Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Diable!… Je n’avais pas pensé à cela, moi!

À voir le flegme avec lequel Jehan venait de prononcer ces paroles, on eût pu croire que tout ce que Pardaillan venait de lui dire ne le concernait pas. Il était trop intelligent cependant pour ne pas comprendre qu’il avait dit vrai, sans exagérer. Mais peut-être avait-il son idée.

Carcagne, Escargasse et Gringaille, qui écoutaient sans mot dire, avaient très bien compris, eux. Ils voyaient, dans un avenir très rapproché, se dresser de belles potences munies de cordes neuves, au bout desquelles, complices du rebelle, ils se balanceraient mollement, suspendus par le col, la langue pendante. Cette évocation, on le conçoit, les rendit plutôt moroses.

Pardaillan se rendit compte que ses paroles n’avaient vraiment produit d’effet que sur eux. Loin d’en être affecté, il eut un mince sourire de satisfaction. La crânerie et l’insouciante audace de son fils n’étaient pas pour lui déplaire, au contraire. Mais, lui aussi, il avait sans doute son idée derrière la tête, car il reprit:

– C’est parce que j’ai pensé à ces choses que j’ai résolu de vous montrer les entrées secrètes qui permettent d’accéder à cette cave. Ces entrées, je suis seul, en France, à les connaître. C’est vous dire que, tant que vous resterez ici, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles. Nul ne songera à venir vous y chercher, puisque nul ne soupçonne l’existence de ces souterrains.

– Vraiment, monsieur, dit Jehan d’un accent pénétré, je suis confus de tant de bonté et de délicate sollicitude. C’est ma bonne étoile qui vous a mis sur mon chemin. Je viendrai donc me réfugier ici, s’il y a lieu. Toutefois, je n’y viendrai qu’à la toute dernière extrémité. Que voulez-vous, monsieur, il me faut de l’air et de la lumière. Ici, j’étouffe. Je n’ai qu’un regret: c’est qu’il soit si tard. Les portes de la ville sont fermées à cette heure, sans quoi je serais parti à l’instant même.

– Bah! fit Pardaillan d’un air insouciant, une nuit est bientôt passée. Nous nous en irons demain matin, à la pointe du jour.

– En attendant, s’excusa Jehan désolé, après avoir fait un repas pitoyable, vous voici contraint de passer toute une nuit à la dure… et pour moi. Vous m’en voyez tout marri.

– Croyez-vous que ce soit la première fois? Il m’est arrivé plus d’une fois de passer la nuit à la belle étoile, sans même une de ces bottes de paille fraîche que je vois là. Quant à ce repas que vous jugez pitoyable, c’est un des meilleurs que j’ai faits. Et pourtant, j’en ai fait quelques-uns de fameux dans ma vie.

Jehan le regarda attentivement. Pardaillan parlait sérieusement, d’un air très convaincu. Il se sentit soulagé. Mais alors, une autre inquiétude lui vint.

– Mais au fait, dit-il en fixant le chevalier, je suis là, comme un bélître, à me donner des airs d’amphitryon, alors que c’est peut-être vous qui nous offrez l’hospitalité.

– Comment cela? demanda Pardaillan qui prit son air le plus naïf.

– Puisque vous êtes seul à connaître ces souterrains… tout ce qui s’y trouve vous appartient peut-être?

Jehan le Brave attachait sans doute une secrète importance à cette question, car il ne quittait pas Pardaillan des yeux. Mais celui-ci avait pris sa physionomie indéchiffrable.

– Vous vous trompez, dit-il avec un naturel parfait, rien de ce qui est ici ne m’appartient.

– Sans doute, vous connaissez le propriétaire de ces affaires?

– Pourquoi me demandez-vous cela? fit Pardaillan en le fixant à son tour.

– C’est que… je crains qu’il n’ait pas lieu d’être très satisfait, lorsqu’il apprendra avec quel sans-gêne j’ai usé de son bien.

– Bon, dit Pardaillan en souriant, quittez tout souci à ce sujet. Celle à qui appartient tout ce qui se trouve ici – car c’est une femme – a quitté la France voici une vingtaine d’années. Est-elle en Italie, son pays d’origine, ou en Espagne?… Est-elle vivante encore?… Je ne sais.

Et avec une gravité soudaine, il ajouta:

– Mais ce que je sais, par exemple, c’est que si elle apprenait par hasard ce que vous avez fait, elle ne manquerait pas de vous dire: «Vous avez bien fait. Considérez ce qui est ici comme votre bien et disposez-en à votre gré.»

Jehan fut frappé du ton sur lequel Pardaillan prononça ces paroles. Par Saêtta, il savait que le trésor appartenait à la princesse Fausta. Il ne doutait pas que la femme à laquelle Pardaillan faisait allusion ne fût cette même princesse Fausta.

Un instant, il s’était demandé si tout ce qui se trouvait dans cette grotte, y compris le trésor, n’était pas la propriété du chevalier. Lui-même disait que non et il savait qu’il pouvait avoir foi en sa parole. Il fut sur le point de demander des renseignements sur cette Fausta. Mais il connaissait le chevalier, maintenant. Il savait que s’il n’en disait pas plus long, c’est qu’il avait de bonnes raisons pour cela. L’interroger eût été une indiscrétion inutile. Il se contenta de dire:

– Ma foi, monsieur, je suis bien aise de ce que vous me dites. Vous soulagez ma conscience.

Pendant que le père et le fils s’entretenaient, les trois braves s’étaient jetés sur les bottes de paille et ronflaient à qui mieux mieux.

Pardaillan et Jehan le Brave passèrent de longues heures à bavarder. Ou, pour mieux dire, Pardaillan fit bavarder son fils. C’est ainsi qu’entre autres choses il apprit que c’était grâce à Ravaillac que le jeune homme avait retrouvé Bertille. Il apprit en même temps que Ravaillac était passionnément épris de la jeune fille.

– Ce Ravaillac, dit-il d’un air indifférent, n’est-ce pas ce même homme qui voulut vous poignarder lorsque nous attendions le roi sur le perron de Bertille?

– Lui-même, monsieur. Vous avez bonne mémoire. Entre nous, je puis vous le dire à présent, c’était le roi que Ravaillac voulait occire… Il était jaloux. Aussi, n’ai-je pas hésité à lui révéler que le roi est le père de Bertille… Le roi ne se doute pas qu’il me doit la vie.

– Ah! fit Pardaillan d’un air étrange, il me semble avoir rencontré ce Ravaillac avec le moine Parfait Goulard.

– Oui. Ce sont deux grands amis. Je vous avouerai même que cette amitié me surprend un peu. De mœurs et de caractère, jamais hommes ne furent plus dissemblables.

Pardaillan fronça le sourcil et ne dit rien. Il songeait à frère Parfait Goulard qu’il avait surpris contrefaisant l’homme ivre et il commençait à pénétrer le but poursuivi par le moine.

Les deux hommes finirent par se jeter côte à côte sur la paille. Jehan ne tarda pas à s’endormir. Il n’en fut pas de même de Pardaillan, qui se mit à songer aux événements de cette journée.

Il avait eu un long entretien avec Bertille, au cours duquel la jeune fille lui avait révélé tout ce qui l’intéressait au sujet des papiers dont elle avait la garde. Il savait déjà bien des choses essentielles à ce sujet. Les révélations qu’elle lui fit ne lui apprirent que des détails secondaires.

42
{"b":"100598","o":1}