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De son pas allongé, Pardaillan eut tôt fait de monter jusqu’à la place du gibet. Il s’en fut droit aux décombres. Des soldats, des paysans, se trouvaient encore là. Les uns cherchaient des débris humains, les autres gardaient le lieu du sinistre.

Naturellement, on ne s’entretenait que de la catastrophe. Dès les premiers mots entendus, Pardaillan apprit ce qu’il ignorait, à savoir que son fils s’était fait sauter lui-même. Il se redressa, l’œil pétillant et murmura:

– Oh diable! ceci change les choses!… S’il s’est fait sauter, c’est qu’il avait de la poudre!… Comme je ne suppose pas qu’il avait changé le gibet en poudrière en prévision de ce qui arriverait, il faut donc admettre qu’il a trouvé la grotte où se trouvaient les armes et les munitions… En ce cas, il serait sain et sauf… C’est probable!… À moins que… Il faut savoir, mordieu!

Il avisa un officier et l’aborda poliment. C’était ce même lieutenant qui avait reçu la dénonciation de Saêtta et qui avait commandé jusqu’à l’arrivée du capitaine. Au moment où l’infortuné capitaine avait pénétré sous le gibet, il avait dû s’éloigner de quelques pas pour donner des ordres. Il devait la vie à ces quelques pas faits avant l’explosion.

Pardaillan ne pouvait pas mieux tomber pour avoir les renseignements qu’il cherchait. Très complaisamment, le lieutenant lui raconta tout ce qui s’était passé depuis le commencement de l’affaire jusqu’à la fin.

En écoutant le récit de cette aventure épique, les yeux de Pardaillan brillaient de contentement et à part lui, il songeait:

«Eh mais! il me semble que le fils de Pardaillan fait honneur à son père!»

Et tout haut:

– Comment se fait-il que ces braves aient trouvé des armes à feu et de la poudre dans le gibet des Dames?… Le gibet n’est pas, que je sache, un arsenal.

– Nous nous sommes posé la même question sans pouvoir la résoudre. Le gibet ne servait plus. Nul, depuis longtemps, n’y avait pénétré. Personne ne se souvient qu’on y ait transporté de la poudre. Il faut donc croire que les rebelles l’y avaient apportée eux-mêmes.

Pardaillan savait ce qu’il voulait savoir. Il remercia l’officier et s’éloigna, l’air indifférent.

*
* *

Après avoir averti le capitaine que ceux qui pénétreraient sous le gibet n’en sortiraient pas vivants, Jehan le Brave était allé se placer sur l’escalier. Sa tête seule émergeait au ras du sol et maintenait le couvercle du coffre soulevé. Dans cette position, il attendit, très froid.

Lorsqu’il vit la porte céder sous les coups des assaillants, il mit le feu à la traînée de poudre et sauta sur la marche qui actionnait la dalle, laquelle se ferma aussitôt.

En quelques bonds, il franchit le couloir. Lorsque l’explosion se produisit, il était déjà dans la grotte au milieu de ses trois compagnons, plus émus que lui du danger qu’il venait de courir.

Ils se couchèrent aussitôt à plat ventre sur le sol crayeux et ils demeurèrent ainsi quelques instants sans rien dire, un peu pâles malgré tout leur courage. À dire vrai, ces quelques secondes leur parurent fort longues. Ils sentirent la terre trembler légèrement. Ce fut tout. Ils se relevèrent alors et les trois braves se mirent à rire, d’un rire féroce.

– Péchère! il me semble que je les vois faire le saut, là-haut, s’écria Escargasse.

– Ils vont s’étaler: plouck!… comme des crapauds! s’esclaffa Carcagne.

– Escalade, dégringolade, capilotade, marmelade, bien malades, passez muscade! rima triomphalement Gringaille.

– La paix! commanda sèchement Jehan.

Et d’un air sombre, à mi-voix, pour lui-même, il ajouta:

– Je les avais prévenus, pourtant!… Pauvres diables!… Mais quoi?… Après tout, je défends ma peau! Et ceci c’est juste et légitime. Elle me l’a dit elle-même.

Les trois, qui avaient entendu, se regardèrent ébahis. Ils ne comprenaient pas. Ce diable de Jehan les désarçonnait toujours par ses idées aussi extraordinaires qu’imprévues.

Il vit leurs mines déconfites et il se reprocha de les avoir attristés inutilement. Il se secoua et prenant un air riant:

– Dites-moi un peu comment je vous ai rencontrés si fort à propos? Çà, vous logiez donc ici?… Et dans quel état vous voilà, mes drôles!…

Il avait l’air de gronder. Mais ils virent bien que c’était pour la forme. Il était content et même ému. Ils retrouvèrent comme par enchantement leur gaieté. Et ils se mirent à raconter, en l’assaisonnant de grasses plaisanteries, leur lamentable histoire, et comment ils s’étaient estimés très heureux de trouver ce gîte providentiel.

Ils racontèrent tout, même l’histoire de leur dîner chez Colline Colle, au sujet de laquelle les brocards ne furent pas épargnés à Carcagne. Jehan les écouta attentivement, riant de bon cœur avec eux, et en lui-même, il se disait:

– Pauvres bougres!… C’est pourtant pour moi qu’ils se sont imposé ces privations. Autrefois, ils n’auraient pas été réduits à cette extrémité… Comment pourrai-je jamais reconnaître tant de dévouement et d’attachement?

Il y avait plus de deux heures que l’explosion s’était produite. Le temps avait passé sans qu’ils s’en fussent aperçus. Les trois en avaient long à raconter et comme Jehan, doucement attendri, les écoutait avec une inaltérable patience et ne leur parlait qu’avec douceur, ils étaient aux anges et n’arrêtaient pas de bavarder.

Jehan nota qu’ils omettaient de dire qu’ils avaient donné plus de la moitié de leur petite fortune à Perrette la Jolie. C ’était encore une obligation de plus qu’il leur devait là. C’était grâce à ce don que Perrette s’était établie au bas de Montmartre. Indirectement il leur devait d’avoir été sauvé et d’avoir délivré sa fiancée. Il se disait cela avec attendrissement.

Les trois braves jacassaient avec une superbe insouciance. Quant à se demander comment ils sortiraient de leur souterrain, ni s’ils en sortiraient jamais, ils n’y pensaient pas. Puisque Jehan était là, ils s’en iraient quand il le déciderait.

Le jeune chef, s’il n’en disait rien, y pensait, lui. Il se mit à passer l’inspection des vivres, et après s’être rendu compte qu’ils avaient de quoi subsister une huitaine de jours, il déclara d’un air satisfait:

– C’est plus qu’il n’en faut. Nous nous en irons demain, à la nuit. Car pour ce soir, je crains que la place ne soit gardée, là-haut.

Il ne s’expliqua pas autrement. Les autres n’en demandèrent pas davantage. Puisqu’il disait qu’ils s’en iraient le lendemain, c’était comme si c’était fait.

Les trois s’activèrent, préparèrent les lits – c’est-à-dire les bottes de paille – et le feu pour le repas. Pendant ce temps, Jehan allait et venait, furetait partout, étudiait minutieusement les lieux. À plusieurs reprises, il monta les marches de l’escalier, et l’oreille collée contre la dalle, il écouta attentivement. Il songea:

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