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– Mon ami, dit Pardaillan, on vous a amené avant-hier, mardi, ordre de Mme l’abbesse, deux jeunes filles.

– C’est exact, monseigneur.

Pardaillan prit un temps et, lentement, comme quelqu’un qui cherche ses mots:

– On vous a amené aussi un jeune homme… ligoté… blessé… mort… je ne sais au juste…

– Évanoui, monseigneur. C’est encore exact.

Encore un coup, Pardaillan respira fortement. Mais il foudroya du regard les trois compagnons qui se livraient à des manifestations de joie intempestives et qui, comprenant la signification de ce coup d’œil, prirent aussitôt une attitude raide, impassible.

– Eh bien, mon ami, reprit Pardaillan avec douceur, il faut me conduire auprès de ces jeunes gens.

– Impossible, monseigneur, déclara nettement le geôlier. Pardaillan se fit de glace. Il mit son papier sous le nez du gardien et sur un ton sans réplique:

– Vous savez lire, j’imagine?… Ordre de Mme l’abbesse.

– Mais, monseigneur, je ne refuse pas d’obéir aux ordres de notre sainte mère. À Dieu ne plaise! Seulement, les prisonniers ne sont plus ici!

– Malédiction!

– Enfer!

– Damnation!

– Malheur!

Les quatre imprécations fusèrent en même temps.

Le geôlier effaré crut qu’une catastrophe s’abattait sur la maison. Il bredouilla:

– Du moins deux sont partis!… Il ne me reste qu’une prisonnière!

– Que ne le disiez-vous tout de suite? bougonna Pardaillan. Conduisez-moi près d’elle.

– À l’instant, monseigneur, à l’instant.

Ils montèrent au troisième étage. Le geôlier tira les verrous d’une porte, fit jouer la serrure. Comme il allait ouvrir, Pardaillan l’arrêta.

– Mettez-vous au bout de ce couloir, dit-il, l’entretien que je vais avoir avec la prisonnière doit être secret.

En même temps, d’un coup d’œil significatif, il avertissait les trois braves d’avoir à surveiller étroitement le gardien. Celui-ci était sans doute habitué à toutes sortes de complications mystérieuses, car il obéit docilement sans manifester aucune surprise.

Pardaillan entra seul. Au bout de dix minutes qui parurent mortellement longues aux trois braves, il ressortit en compagnie de Perrette la Jolie.

LXXIV

Pendant que Pardaillan arrachait la sœur de Gringaille à son infect cachot, Claude Acquaviva, assis près de la fenêtre grande ouverte, poursuivait un entretien commencé depuis peu avec Parfait Goulard, debout devant lui. Cela se déroulait en demandes et réponses brèves, Acquaviva interrogeant, comme de juste.

– Ravaillac?

– En route.

– Averti comment?

– Par une conversation de soldats, à laquelle il ne participait pas, mais dont il n’a pas perdu un mot. Nous ne pouvons être mis en cause.

– Bien. Le roi?

– Il a reçu la lettre. Les ordres sont donnés. Il ira, cela ne souffre aucun doute.

– Qui lui a remis la lettre?

– Dame Colline Colle. Elle espère bien que cette affaire lui rapportera une forte somme. De ce côté-là encore, nous sommes couverts.

– Le grand prévôt?

– Je n’ai pas eu à m’en occuper. Saêtta s’est chargé de la besogne, pour son compte personnel.

– Et Concini?

– Lui aussi, il a pris ses dispositions pour être sur les lieux à midi. Il ne lâche pas prise. Plus que jamais, il veut cette jeune fille.

– Est-il vraiment épris à ce point?

– Il hait Jehan le Brave au-dessus de tout.

– Et c’est surtout lui qu’il vise en s’acharnant après cette fille. Acquaviva se leva et se mit à marcher lentement, la tête inclinée, réfléchissant. Il reprit, comme en se parlant à lui-même:

– Ce Concini est un niais! Jolie sa trouvaille de rendre la liberté à Jehan le Brave pour l’envoyer à Ruilly!… Le fils de Pardaillan, comme son père, est un être exceptionnel. Lorsqu’on se heurte à des hommes pareils et qu’on réussit à les capturer, on les brise sans s’attarder à des raffinements de vengeance. Avec ces hommes prodigieux, une minute gagnée apporte le salut!… Non, non, puisque je le tiens et qu’il me gêne, ce Jehan, je ne serai pas si fou que de le lâcher!

Et s’adressant directement à Parfait Goulard, immobile et muet:

– Il faut que ce jeune homme ait cessé de vivre avant une heure, faites le nécessaire, à l’instant même.

– Vous me faites penser, monseigneur, que Concini a dû donner ses ordres, et moi… j’ai totalement oublié de les révoquer.

– Est-ce à dire qu’on a déjà rendu la liberté au prisonnier? s’inquiéta Acquaviva.

– Non, monseigneur, mais je crains qu’il ne soit déjà dans la chambre tournante.

– Cruauté bien inutile, mon fils, fit doucement Acquaviva. Allez, faites arrêter ce supplice, s’il en est temps encore.

– J’y cours, monseigneur, s’écria Parfait Goulard.

Il courut, en effet, à la porte, l’ouvrit toute grande et demeura pétrifié. Pardaillan se dressait devant lui, lui barrant le passage, et l’obligeait à rentrer dans la chambre.

*
* *

Pardaillan était sorti du cachot de Perrette la Jolie, emmenant la jeune fille qu’il tenait par le bras. Il dit au gardien:

– Conduisez-nous à l’étage au-dessous.

Et le gardien obéit sans faire d’objection. L’ordre de l’abbesse était formel, en bonne et due forme, il n’avait pas à discuter.

À l’étage au-dessous, Pardaillan l’arrêta lui-même devant une porte. Il convient de dire que Perrette venait de lui serrer le bras. Ce qui, probablement, était un signal convenu entre eux.

Pardaillan ordonna:

– Ouvrez.

La porte ouverte, il entra avec Perrette. Il demanda à voix basse:

– Lequel de ces deux lits, mon enfant?

– Celui-ci, monsieur. À la tête, pas très haut.

Tous deux se penchèrent sur le mur et le palpèrent pouce à pouce, du bout des doigts.

– J’y suis, dit tout à coup Pardaillan.

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