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– Voire!… Nous ne pouvons pourtant pas nous nourrir exclusivement d’œufs crus!…

– C’est vrai!

– Comment faire?

– Et ces trois volailles dodues? on ne peut pas les gober comme des œufs, elles!

La question était grave. Elle méritait réflexion. Ils réfléchirent.

– J’ai trouvé! s’écria Gringaille, en s’administrant un coup de poing sur le crâne. Voici: il n’y a qu’à aller à l’ancien logis de messire Jehan, y prendre tous les ustensiles de cuisine qu’il possède et les apporter ici… Je ne vois pas pourquoi nous ne nous installerions pas ici.

– D’autant qu’on y est très bien… Il y a de l’air… et maintenant que les chaleurs arrivent, c’est à considérer.

– Et nous sommes sûrs que personne ne viendra nous déranger ici.

– Très juste. J’ajoute: et pas de loyer à payer, pas de propriétaire grincheux, pas de voisins gênants. Alors c’est dit… qui va chercher les casseroles?

– Moi, si vous voulez, dit Carcagne.

Carcagne était toujours complaisant. Mais il n’était pas très malin. Il ajouta aussitôt:

– Au fait, des casseroles, c’est très bien, mais… nous n’avons pas de beurre… pas même un morceau de lard… pas de pain.

Escargasse et Gringaille se mirent à rire.

– Voilà du beurre, dit gravement Gringaille en désignant un tas d’œufs.

– Et voilà du pain, fit non moins gravement Escargasse, en désignant un autre tas d’œufs.

– Et voici le vin! reprit Gringaille en saisissant une poule par les pattes et en l’agitant sous le nez de Carcagne qui ouvrait des yeux tout ronds.

– Je… ne comprends pas… finit-il par avouer.

– Ce n’est pas nécessaire… File!… Quand tu reviendras nous aurons les éléments d’un bon repas.

Carcagne ne comprenait pas. Mais il avait confiance en celui qu’il considérait comme son futur beau-frère. Il obéit et fila, comme on le lui ordonnait élégamment.

Lorsque Carcagne fut parti, Escargasse et Gringaille prirent chacun une certaine quantité d’œufs et une des trois poules qu’ils avaient si prestement happées et étranglées. À leur tour, ils sortirent.

Une demi-heure plus tard, ils étaient de retour. Ils n’avaient plus ni les œufs, ni la poule. Mais ils rapportaient premièrement: une motte de beurre; deuxièmement: un beau morceau de lard; troisièmement: une petite cruche contenant cinq pintes de vin; quatrièmement: une demi-douzaine de chapelets de pain frais. On voit qu’ils avaient réussi à échanger avantageusement leur marchandise.

En attendant Carcagne, qui avait un bon bout de chemin à faire, ils se mirent à inspecter leur domaine.

Ce local devait servir à la fois d’atelier et de débarras. Il contenait une foule d’objets hétéroclites et divers outils. Il y avait des poutres, des planches, du bois, de la paille, des copeaux, une boîte de clous, une grande scie, une barre de fer. Et quantité d’autres objets disparates. Tout cela couvert de poussière, rongé par la rouille. Il était évident que, depuis des années, peut-être, nul n’avait pénétré là-dedans.

Cette inspection terminée, dans un angle, ils préparèrent un foyer avec des pierres. Ils y entassèrent des copeaux et du bois. Lorsque Carcagne apporterait les ustensiles, il n’y aurait qu’à allumer.

Gringaille inspecta la porte. Elle était très solide encore. Elle était munie d’une forte serrure fermée à clé et d’un énorme verrou. Il fit remarquer qu’il était désagréable de passer par le plafond quand on avait une porte. En conséquence, il prit la barre de fer et en quelques coups solidement assénés, il fit sauter la serrure. Le verrou était largement suffisant pour les mettre à l’abri de toute visite indiscrète.

D’ailleurs ceci n’était guère à redouter. Le sinistre monument inspirait à chacun une terreur superstitieuse. Les plus braves ne s’en approchaient qu’en tremblant.

Tout étant prêt, les deux compagnons s’assirent sur des poutres.

Devant Gringaille, il y avait un trou. Probablement les poules avaient dû gratter la terre à cet endroit. En causant avec Escargasse, machinalement, du bout de sa rapière, Gringaille fourrageait dans ce trou.

– Tiens! s’écria-t-il tout à coup.

Il s’accroupit devant le trou et se mit à écarter la terre avec ses mains. Il démasqua ainsi complètement un gros anneau de fer.

– S’il y a un anneau, il y a une dalle, dit-il à Escargasse, qui le regardait curieusement. S’il y a une dalle, c’est qu’il y a quelque chose là-dessous.

– Un caveau probablement, fit Escargasse.

– C’est ce qu’il nous faut voir… Est-ce qu’on sait ce qui peut arriver?

– Voyons! fit laconiquement Escargasse.

Sans désemparer, ils se mirent à creuser, écartant la terre. Effectivement, ils mirent à découvert une dalle carrée, qui pouvait avoir un pied et demi de chaque côté. Gringaille saisit l’anneau à deux mains et tira de toutes ses forces. La dalle ne vacilla même pas.

– Diable! dit-il.

Il prit la barre de fer et la passa dans l’anneau. À eux deux ils essayèrent de soulever la dalle. Elle ne bougea pas davantage. Elle paraissait solidement scellée.

Tous les deux, ils se penchèrent et étudièrent de près et très attentivement cette pierre récalcitrante. On voyait très nettement les quatre rainures de la dalle. Ils passèrent la pointe de l’épée dans les interstices et essayèrent encore une fois de la soulever. Nouvel échec.

Alors, au lieu de la tirer, ils appuyèrent dessus. Rien. Ils frappèrent à tour de bras sur l’anneau, toujours sans résultat.

– Pourtant, cornedieu! vociféra. Gringaille exaspéré, cela doit s’ouvrir!

En disant ces mots, il avait saisi l’anneau à deux mains et le secouait frénétiquement, dans un mouvement de va-et-vient, comme s’il avait voulu le dévisser.

– Tiens! tiens! fit-il.

Il avait senti l’anneau céder. Il recommença lentement, méthodiquement, cette fois. Il y eut le bruit sec d’un ressort qui se détend et la dalle s’abaissa lentement, d’elle-même, mettant à jour les hautes marches d’un escalier.

À ce moment, ils entendirent sur la route un pas rapide qu’ils reconnurent à l’instant. Ils entrebâillèrent la porte et regardèrent. C’était bien Carcagne. Ils lui firent signe et poussèrent soigneusement le verrou dès qu’il fut entré.

– J’ai trouvé trois flacons de vin! s’écria triomphalement Carcagne. Avec des grognements satisfaits, ils débarrassèrent le compagnon, et triomphants à leur tour, ils lui montrèrent les provisions qu’ils s’étaient procurées. Carcagne baya d’admiration.

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