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– À table, compagnons!… et donnez-moi des nouvelles de cette omelette!

À ce moment, une voix claire lança:

– Je demande une petite part de cette délectable omelette!…

LI

Les quatre jeunes gens bondirent effarés. Un homme, qu’ils n’avaient pas entendu, entré par où ils ne savaient – puisqu’ils ne voyaient de porte nulle part – était déjà au milieu de la grotte et s’avançait vers eux, calme et souriant.

– M. de Pardaillan! s’exclama Jehan.

Sa surprise était telle qu’il demeurait tout ébahi, sa poêle à la main, sans trouver une parole de bienvenue, roulant des yeux énormes autour de lui, cherchant par où le visiteur inattendu avait pénétré jusqu’à eux.

– Moi-même! répondit Pardaillan dont le sourire se nuança d’ironie à la vue de l’effet produit.

Et avec une indignation comique:

– Çà, morbleu! est-ce ainsi que vous m’accueillez?… Oseriez-vous refuser la part du pauvre au vieux routier qui enrage de faim et de soif?… S’il en est ainsi, mauvais chrétiens, vous serez damnés, vous irez griller au plus profond…

– Grâce, monsieur! interrompit Jehan en riant de tout son cœur. Nous sommes bons chrétiens et ne voulons pas être damnés.

– À la bonne heure!

– J’étais si loin de m’attendre à vous voir apparaître ici!… Vous comprenez et excuserez mon étonnement.

– Je comprends et «j’excuse», déclara Pardaillan, magnanime. À la condition que j’aurai ma part de cette omelette que je vous ai vu confectionner avec tant d’amour… Et une part de ces volailles qui me paraissent à point… ainsi que de ce jambon rose… et de ce saucisson.

Et Pardaillan, aussi radieux que son fils, se mit à rire de son rire clair. Ce que voyant, les trois braves, eux aussi, éclatèrent bruyamment. Un instant, la haute voûte retentit des éclats d’une gaieté tumultueuse. Jehan, le premier, se ressaisit:

– Ventre-veau! s’écria-t-il, l’omelette qui refroidit!… Holà! vous autres, vite un siège pour M. le chevalier qui nous fait l’honneur de partager notre repas.

Les trois se précipitèrent et apportèrent le siège demandé. C’est-à-dire que devant le coffre-table, ils traînèrent un autre coffre sur lequel Pardaillan et son fils s’assirent, tandis qu’ils s’installaient tout bonnement par terre. Et avec une ardeur égale, tous les cinq, ils commencèrent le massacre des victuailles.

– Pardaillan remarqua que Jehan ne lui posait aucune question au sujet de Bertille. De même, il ne demanda pas davantage comment il était entré dans la grotte. Il comprit le sentiment de délicatesse et de discrétion qui le faisait refouler des questions qu’il eût trouvées très naturelles. Avec cette douceur qu’il ne trouvait que pour ceux qui lui plaisaient, il dit:

– Vous ne me demandez pas des nouvelles de Mlle Bertille? Vous n’êtes donc pas inquiet?

– Non, monsieur, fit simplement Jehan. Puisque vous êtes là, souriant et tranquille, c’est que tout va bien. Il ne pouvait en être autrement d’ailleurs, puisque vous aviez bien voulu vous charger d’elle. Je devrais vous remercier… et je ne trouve pas de parole assez éloquente pour vous exprimer ma gratitude.

– Laissons cela, dit Pardaillan en haussant les épaules. Avouez que vous êtes intrigué… Vous vous demandez comment j’ai pu pénétrer dans cette cave qui n’a pas d’issue apparente… Vous vous demandez comment j’ai pu voir confectionner votre omelette – qui était excellente, soit dit par parenthèse -, vous vous demandez enfin comment j’ai pu savoir que vous étiez ici.

– C’est vrai, monsieur, avoua Jehan avec cette franchise si remarquable chez lui. Mais j’attendais qu’il vous plût de nous le dire.

Pardaillan approuva doucement de la tête et au lieu de la réponse attendue, il posa brusquement une question:

– Comment comptiez-vous sortir d’ici?

Jehan commençait à connaître les manières bizarres et quelque peu déconcertantes du chevalier. Il ne sourcilla pas et répondit:

– De la manière la plus simple du monde: vous savez sans doute qu’un escalier se trouve sous le gibet?

– Je sais.

– Je comptais passer par là.

– Mais le gibet est à moitié démoli. En ouvrant la trappe vous risquiez d’être écrasé par les matériaux accumulés dessus.

– Sans doute… C’était un risque à courir. J’aurais pris mes précautions, du reste.

– Et vous auriez passé, je n’en doute pas. N’importe, il vaut mieux que je sois venu. Le chemin que je vous indiquerai sera plus sûr que celui que vous voulez prendre, n’en connaissant pas d’autre.

Alors seulement, Pardaillan raconta comment, après avoir quitté les deux jeunes filles, il avait eu la curiosité de monter jusqu’à l’abbaye pour savoir si le jeune homme avait pu fuir par le chemin qu’il lui avait indiqué, et comment il avait appris l’algarade sur la place du gibet.

Il ne dit mot de sa rencontre avec Saêtta. Il ne dit pas davantage comment il connaissait si bien ces souterrains ignorés de tout le monde.

– Je pensais bien, dit-il en terminant, que vous trouveriez toujours le moyen de sortir. Mais j’ai réfléchi que vous auriez peut-être besoin de revenir ici… Vous ne trouverez nulle part une retraite aussi sûre que cette cave.

– Mais, monsieur, fit naïvement Jehan, je ne vois pas pourquoi je me terrerais comme un renard?

– Croyez-vous donc qu’on vous laissera tranquille quand on saura que vous êtes vivant?

– Oh! je sais bien que je n’en ai pas fini avec Concini!…

– Il ne s’agit pas de Concini, interrompit Pardaillan, il s’agit du roi!

– Le roi?… Je ne comprends pas. Je n’ai commis aucun crime. Pardaillan le considéra de son œil perçant. Il paraissait très sincère.

– À votre point de vue et au mien, reprit-il, vous avez défendu votre peau. Et c’est légitime.

– Je suis bien aise de vous l’entendre dire, monsieur, fit Jehan doucement.

– Mais, continua imperturbablement Pardaillan, au point de vue de ceux qui nous régissent, vous avez commis un crime. Une fois déjà, le roi vous a pardonné votre révolte. Cette fois-ci, il ne pardonnera pas, soyez-en bien persuadé. D’autant que vous avez tué un capitaine et dix soldats à M. de Sully, qui n’est pas tendre… Sans compter Mme de Montmartre, sur les terres de laquelle vous avez commis des violences inouïes. Si bien que, dans cette affaire, vous aurez toutes les autorités contre vous et que soldats, gens de police, gens de justice et religieux vont se mettre à vos trousses comme chiens à la piste et ne vous lâcheront que lorsqu’ils vous auront happé et broyé.

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