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– Mais pourquoi, Alice, avez-vous dit que peut-être cet itinéraire serait changé? demanda Catherine qui, selon le moment et les besoins, tutoyait ou ne tutoyait pas la fille d’honneur.

– Je le dirai tout à l’heure à Votre Majesté.

– Voyons, mon enfant, pourquoi paraissez-vous inquiète? Vous vous êtes pourtant reposée dix jours. Et je n’ai rien dit pour les embarras que vous avez pu me causer en ne vous rendant pas immédiatement à mes ordres… Mais maintenant, il s’agit de faire bonne mine… encore un petit effort, ma petite Alice… Je n’ai confiance qu’en toi, je suis entourée d’ennemis… tu vas voir que je n’ai pas de secrets pour toi… Je vais t’apprendre une grande nouvelle… le roi veut se raccommoder tout à fait avec les huguenots… tu comprends?… et alors, ma cousine de Navarre devient alors amie… elle vient ici… à Paris… à cette cour…

À mesure que Catherine parlait, Alice devenait de plus en plus pâle.

Aux derniers mots, elle étouffa un cri que la reine feignit de ne pas entendre.

– Alors, poursuivit-elle, il faut que je fasse parvenir un message à la reine de Navarre… un message verbal, un message qui précédera les propositions officielles… tu sais bien?… Et c’est toi que je charge de cette grande mission.

Alice fit un geste comme pour interrompre la reine.

– Tais-toi, continua celle-ci. Écoute-moi bien, car tu saisis que notre temps est précieux… Tu vas partir. Dans une heure, tu trouveras à ta porte une chaise de voyage; tu mèneras grand train… jusqu’à ce que tu aies rejoint la reine… Maintenant, ouvre bien ton esprit, et grave-toi mes paroles dans la tête… Je vais te charger d’une double mission… la première, ce sera de présenter à la reine, avec toute la délicatesse nécessaire, les offres que je t’exposerai dans un instant… la deuxième, ce sera, selon les dispositions où tu la trouveras, de lui offrir… ou de ne pas lui offrir… un cadeau… un petit cadeau… qui devra venir de toi-même, tu entends… je n’y veux être pour rien… oh! rassure-toi… ce cadeau… ce sera facile… c’est simplement une boîte de gants… Tais-toi, je sais tout ce que tu pourrais objecter… tu diras, tu inventeras ce que tu voudras pour expliquer que tu sois chargée par moi du message… quant aux gants, je n’y suis pour rien… c’est toi qui les a achetés à Paris pour faire plaisir à ta bienfaitrice…

– Je supplie Votre Majesté de ne pas aller plus loin… c’est inutile! s’écria Alice.

«Elle a déjà compris les gants! songea Catherine. Et elle a peur!…»

Rapidement, elle retira le premier compartiment du coffret aux bijoux. La deuxième rangée apparut.

«Laissons-la respirer cinq minutes!» poursuivit la reine en elle-même.

– Que dis-tu de cela, ma petite Alice? fit-elle à haute voix…

– Cela?… Quoi?… ce que vous disiez, madame, balbutia Alice en passant une main sur son front.

– Eh! non… cela!… ces rubis! Regarde donc, voyons!

Sur la deuxième rangée qui venait d’apparaître rutilait un large peigne d’or que couronnaient six gros rubis dont les feux sombres et somptueux incendiaient la nuit du velours noir… C’était un royal bijou.

– Ce peigne siéra merveilleusement à tes cheveux, dit la reine. On dirait une couronne. Tu en es digne, ma fille.

Alice, d’un mouvement désespéré, tordait ses belles mains.

«Hum! le coup est rude! pensa Catherine. Les gants! Les gants! Voilà bien une affaire! Ah! les femmes de ce temps dégénèrent. Voyons… rassurons un peu cet esprit de petite fille.»

Elle prit le peigne et le fit chatoyer dans ses mains.

– Au fait, s’écria-t-elle, tu ne m’as pas dit comment tu étais arrivée là-bas… Raconte-moi un peu cela…

– J’ai fait comme il était convenu, répondit Alice avec cette volubilité fiévreuse que nous avons déjà remarquée en elle en de certaines circonstances; le conducteur a fait rouler la voiture à l’endroit que vous aviez indiqué; la voiture s’est brisée; j’ai attendu… quelqu’un est venu, ajouta-t-elle d’une voix mourante.

– Quelqu’un? fit la reine en relevant brusquement la tête.

– Un gentilhomme de la reine de Navarre. Il m’a conduit à la reine… j’ai fait le récit convenu… que j’avais voulu me convertir à la Réforme… que vous m’aviez persécutée… que j’avais résolu de me réfugier en Béarn… La reine m’a accueilli… vous savez le reste…

– Comment s’appelait ce gentilhomme?

