célébrait, dans les temps reculés, l’office divin. L’abbesse voudrait faire faire des fouilles, remettre au jour ce lieu vénéré, en faire pour les fidèles un lieu de pèlerinage, qui rendrait à son abbaye tout son prestige d’antan. Mais elle est pauvre et c’est pourquoi elle s’est adressée à la reine, sous la protection de laquelle elle est venue tout d’abord se placer. Les vingt mille livres que je demande sont destinées à ces travaux. C’est une œuvre pieuse, comme vous voyez, et qui ne manquera pas d’attirer sur la maison de France les bénédictions du Seigneur.

Henri consulta Sully du regard. Celui-ci s’approcha de lui et lui dit quelques paroles à voix basse. Marie de Médicis suivit l’aparté d’un œil inquiet. C’était Sully, en effet qui était le grand trésorier du roi. C’était lui qui remettait à la reine, comme aux maîtresses du souverain, les fonds qu’il leur allouait. C’était sur lui qu’il se déchargeait et grâce à lui qu’il pouvait paraître accorder des sommes que le ministre refusait impitoyablement.

Le Béarnais roublard avait trouvé ce stratagème pour mettre un frein à la rapacité des nombreuses maîtresses qu’il entretenait.

Marie de Médicis fut vite rassurée, car le roi, redevenu aimable, lui dit:

– À Dieu ne plaise, ma mie, que je vous empêche de participer à une œuvre aussi édifiante et qui ne peut, en effet, qu’attirer sur nous les bénédictions du ciel. M. de Sully vous remettra donc la somme que vous demandez. Seulement, j’y mets une petite condition.

– Laquelle, Sire?

– Cette œuvre me paraît si vénérable que je veux faire plus et mieux que donner mon obole. Je me réserve de faire surveiller et, au besoin, diriger les travaux qui vont être entrepris. Dites-le, je vous prie, de ma part, à Mme de Montmartre.

Marie de Médicis ne pouvait soupçonner qu’Henri IV avait une arrière-pensée. Elle le crut de bonne foi. Trop heureuse d’en être quitte à si bon compte, elle se hâta de dire:

– Le roi est le maître! Partout et toujours.

Elle sortit et courut porter la bonne nouvelle à Léonora et à Concini qui la poussaient.

Ni Concini ni sa femme ne se doutèrent qu’ils allaient se trouver aux prises avec le roi et Acquaviva et que ni l’un ni l’autre de ces redoutables compétiteurs ne les laisserait s’approprier le trésor convoité, le trésor qu’ils croyaient déjà tenir.

XXXVI

Ce même jour, à l’heure du dîner, Jehan le Brave avait emmené Carcagne, Escargasse et Gringaille au cabaret. Il voulait leur offrir un dîner qui, dans son esprit, était un dîner d’adieu.

Malgré les manières rudes qu’il affectait à leur égard, l’affection qu’il leur portait était réelle. Ce n’était pas sans un secret déchirement qu’il s’était résigné à se séparer d’eux.

Les trois ignoraient l’intention de leur chef. En conséquence, ils se livrèrent à la bombance et à la joie, sans contrainte et sans arrière-pensée. Jehan, pour ne pas les attrister, s’efforça de se montrer gai et insouciant.

Lorsque, le repas terminé, ils se trouvèrent dans la rue, les trois braves étaient fortement éméchés. Jehan, qui s’était montré plus sobre, avait tout son sang-froid. Avec une émotion qu’il ne parvint pas à maîtriser, il leur dit alors:

– Mes braves compagnons, nous ne pouvons plus vivre ensemble de notre vie d’autrefois. Il faut nous séparer. Tirez à droite, moi je vais à gauche… et que Dieu vous garde!

Et il voulut s’éloigner. Mais les trois, comme s’il n’avait rien dit, demandèrent:

– Les ordres, chef?

Ils n’avaient pas compris. Cependant leur gaieté était tombée. Ils pressentaient que quelque chose de grave et de douloureux allait se décider. Jehan ne voulut pas les quitter sur un malentendu. Il dit avec douceur:

– Je n’ai plus d’ordres à vous donner. Je ne suis plus votre chef. Comprenez-vous?… C’est fini entre nous. Il faut nous dire adieu et pour toujours.

Ils se regardèrent effarés. Ils étaient livides. Leur commencement d’ivresse était tombé d’un coup. Et brusquement, ils éclatèrent en accents douloureux:

– Alors, vous nous chassez?

– Qu’est-ce que nous avons fait?

– Que voulez-vous que nous fassions sans vous?

– – Je ne vous chasse pas, reprit Jehan avec la même douceur. Je n’ai rien à vous reprocher… Mais il faut nous séparer quand même.

Maintenant, ils comprenaient. Après la douleur, ce fut l’indignation et, pour la première fois, la révolte:

– Pourquoi nous séparer? Cornes de Dieu! rugit Gringaille. Quand on condamne les gens, on leur dit au moins pourquoi!

– C’est vrai! appuyèrent les deux autres, pourquoi?

– Parce qu’avec le nouveau genre d’existence que j’ai résolu d’adopter, si vous restiez avec moi, vous risqueriez fort de crever de faim.

Ils se regardèrent, ébahis. De nouveau, ils ne comprenaient plus. L’un après l’autre, ils demandèrent:

– Pourquoi crèverions-nous de faim?

– N’avons-nous pas toujours ceci?

Ils frappaient sur la poignée de la rapière.

– Et ne trouverons-nous pas toujours de ceux-là?

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