Ces dispositions prises, chacun se posta à sa guise ayant à portée de la main des armes de rechange, chargées d’avance.
Sur la place, Concini s’était séparé du capitaine. Il n’avait pas hésité à demander des troupes à Sully parce qu’il espérait que tout serait fini lorsqu’elles arriveraient. Il connaissait bien Jehan cependant. Malgré tout, il ne s’attendait pas à pareille résistance. Toujours est-il que le capitaine, muni d’instructions précises, avait formellement refusé ses ordres, comme l’avait fait l’officier qui commandait avant lui.
De cet antagonisme, il était résulté qu’il y avait maintenant sur la place deux groupes bien distincts qui opéraient chacun à leur manière, étaient indépendants l’un de l’autre et avaient chacun leur chef: d’une part, le capitaine, le lieutenant et leurs soldats; de l’autre, Concini, ses gentilshommes et ses estafiers.
Il en était résulté aussi que chacun des deux partis attendant que l’autre prît une initiative, ils avaient perdu plus de temps qu’il n’eût été convenable. Ce temps perdu, Jehan l’avait mis à profit pour organiser sa défense.
Le capitaine se décida à agir le premier. Six soldats portant une énorme poutre s’approchèrent de la porte. Les autres, accoutumés à la discipline, demeurèrent immobiles à leur rang. Il n’en fut pas de même des hommes de Concini. Quelques-uns, pris de zèle, se ruèrent à la recherche d’une poutre, d’un tronc d’arbre qui pût leur servir de bélier. D’autres, au contraire, se groupèrent autour de l’équipe. Ils voulaient voir de plus près.
Les soldats approchèrent, brandissant leur poutre. Ils marchaient lourdement, posément, face à la porte. En cercle autour d’eux, une dizaine d’estafiers avançaient comme eux, imitant inconsciemment leurs mouvements, comme s’ils avaient voulu les aider.
Tout à coup, quatre coups de feu, confondus en un seul: quatre soldats tombèrent. Les deux autres lâchèrent la poutre. Une seconde de stupeur et d’immobilité. Quatre nouveaux coups de feu: quatre estafiers par terre. Et alors la reculade effarée, éperdue, à toutes jambes, saluée par une troisième décharge, qui abattit encore deux fuyards. Encore deux hommes à Concini.
Sur le derrière, soldats et estafiers se demandaient ce qui se passait. Ils ne bougeaient pas cependant, se croyant à l’abri. Là encore, brusquement, deux coups de feu, suivis, presque instantanément, de deux autres. Résultat: trois hommes foudroyés, encore à Concini. Pas de chance, Concini! Là encore, retraite précipitée des survivants. En même temps sur le côté droit, coup sur coup, six coups de feu: encore trois hommes le nez dans la poussière, le reste en fuite.
Quelques secondes ont suffi: les abords du gibet sont dégagés… Les assaillants sont massés aux extrémités de la place… hors de la portée des balles. Ils l’oublient et, dans le premier moment d’affolement, ils répondent par une décharge générale qui ébranle l’air… riposte inutile… puisqu’ils sont trop loin.
Des quarante hommes qu’il avait avec lui, non compris ses gentilshommes, Concini n’en a plus que dix-sept. Il écume, il se mord les poings de rage, il rugit: – Dix mille livres à qui m’apportera la tête du truand!…
Ah! il ne pense plus à le prendre vivant! Ses hommes sont mornes, démoralisés… L’appât de la somme promise les secoue un moment… Mais diantre! approcher du gibet maudit est vraiment trop dangereux. Nul ne bouge.
Le capitaine, blême, mordille sa moustache avec fureur, et se soulage en crachant une kyrielle de jurons.
