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Les poules poussèrent des gloussements perçants et se bousculèrent comme des idiotes qu’elles sont. Enfin, l’une d’elles aperçut un trou dans la haie. Elle s’y engouffra. Les trois autres suivirent.

Merveille!… Elles se trouvèrent dans un lieu qu’elles ne connaissaient pas. Dans leur affolement, elles s’étaient trompées de haie et elles étaient sur la petite place.

Le monument rectangulaire dont nous avons parlé attira leur attention. Nous avons dit que la poule est curieuse. Elle est méfiante aussi. Celles-ci voulurent voir ce qu’était cette grande machine. Elles en firent le tour de loin en se rapprochant insensiblement. Quand elles furent contre la muraille, elles découvrirent des trous et elles entrèrent…

Huit jours plus tard, elles étaient vingt, trente poules qui, les unes après les autres, quelquefois deux ou trois ensemble passaient à travers les haies et pénétraient dans le monument en question.

Au bout d’un temps plus ou moins long, la poule sortait et poussait des retentissants:

– Kot kot kot kot kot! Kot kot! Ce qui, on le sait, dans le langage des poules, veut dire: je viens de pondre un bel œuf!…

XLIII

Ce jour-là était un vendredi. Il y avait huit jours environ que Jehan le Brave vivait soigneusement caché chez Perrette la Jolie. Nous verrons bientôt ce qu’il y faisait.

Ils étaient trois, hâves, défaits, maigres comme des clous. Déguenillés, dépenaillés, minables, lamentables, méconnaissables. Ces trois-là étaient Gringaille, Escargasse et Carcagne. Ceci se passait une quinzaine de jours après ce fameux repas qu’ils avaient arraché à Colline Colle.

Comment avaient-ils vécu jusque-là?… Mystère! Il serait peut-être plus juste de se demander comment ils n’étaient pas morts de faim. Ils avaient vendu leurs habits confortables de bon drap et leurs bonnes bottes presque neuves. Et ils avaient endossé bravement les vieux vêtements, les vieilles chaussures depuis longtemps hors d’usage. Carcagne avait ce vieux pourpoint déchiré dans lequel nous lui avons vu cacher l’étui dérobé à Colline Colle.

Ils n’avaient gardé que leurs bonnes rapières. Les quelques sous qu’ils avaient tirés de la vente de leur dernier habit leur avaient permis de vivre quelques jours. Maintenant c’était fini. Ils ne savaient plus à quel saint se vouer, ni s’ils verraient jamais la couleur d’un écu.

À l’heure où nous les trouvons, il y avait huit jours qu’ils avaient été chassés de leur taudis. Il y avait deux jours qu’ils n’avaient pas mangé.

Notez bien ceci: ils auraient pu reprendre leur ancien métier. Dieu merci, ils savaient comment détrousser un passant à la douce, même en plein jour. Ils n’y pensèrent même pas. Ils avaient donné leur parole. C’était sacré cela. Carcagne n’arrivait pas à se pardonner le moment d’oubli qu’il avait eu chez Brigitte.

Ils auraient pu aller chez Perrette qui eût partagé de grand cœur avec eux. Mais plutôt que d’en venir là, Gringaille se fût sans hésiter, passé son épée au travers du corps.

Enfin, ils auraient pu s’adresser à Jehan qui, d’une manière ou d’une autre, les aurait tirés d’embarras – au moins momentanément. Mais se montrer au chef accoutrés comme ils étaient?… Plutôt la mort!

Sans trop savoir où ils allaient, ils étaient sortis de la ville. Ils allaient désespérés, silencieux, harassés. Ils grimpaient péniblement le chemin qui aboutissait en haut de Montmartre. Non pas le chemin de droite, qui passait devant l’entrée de l’abbaye, mais celui de gauche, celui qui aboutissait à la fontaine du But, en passant devant la basse-cour des religieuses.

Pourquoi par là et non ailleurs? Est-ce qu’ils savaient? Simple hasard, voilà tout.

Ils arrivèrent sur la petite place que nous avons signalée et ils aperçurent le monument délabré. Ils s’arrêtèrent, hésitants et se regardèrent, inquiets, effarés.

Ce monument, c’était le gibet des dames. Nous savons quelle insurmontable horreur ils éprouvaient pour tous les monuments de ce genre.

Le gibet ne servait plus depuis longtemps. C’était un massif de maçonnerie de forme rectangulaire, en assez mauvais état, comme nous avons dit. Une porte basse s’ouvrait face au chemin par lequel ils arrivaient. Sur le côté gauche, c’est-à-dire du côté ouest, du côté de la haie, derrière laquelle était parquée la volaille des religieuses, il y avait un escalier très étroit, sans rampe, raide, qui aboutissait à la plate-forme. Sur cette plate-forme, des piliers, à moitié pourris, en forme de triangle.

C’était à ces piliers qu’on accrochait haut et court les criminels ressortissant à la justice de Mme l’abbesse, laquelle avait droit de haute, basse et moyenne justice. Mais depuis de longues années, l’abbesse n’usait plus de ce droit seigneurial.

Donc Carcagne, Escargasse et Gringaille, voyant le sinistre monument qui se dressait devant eux, s’arrêtèrent médusés.

À ce moment, une poule sortit de la haie et se dirigea en gloussant vers le gibet, où elle disparut comme par enchantement.

– Vé! s’écria Escargasse émerveillé, une poulette!

– Une autre!…

– Ça se mange, ça!…

Pas un mot de plus. Ils s’étaient compris. Évanouie, la terreur du gibet. D’un bond, ils furent tous les trois sur la porte. Fermée!… Ils la secouèrent: solide, encore, la mâtine!… Cornes de Dieu! par où passer? Ah! l’escalier!… Deux bonds… les voilà sur la plateforme.

Victoire!… En partie défoncée, la plate-forme. Une excavation… là… on peut passer… Ils passent… Ils sont en bas, sous les fourches patibulaires… Mais ils n’y pensent plus, je vous en réponds.

Trois cris… trois hurlements de triomphe. Des gloussements effarouchés, des bruits d’ailes, une débandade, une poursuite. Nouveaux hurlements de joie, la fuite éperdue de volailles hors du gibet… Mais, résultat appréciable, trois poules déjà étranglées.

Nouveaux cris d’admiration, ébahissement, attendrissement, bénédictions, actions de grâces… Qu’est-ce donc?

Ceci simplement: il y a là une quinzaine de nids disséminés de tous les côtés et chacun de ces nids contient une vingtaine d’œufs. C’est-à-dire de quoi vivre pendant une quinzaine.

Le premier mouvement des trois pauvres hères, qui mouraient de faim, fut de sauter sur ces providentielles provisions. En un clin d’œil, ils absorbèrent une bonne douzaine d’œufs chacun.

– Pas moins, ça soulage! dit Escargasse.

– Et c’est frais, fit remarquer Carcagne.

– Nous en avions besoin… il était temps, cornedieu! fit Gringaille. Et ils éclatèrent de rire… Dame, maintenant qu’ils étaient assurés de ne pas mourir de faim, au moins pendant quelque temps, ils retrouvaient leur gaieté et leur insouciance… Ils devenaient même difficiles, car Gringaille ajouta, d’un air rêveur:

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