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– C’est probable.

– Eh bien, signora, triompha Saêtta, supposez qu’on avise Jehan le Brave de façon à ce qu’il arrive sur les lieux en même temps que le roi. Supposez qu’un malheur arrive au roi. Ces choses-là sont possibles, surtout si on sait s’arranger pour aider le hasard. Nous arrivons, nous, juste à point pour cueillir Jehan et le charger du meurtre du roi. Son compte est bon!… Vous êtes arrivée à vos fins… et moi aux miennes! Qu’en dites-vous, signora?

– Je ne dis ni oui ni non, dit froidement Léonora. Attendons à demain. Maintenant, va, Saêtta. Je n’ai pas besoin de te dire qu’il importe essentiellement que Concini ignore mes projets… Nous n’avons pas du tout les mêmes vues à ce sujet.

Saêtta s’inclina silencieusement et sortit. Il était sombre et mécontent. Il lui semblait que Léonora avait un plan bien arrêté dont elle ne voulait pas se départir. Et dans ce plan il n’entrait pas de faire monter Jehan sur l’échafaud.

Il passa le reste de la nuit à méditer, dans son taudis. Un combat violent se livrait en lui. Il se trouvait acculé à une action qui lui répugnait. Il voyait bien qu’il n’avait pas d’autre issue pour arriver à ses fins, comme il disait, et cependant il hésitait.

Le jour vint. Sa résolution enfin prise, ses hésitations et ses scrupules balayés, il ceignit sa rapière et sortit.

Il s’en fut droit rue Saint-Honoré, chez Concini. Mais ce ne fut pas auprès de Léonora qu’il pénétra. Ce fut auprès de Concini lui-même. Il y demeura un quart d’heure environ. Quand il en sortit, il paraissait très satisfait.

LXVI

Les scènes que nous retraçons se déroulent à peu près simultanément. C’est ce qui nous met dans l’obligation d’aller de l’un à l’autre de nos personnages.

Lorsque Acquaviva eut disparu, Jehan le Brave s’éloigna à grandes enjambées. Nous savons qu’il n’était pas facile à impressionner. Cependant le ton du moine était tel qu’il avait senti un froid le saisir à la nuque.

– Diable! se disait-il, m’est avis que j’aurais mieux fait de laisser ces truands expédier proprement ce moine confit en douceur et qui me paraît pratiquer la reconnaissance d’une singulière façon! Oui, mais moi, j’aurais ainsi été complice d’un assassinat. Fi donc!… Il n’en est pas moins vrai que je suis loin d’en avoir fini avec lui. Et peut-être ne serai-je pas toujours servi par la chance, comme je l’ai été jusqu’à ce jour. Bah! arrive qu’arrive, nous verrons bien! Mais pourquoi diable me veut-il la malemort? Il sait bien que je ne m’abaisserai pas à le dénoncer. Il le sait si bien qu’il n’a pas hésité à me faire connaître sa demeure!… Hum! au bout du compte, est-ce bien sa demeure? Qui me dit qu’il n’aura pas déguerpi demain matin? N’importe, je ne le connais pas, je ne lui ai rien fait, et il veut ma mort. Pourquoi? Il y a quelque chose là-dessous… Mais quoi?

Tout en monologuant de la sorte, il était parvenu à la porte Montmartre. Il fit appeler le sergent de garde, lui montra discrètement l’insigne remis par Acquaviva et prononça le mot: «Ruilly».

Jusque-là, il n’était pas bien sûr que le moine n’avait pas voulu se gausser de lui. Il dut bien reconnaître qu’il s’était trompé en voyant le sergent ouvrir le guichet lui-même et lui témoigner un respect dont il fut tout éberlué.

Dans la carrière abandonnée, où il ne pénétra qu’après maints détours, il avança à tâtons avec d’infinies précautions, sondant le sol à chaque pas, s’attendant à tout moment à se heurter à quelque obstacle mortel. Il ne respira vraiment que lorsque la porte secrète franchie, il se trouva dans le souterrain qui aboutissait à la grotte. Là il se sentait en sûreté.

Parvenu dans cette grotte, il alluma une torche et s’assit sur un coffre. Il resta là longtemps à rêver. Il avait rempli une bouteille à l’un des tonneaux et il la vida à petits coups sans s’en apercevoir. Il se leva et se mit à marcher de long en large. Il passait et repassait ainsi devant l’entrée du couloir qui aboutissait au caveau… le caveau et son escalier sous lequel se trouvaient des millions. Et chaque fois, il jetait un coup d’œil de ce côté. Mais il n’y entrait pas…

Brusquement, il s’arrêta devant cette entrée et avec un mouvement d’épaules furieux, il mâchonna:

– Pourquoi n’irais-je pas?… Je ne vois pas quel mal je ferais!…, Il saisit la torche et pénétra dans le caveau. Il s’arrêta devant l’escalier et le contempla longuement, sans bouger. Il s’accroupit et se mit à étudier de près la première marche en murmurant:

– C’est là-dessous que sont les millions… si les indications que j’ai eues en main sont exactes.

Il jeta les yeux autour de lui et il eut un sursaut. Dans un coin, à côté de l’escalier, se trouvaient divers outils pêle-mêle. Et au premier rang, tirant l’œil, une pelle et une pioche.

– C’est bizarre, dit-il tout haut, je n’avais pas remarqué ces outils!

Il prit la pelle et la pioche et les examina. Elles étaient en fort bon état. Seulement, les fers étaient couverts d’une épaisse couche de rouille. Évidemment ces outils devaient se trouver là depuis un long temps, des années peut-être. Il réfléchit:

– Pardieu! j’étais préoccupé, j’avais vraiment autre chose à faire à ce moment-là… Rien d’extraordinaire à ce que je n’aie pas remarqué ces outils. Après l’explosion, je suis revenu ici. J’ai trouvé le maudit papier et sa lecture m’a troublé. Depuis je n’ai plus remis les pieds ici. D’ailleurs, quelle apparence que quelqu’un se soit introduit ici?…

Cependant, le soupçon était entré dans son esprit. La torche à la main, il étudia le sol de tout près. Et il se redressa, rassuré, en disant:

– Le sol n’a pas été fouillé depuis fort longtemps, c’est visible. Les idées mauvaises qui me hantent m’affolent et me font divaguer.

Il quitta le caveau, s’enroula dans son manteau, éteignit la torche et se coucha sur la paille. Il dormit très mal, d’un sommeil haché, coupé de réveils en sursauts, peuplé de cauchemars hideux.

Au matin, la tête lourde, les membres brisés, au lieu de s’éloigner vivement comme il avait fait la veille, il demeura encore un moment à rêver. Brusquement, sa résolution fut prise. Il se leva, alluma la torche et se dirigea résolument vers le caveau, en disant:

– Il faut que je voie!… Je serai plus tranquille après… Et puis, qui sait?… Il n’y a peut-être rien du tout.

Il était un peu pâle. Il serrait les dents à les briser et il jetait autour de lui des regards inquiets. Il saisit la pioche et il eut une dernière hésitation. Il se secoua furieusement comme pour jeter bas le lourd fardeau de vains scrupules et il attaqua le sol.

Il y avait plus d’une heure qu’il travaillait avec acharnement et il était en nage. De temps en temps, il s’arrêtait pour souffler et avalait une lampée de vin. Il commençait à croire que ce fameux trésor n’était qu’un leurre. En effet, la fosse était profonde d’une bonne demi-toise et il ne trouvait rien que de la terre qu’il entassait méthodiquement de chaque côté.

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