– Je n’ai jamais su son nom, dit Alice en frissonnant. Il est parti le jour même… Ah! Majesté, vous voyez bien que je ne puis accomplir cette mission, puisque j’étais persécutée par vous… Comment la reine s’expliquerait-elle…

– Et tu dis que tu n’as jamais su son nom…

– Le nom de qui? fit Alice avec le sublime aplomb du désespoir.

– Ce gentilhomme… Ah oui! c’est vrai… il est parti le jour même… n’en parlons plus. Quant aux soupçons que pourrait avoir Jeanne d’Albret, tu n’es qu’une enfant… Tu es venue à Paris, j’ai su ta présence, j’ai su que tu étais au mieux avec la reine de Navarre et dans mon désir de conciliation, pour faire plaisir à ma nouvelle amie, c’est toi que je charge de lui dire… ce que tu vas savoir tout à l’heure… Mais parlons d’abord des gants. À propos, je t’engage vivement à ne pas les essayer toi-même, et à ne pas même ouvrir la boîte qui les contient!…

– Mais c’est impossible, madame! Je vous dis que c’est impossible!…

L’accent était cette fois si ferme, bien que la voix fût tremblante, que Catherine fixa un regard aigu sur l’espionne.

– Que vous arrive-t-il? demanda-t-elle. Dites-moi l’obstacle, nous verrons à le tourner.

– L’obstacle est infranchissable, madame. Je ne voulais pas en parler parce que je sens mon cœur se briser de honte toutes les fois que j’arrête mon esprit sur ces choses.

– Voyons! fit Catherine d’une voix rude.

Alice baissa la tête, couvrit ses yeux de ses deux mains et murmura:

– La reine de Navarre… s’est aperçue…

– Aperçue de quoi?… Êtes-vous folle?

– De ce que j’étais auprès d’elle, madame!

– Jeanne d’Albret vous a devinée! s’écria furieusement Catherine de Médicis.

– Oui, madame!

– C’est sûr?

– Oui, madame…

– Corps du Christ! gronda Catherine qui, repoussant avec violence la table devant laquelle elle se trouvait assise, se mit à marcher à travers l’oratoire.

Quelques minutes se passèrent.

Catherine réfléchissait. Son agitation se calmait peu à peu. Elle n’était pas femme à se livrer longtemps à la colère; elle revint prendre sa place et, d’une voix indifférente:

– Dites-moi, une fois pour toutes, comment la chose est arrivée.

Alice, les mains toujours sur les yeux, répondit:

– Dans l’affaire du pont… quelqu’un a jeté sur mes genoux un billet… qui me donnait des ordres… Ce billet, je ne l’ai pas vu… la reine l’a pris… elle avait déjà de vagues soupçons… ils se sont transformés en certitude… elle m’a laissé venir jusqu’à Saint-Germain, et là… elle m’a… chassée.

Il y eut un instant de silence.

L’espionne sanglotait doucement. Et ces sanglots étonnaient Catherine de Médicis qui songeait qu’il devait y avoir «autre chose» dans le cœur de la jeune fille. En effet, il y avait «autre chose»! Et Alice était bien heureuse à ce moment d’avoir ce prétexte pour laisser déborder sa douleur.

– Allons, calme-toi, reprit la reine. Après tout, tu en es quitte à bon compte. Le coup est dur… surtout pour moi. Je comprends ce que tu as dû souffrir… mais songe que tu as souffert pour le service de ta reine et de ton roi… Je devrais t’accuser de maladresse, mais je n’en ai pas le courage… vrai, ton chagrin me fait de la peine… Allons, petite Alice, du cœur, par la mort-dieu, comme dit mon fils Charles… Ne crains pas que je te renvoie… je te trouverai une occupation digne de ton intelligence… et de ta beauté… Jamais nous ne parlerons plus de la reine de Navarre… jamais!… Mais tu as encore toute ma confiance, et je vais te le prouver.

Alice frémit.

Que faire? Devancer les nouvelles propositions que Catherine s’apprêtait à lui faire? Essayer de se soustraire à cette redoutable confiance? Prétexter la fatigue, le besoin absolu de repos?… Mais elle risquait d’éveiller les soupçons de cette terrible inquisitrice, à qui il était impossible de cacher une pensée:

Alice demeurait éperdue, comme stupéfiée, incapable de révolte.

Elle attendait… Quel nouveau coup allait la frapper?…

– Voyons, reprit tout à coup la reine, te voilà plus calme. Ne songe plus au passé… je te réserve un bel avenir… tu ne peux plus m’être utile loin de Paris, tu me seras utile dans Paris, voilà tout.

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