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– Margot! s’écria Charles stupéfait.

– Elle-même! Croyez-vous qu’il refusera l’alliance? Croyez-vous que l’orgueilleuse Jeanne d’Albret elle-même ne sera pas fière et heureuse d’une pareille union?

– L’idée est admirable, en effet. Mais qu’en dira Margot?

– Marguerite dira ce que nous voudrons. À défaut de sa soumission, son intelligence nous assure de son dévouement.

– Par la mort-dieu! s’écria le roi en se levant, voilà, madame, une belle et profonde pensée… Oui, oui, cela nous assure la paix… Le Béarnais rentrant dans ma famille, et Coligny occupé aux Pays-Bas, il n’y a plus de parti huguenot!… C’est admirable, vraiment… Plus de guerre, plus de sang dans les rues de Paris… des fêtes, des chasses, des danses… Mort-dieu, madame, la jolie cour que nous allons avoir. Savez-vous que cela commençait à devenir bien triste? C’est charmant, j’en veux avoir le cœur net… faites rassembler le conseil pour demain!… Ah! je respire!

Et le roi Charles, en véritable enfant qu’il était, esquissa un pas de danse, puis saisit sa mère à pleins bras et l’embrassa sur les deux joues, puis, joyeusement, sonna à toute volée un air de chasse…

Catherine, de son air glacial, suivait toute cette expansion de joie juvénile.

Soudain, elle vit son fils pâlir. Charles porta sa main crispée à son cœur et s’arrêta, haletant. Son regard se troubla. Ses pupilles se dilatèrent.

Deux secondes, il parut en proie à quelque mystérieuse vision ou à un vertige.

Puis ses traits se calmèrent. Son regard s’apaisa. Il respira plus librement.

– Vous le voyez, ma mère, dit-il avec un triste sourire, voici une crise avortée. La joie que vous m’avez donnée me rend déjà plus fort… Ah! s’il n’y avait plus autour de mon trône ni haines sourdes ni intrigues… si nous avions enfin la paix!…

– Vous l’aurez, Charles! dit Catherine qui se leva. Reposez-vous en votre mère qui veille sur vous… J’ai donc votre approbation pour ouvrir des conférences en vue de ce mariage?

– Oui, madame, allez… Et moi, je m’en vais de ce pas voir Margot et lui faire entendre raison.

La reine mère eut un sourire aigu. Elle se retira après avoir jeté un profond regard sur son fils qui, tout joyeux et tout fredonnant, se rendit en effet chez sa sœur Marguerite.

C’est ainsi que fut décidé un acte politique qui, préparé pour assurer la paix du royaume, devait aboutir à l’une des plus atroces et des plus sanglantes tragédies qui aient épouvanté l’histoire.

Mais nous n’en avons pas fini avec ce chapitre où nous avons voulu de montrer sous un triple aspect la sombre et tortueuse politique de Catherine de Médicis. Cette troisième partie de cet épisode complétera les deux autres, et éclairera d’un jour livide la pensée qui avait guidé la reine dans son entretien avec Ruggieri, d’abord, avec Charles IX, ensuite.

Elle regagna ses appartements, lente et méditative, et entra dans son oratoire.

Cette pièce était l’antithèse de celle où nous avons d’abord introduit nos lecteurs: ici, plus de tableaux, plus de statues, plus de rideaux brochés, plus de coussins… Des murs couverts d’une sombre tapisserie, une table d’ébène, un fauteuil d’ébène aussi, un prie-Dieu, et au-dessus de ce prie-Dieu un christ d’argent massif sur sa croix noire…

– Paola, dit Catherine à une suivante italienne qui se tenait toujours à sa portée, amène-moi Alice.

Quelques instants plus tard, Alice de Lux pénétrait dans l’oratoire et exécutait une profonde révérence autant pour obéir aux règles d’étiquette que pour cacher en partie son trouble.

– Vous voilà donc de retour, mon enfant, dit Catherine avec une grande douceur. Vous êtes sans doute arrivée hier?

Alice de Lux fit un effort et répondit:

– Non, madame, je suis arrivée il y a onze jours…

– Onze jours, Alice! s’écria la reine, mais sans sévérité. Onze jours, et vous voilà aujourd’hui seulement!

– J’étais bien fatiguée, madame, balbutia la fille d’honneur.

– Oui, oui… je comprends, vous aviez besoin de vous reposer… et peut-être aussi de réfléchir un peu… de convenir avec vous-même… Mais laissons cela… je suis contente de vous, mon enfant… Vous avez admirablement compris votre mission, et je ne connais pas meilleure diplomate que vous… Alice, vous avez noblement servi mes intérêts qui sont ceux du roi et de la royauté, vous en serez récompensée.

– Votre Majesté me comble, murmura la malheureuse.

