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Elle se leva brusquement, pâle de rage et de fureur, les deux poings sur les hanches, hérissée, menaçante, et gronda:

– Mais alors, si votre maître est retourné dans son pays, vous voilà sans place, vous autres?

– Dame, oui, fit mélancoliquement Escargasse. Aveu imprudent. Le Provençal le comprit, trop tard.

Colline Colle, d’un coup d’œil, s’assura qu’elle n’avait rien à craindre. Il faisait grand jour, la rue était animée, on viendrait à son aide le cas échéant. Elle bondit sur le balai, le saisit à deux mains et le brandit en glapissant:

– Ah! vous êtes sans place!… Ah! vous êtes sur le pavé, sans sou ni maille, le ventre creux, affamé… Et vous vous êtes dit que je serais votre vache laitière, et vous êtes venus vous installer ici, vous m’avez ruinée, vous m’avez dévoré toutes mes provisions, bu tout mon vin!… Hors d’ici, chiens! truands! mauvais garçons! ribauds!

Et chaque épithète était accompagnée d’un coup de balai. Les trois interdits, effarés, ne comprenant rien à ce changement subit, s’étaient redressés, paraient de leur mieux les coups qu’elle assénait, ne pensaient pas encore qu’il fallût déguerpir au plus tôt.

– Mais ma chère Brigitte! tenta de concilier Carcagne.

– Je ne suis pas votre chère Brigitte! hurla la mégère hors d’elle-même. Je suis une honnête femme, moi! Et vous m’avez ruinée, ruinée!… Hors d’ici, vous dis-je!

Et courant à la fenêtre, elle l’ouvrit toute grande et se mit à crier d’une voix perçante, capable d’ameuter toute la rue:

– Au feu! au truand! à la hart!

Ils comprirent que s’ils tardaient, tout le quartier allait leur tomber dessus et que c’en était fait d’eux. Ils prirent bravement leurs jambes à leur cou, battirent précipitamment en retraite et dégringolèrent les marches du perron, pareils à de grands oiseaux effarés. Les ailes de la peur aux talons, ils coururent d’une traite jusqu’à la porte Saint-Honoré où ils se rassurèrent enfin en constatant qu’on ne les poursuivait pas.

Le premier soin de Carcagne, quand il se vit seul dans leur taudis, fut de vérifier ce que pouvait être l’objet brillant qui l’avait fait trébucher dès ses premiers pas sur le chemin de l’honnêteté.

C’était un méchant étui en fer-blanc, sans aucune valeur. Il l’ouvrit. Il contenait une bague en fer, également sans valeur, et un papier couvert d’une écriture fine et serrée, en une langue qu’il ne connaissait pas. Il se sentit soulagé. Il prit la bague en se disant:

– Je dirai à Gringaille de la donner à Perrette. Cela lui fera peut-être plaisir.

Quant à l’étui, il le mit dans la poche intérieure d’un vieux pourpoint usé et déchiré qu’il ne portait plus depuis longtemps. Et la conscience plus tranquille, il se jeta sur sa paillasse, s’enroula dans sa couverture et ne tarda pas à s’endormir.

Ce petit étui était celui que Colline Colle avait soustrait dans la cassette de Bertille. Elle aussi elle l’avait jeté négligemment dans un tiroir et l’y avait oublié.

XXXVIII

Il y avait environ un mois que Bertille avait disparu.

On avait entouré la chapelle du Martyr d’une haute palissade et on avait commencé les fouilles. Dès les premiers coups de pioche, on avait mis à découvert les hautes marches d’un escalier. Preuve que les indications contenues dans les fameux papiers étaient exactes. Ce dont on n’était pas autrement sûr jusque-là.

Ce premier résultat acquis, on avait décidé de mener les travaux avec circonspection. À seule fin de détériorer le moins possible la crypte où, aux temps lointains de la persécution des chrétiens, le bienheureux saint Denis rassemblait son troupeau de fidèles autour du modeste autel de pierre.

Ceci pour donner satisfaction à Marie de Beauvilliers. L’abbesse n’oubliait pas que lorsque la chapelle souterraine serait dégagée, elle deviendrait un lieu de pèlerinage. Source de profits appréciables pour l’abbaye.

Le père Coton, confesseur de Sa Majesté, avait réussi à se faire nommer directeur des travaux. Le roi et la reine croyaient également pouvoir compter sur son dévouement. Nous savons, nous, qu’il n’était qu’un instrument docile aux mains d’Acquaviva.

Bien entendu, il n’avait pas été soufflé mot du trésor. Les fouilles avaient pour but officiel de dégager la chapelle souterraine du saint. Œuvre pieuse. Et c’est pourquoi le choix d’un religieux, comme directeur, avait paru tout indiqué.

Coton surveillait donc et dirigeait les travaux. En même temps, il gardait les abords de la chapelle. Ces abords n’étaient pas interdits au public, mais un vaste réseau d’espionnage avait été établi. On pouvait circuler librement sur la montagne. Quant à passer inaperçu aux environs de la chapelle, il ne fallait pas y compter. Des yeux invisibles, toujours en éveil, épiaient les moindres gestes du plus inoffensif des passants.

Coton s’était adjoint un certain nombre de religieux qui se chargeaient de cette surveillance. Il est à noter qu’aucun de ces religieux n’appartenaient à la Société de Jésus… notoirement, du moins. Il est à supposer qu’ils avaient été choisis à bon escient.

Indépendamment de ces précautions, prises au nom du roi et de la reine, et approuvées par eux, Sully et Concini, qui se méfiaient l’un de l’autre, avaient pris leurs petites dispositions secrètes, chacun de son côté. Si bien que, sans qu’il y parût, les environs de la chapelle se trouvaient, autant dire, en état de siège.

Concini se croyait si sûr de triompher qu’il avait pris, pour remplacer Jehan le Brave, Gringaille, Escargasse et Carcagne, quatre gentilshommes authentiques. C’étaient MM. d’Eynaus, de Roquetaille, de Longval et de Saint-Julien. Quatre jeunes gens dont l’aîné n’avait pas vingt-six ans et le plus jeune vingt-deux à peine.

Dans son esprit, ces quatre gentilshommes devaient constituer le noyau de l’imposante garde qu’il comptait attacher à sa personne, quand il serait devenu le maître.

Pour l’instant, les quatre nouveaux séides du Florentin avaient pour unique mission de rechercher Jehan le Brave et de le prendre vivant. Concini leur avait promis vingt mille livres à se partager le jour où ils le lui livreraient pieds et poings liés.

Les quatre jeunes gens, qui étaient forts et braves, et le savaient, avaient pensé que quatre hommes comme eux, pour en prendre un seul, c’était trop de deux, au moins, en admettant que celui dont ils devaient s’emparer fût doué d’une force peu commune. Ils ne connaissaient pas Jehan le Brave.

Concini le connaissait, lui. Et il n’oubliait pas Escargasse, Carcagne, Gringaille qui l’avaient déjà trahi pour Jehan et se joindraient à lui. Ce qui fait qu’il n’avait pas hésité à engager, pour toute la durée des travaux, une trentaine de coupe-jarrets.

Ceux-là, par escouade de huit hommes, avaient été placés sous les ordres de Saint-Julien, Longval, Roquetaille, Eynaus. Une de ces escouades de sacripants devait se tenir à demeure aux alentours de la chapelle. Concini, en effet, n’oubliait pas non plus que Jehan chercherait à s’emparer du trésor. Il prenait donc ses précautions en conséquence. Jusqu’à ce jour, Concini et ses hommes n’avaient pu mettre la main sur celui qu’ils cherchaient.

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