Là-bas, dans le caveau, Jehan dit tranquillement:
– Ils en ont au moins pour une demi-heure avant de recommencer l’attaque. À l’œuvre!…
Ils descendent à la grotte. Ils empoignent un coffre, font sauter le couvercle, défoncent un côté et le montent. Trois tonneaux de poudre suivent. Ils les défoncent et placent le coffre renversé dessus. Ils tracent une rigole allant des tonneaux à la trappe. Ils garnissent cette rigole de poudre et laissent tomber une planche dessus.
Le coffre dissimule la mine, la planche couvre la mèche. Ils ramassent les armes à feu et descendent dans la grotte. Le couvercle du coffre est monté lui aussi. On le pose sur le trou que démasque la dalle rabattue. Le trou se trouve ainsi caché lui aussi. Gringaille, Escargasse et Carcagne restent dans la grotte. Jehan demeure seul dans le caveau. Tout est prêt. Il attend.
La promesse de dix milles livres agissait sur les hommes de Concini. Rien ne rend ingénieux comme la cupidité. Quelques-uns des estafiers firent cette remarque qu’aucun coup de feu n’était parti du côté gauche. C’était peut-être une ruse… peut-être aussi n’y avait-il aucune meurtrière de ce côté. Ils allèrent y voir. Et ils se rendirent compte qu’il n’y avait aucun danger à rester là.
Quelques-uns se souvinrent que Jehan les avait assommés à coups de moellons. S’il avait trouvé ces projectiles, c’est que la plate-forme ne devait pas être bien solide. Ils se hissèrent sur cette plate-forme. Ils s’attendaient, à chaque instant, à être arquebusés d’en bas. Mais non, ils purent aller et venir d’un bout à l’autre, sans être inquiétés. Ils ne s’étaient pas trompés d’ailleurs, cette plate-forme était en assez piteux état.
Maintenant, ils entrevoyaient le moyen de s’emparer des bandits. Les trois ou quatre chenapans qui avaient eu l’idée s’en furent chercher des outils. Ils rapportèrent des pics et des pioches, avec lesquels ils se mirent à démolir le gibet, en prenant des précautions pour faire le moins de bruit possible. Ils ne voulaient pas éveiller l’attention des assiégés.
Une heure ne s’était pas écoulée depuis qu’ils avaient eu l’idée d’approcher de l’escalier, et les dix-sept hommes de Concini se trouvaient massés sur la plate-forme, travaillant avec acharnement, mais lentement, à cause des précautions qu’ils prenaient pour éviter le bruit.
Jehan, au-dessous, les entendit très bien. Il eut un sourire terrible et il murmura:
– Montez, montez tous… tout à l’heure la porte sera ouverte et vous entrerez… autant que cette cave en pourra contenir… et alors, quand tout sera plein, le volcan éclatera… Ventre de veau! si je fais le saut, je le ferai en nombreuse compagnie!
Concini et ses gentilshommes se tenaient au bas du gibet, à l’abri des balles, suivant le travail avec une impatience grandissante.
Le capitaine avait remarqué la manœuvre des hommes de Concini. Il laissait faire. Lui aussi, il avait son idée maintenant. Seulement son idée à lui était une idée de brave et loyal soldat.
Il plaça ses soldats en éventail devant le gibet… Il les plaça hors de la portée des balles. Ceci fait, il s’avança avec son lieutenant. Tous les deux, ils avaient l’épée au fourreau… Mais le capitaine portait un pétard avec lequel il voulait faire sauter la porte.
Les deux officiers marchaient bravement, droit à la porte. Depuis un moment déjà, ils étaient à portée de la balle et s’étonnaient de ne pas avoir essuyé le feu des rebelles. Ils arrivèrent à la poutre que les soldats avaient laissé tomber, à dix pas à peine du gibet. Les deux braves se demandaient non sans angoisse, quel piège se cachait sous cette apparente inaction de l’ennemi. Mais ils allaient d’un pas ferme, raides, impassibles. Et une dizaine de soldats, électrisés par cet exemple, s’étaient élancés derrière eux, décidés à partager leur sort.