– Non, non, je ne dis que l’exacte vérité… grâce à vous, ma chère ambassadrice, j’ai pu connaître à temps et déjouer les projets de notre ennemie la plus déterminée… la reine Jeanne. Ah! à ce propos, soyez complimentée pour le choix de vos courriers… tous des hommes sûrs et diligents… et pour la rédaction de vos lettres… toutes des chef-d’œuvres de clarté… Oui, mon enfant, vous nous avez rendu de grands services… Et ce n’est pas votre faute, après tout, si ces services n’ont pas été plus loin…

– Je ne sais ce que veut dire Votre Majesté…

– Alice, comment la reine de Navarre est-elle sortie de Paris?… Car elle y est venue, je le sais… Racontez-moi donc un peu tout cela… est-ce que vous faisiez partie du voyage? Ne m’a-t-on pas dit qu’il y avait eu quelque chose comme une révolte sur le pont de bois?… J’aurais été fâchée qu’il fût arrivé malheur à ma cousine de Navarre… Voyons, que s’est-il passé?

Alice commença aussitôt le récit sommaire de l’échauffourée que nous avons racontée.

Ce récit, elle le fit en termes brefs et clairs, d’une voix monotone.

– Jésus! fit alors Catherine en joignant les mains. Est-il possible que vous ayez couru pareil danger!… Quand je songe qu’un peu plus la reine de Navarre était tuée, je ne puis m’empêcher de frissonner… car, après tout, je ne veux pas sa mort, à cette pauvre reine… il suffit que je la réduise à l’impuissance… je me défends, voilà tout… Et la preuve que je ne lui veux aucun mal, c’est que je songe à faire la paix… et que je vais vous renvoyer auprès d’elle pour préparer son esprit à un grand événement… Vous devez être reposée, mon enfant… vous pourriez partir aujourd’hui même…

En parlant ainsi, Catherine fixait un regard aigu sur Alice.

La jeune fille, la tête courbée, frissonnante, demeurait frappée de stupeur comme l’oiseau qui voit se resserrer au-dessus de lui les cercles dont le faucon cherche à l’envelopper.

– À propos, reprit tout à coup Catherine, que venait donc faire, à Paris, la reine de Navarre?

– Elle est venue vendre ses bijoux, Majesté!

– Ah! peccato ! La pauvre chère… Ses bijoux!… Tiens, tiens… Et en a-t-elle eu un bon prix, au moins?… Au fait, cela m’est égal, je ne veux pas être indiscrète… Au surplus, elle est encore bien heureuse d’avoir des bijoux à vendre… Moi, il ne m’en reste plus… que quelques-uns… et encore, ils ne sont plus à moi… je les destine à des amis… Tiens, regarde, Alice! Prends un peu ce coffret… là, sur le prie-Dieu… bon.

Alice avait obéi et déposait sur la table un coffret d’ébène que Catherine ouvrit aussitôt.

Ce coffret était agencé par rangées superposées; chaque rangée se composait d’une planchette de velours et pouvait s’enlever du coffret au moyen de deux cordons de soie adaptés à chaque extrémité.

Le coffret ouvert, le premier rang apparut aux yeux d’Alice.

Il se composait d’une agrafe de ceinture et d’une paire de pendants d’oreilles. Ces bijoux étaient incrustés de perles dont le doux éclat chatoyait légèrement sur le fond de velours.

Alice demeura indifférente et glacée. La reine lui jeta un coup d’œil en dessous, et un mince sourire erra sur ses lèvres.

«Peste! songea-t-elle. La demoiselle est devenue difficile!…»

– Qu’en penses-tu, mon enfant? reprit-elle tout haut.

– Je dis que ces bijoux sont bien jolis, madame.

– Oui, certes… L’eau de ces perles est admirable, et on y chercherait en vain un défaut… Mais que disions-nous?… J’ai tant d’affaires dans la tête… Ah oui! que la reine de Navarre avait vendu ses dernières pierreries chez… chez qui, disais-tu?

– Chez le juif Isaac Ruben, répondit Alice, qui n’avait encore rien dit de cette adresse.

– Oui, c’est bien cela que tu disais, fit Catherine. Et tu ajoutais que cette bonne reine était partie…

– Pour Saint-Germain, madame; puis pour Saintes, en passant par Tours, Chinon, Loudun, Moncontour, Parthenay, Niort, Saint-Jean d’Angély. Du moins; c’est l’itinéraire que je connaissais. Il a pu être modifié. Je crois que, de Saintes, Sa Majesté la reine de Navarre se rendra à La Rochelle.

Catherine avait attentivement écouté cette nomenclature que l’espionne avait débitée d’une voix morne, comme une leçon dont on a hâte de décharger sa mémoire.

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