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XL COMMENT M. DE PARDAILLAN FILS DÉSOBÉIT UNE FOIS ENCORE À M. DE PARDAILLAN PÈRE

Or, pendant que les mignons d’une part, Maurevert, de l’autre, célébraient ainsi la mort de leur ennemi, une aventure survenait aux deux Pardaillan, – aventure qui doit prendre ici sa place.

Ni Pardaillan père, ni Pardaillan fils n’étaient morts. Ils s’étaient bel et bien tirés de la fournaise, voici comment:

Au moment où le feu fut mis aux fascines et où les flammes s’élancèrent, une fumée blanche et odorante, de ces fumées qui montent du bois bien sec, envahit la chambre où étaient réfugiés les assiégés. Mais si odorante que fut cette fumée, elle ne les en menaçait pas moins d’une prochaine asphyxie.

Le chevalier qui piochait depuis cinq minutes s’arrêta un instant, tout en sueur. Le vieux Pardaillan s’empara alors de la pioche et continua la besogne au jugé; car on ne voyait plus rien.

Quelques minutes angoissantes s’écoulèrent ainsi. La respiration des trois malheureux devenait haletante, et déjà ils entrevoyaient la mort terrible qui les attendait là, lorsque la pioche, dans un dernier coup plus violent et comme désespéré, passa de l’autre côté du mur; un trou assez large béa…

Alors les deux hommes et Catho, qui pour la force musculaire valait deux femmes, se mirent fébrilement à arracher briques et moellons; en deux minutes, il y eut un trou suffisant pour donner passage.

Ils passèrent, un peu écorchés il est vrai, mais ils passèrent!

Il était temps: l’incendie ronflait maintenant, et les poutres, les solives crépitaient.

Les trois assiégés se trouvèrent dans une sorte de grenier où le voisin serrait ses sacs de grains pour les volailles qu’il nourrissait. Ce grenier était fermé d’une vieille porte dont on fit sauter la serrure d’un coup de pioche. Alors, ils se précipitèrent dans un escalier qui aboutissait à la cuisine du marchand de volailles.

Cette cuisine ouvrait, d’une part, sur la boutique, mais par là, on aboutissait à la rue, c’est-à-dire en plein traquenard. D’autre part, elle donnait sur une cour assez vaste, dont les quatre côtés étaient occupés par des poulaillers.

– Fuyons! dit Catho.

– Un instant, répondit le vieux Pardaillan.

– Oui, respirons! ajouta le chevalier; nous avons failli en perdre l’habitude.

– C’est-à-dire que je me souviens à peine comment on respire, reprit le routier.

Ces plaisanteries ne les empêchaient pas d’étudier activement le terrain sur lequel ils se trouvaient. La cour était clôturée de murs assez élevés. Mais il était facile de les franchir en montant sur le toit d’un poulailler.

Le chevalier, le premier, se hissa à la force du poignet, sur le poulailler du fond. Il tendit la main à Catho, qui en un instant le rejoignit; puis ce fut le tour du vieux Pardaillan. De là à la crête du mur, cela devenait un jeu. Et une fois sur le mur, ils n’eurent plus qu’à se laisser tomber sur le sol.

Ils se trouvaient alors dans un jardin de maraîcher assez vaste.

Par le fait, ils étaient sauvés.

– Que vas-tu faire? demanda le routier à l’hôtesse de l’ex-auberge, maintenant ruine fumante.

Catho eut un soupir.

– Je suis ruinée, dit-elle. Que vais-je devenir?

– Tu ne peux nous suivre: il faut nous séparer.

Le chevalier, trouvant que son père en usait peut-être avec quelque ingratitude, voulut intervenir.

– Si elle nous suit, dit le routier, nous sommes pris, et elle aussi: une bonne corde pour tous les trois! La Truanderie est à deux pas; que Catho s’y réfugie. Une fois là, elle est imprenable. Quant à nous, nous verrons. Allons, Catho ma fille, est-ce que cela ne te paraît pas juste?

– Très juste! dit-elle. Et s’il ne s’agissait que de me sauver, ce serait tôt fait. Mais que vais-je devenir sans un sou!

– Tends ton tablier!

Catho releva les coins de son tablier. Le vieux Pardaillan dégrafa sa ceinture de cuir, et non sans un soupir d’adieu, en versa le contenu intégralement dans le tablier. Les yeux de Catho s’illuminèrent.

– Mais il y a là près de cinq cents écus! s’écria-t-elle.

– Plus de six cents, ma fille!

– C’est plus que ne valait le taudis!…

– Prends toujours. Tu reconstruiras une autre auberge, et tu nous aideras peut-être un jour à la brûler aussi. Seulement, ne l’appelle plus l’auberge du Marteau qui cogne !

– Et comment faudra-t-il l’appeler?

– Dame… on nous croit morts… Appelle-la l’Auberge des deux Morts qui parlent ! Ce sera un peu long, mais poétique et sentimental. Adieu, Catho…

– Adieu, fit à son tour le chevalier, je regrette de ne rien pouvoir joindre aux écus de monsieur mon père…

– Si fait: vous pouvez y joindre votre offrande, monsieur le chevalier! s’écria vivement Catho.

– Comment cela? fit le chevalier étonné.

Catho tendit sa joue. Et cette ribaude rougit…

Le chevalier sourit et l’embrassa de tout son cœur sur les deux joues, ce qui était plus que Catho demandait.

Les deux hommes s’éloignèrent alors rapidement, franchirent la porte du jardin et se trouvèrent dans une ruelle qui aboutissait rue du Roi-de-Sicile.

Quant à Catho, elle s’enfonça aussitôt dans les voies sombres et étroites qui entouraient la Truanderie.

M. de Pardaillan père, suivit de son fils, se mit à longer vivement la ruelle et aboutit bientôt à la rue du Roi-de-Sicile; de là, tournant à droite, les deux hommes tombèrent dans la rue Saint-Antoine, grande artère de Paris d’alors.

– Ça! causons un peu de nos affaires, maintenant, dit le vieux routier. Elles me paraissent quelque peu embrouillées.

– Elles me semblent fort claires, à moi! dit le chevalier. Nous sommes tous deux en état de rébellion flagrante.

– Mais aussi, que diable allais-tu faire dans cet antre?

– Quel antre, monsieur? Le Marteau qui cogne !

– Non pas: le Louvre!… Mais ce qui est fait est fait, n’en parlons plus. J’aime cette grande clarté dont tu parles, c’est simple en effet, le gibet, le billot peut-être. Que faisons-nous?… Que dirais-tu d’une petite promenade hors Paris? Il y a longtemps, il me semble, que nous ne nous sommes promenés ensemble sur les routes du pays de France. Note, mon cher fils, que voici le printemps, et que les voyages sont en cette saison de vrais plaisirs. Je pense que tu es de mon avis sur ce point?

Ils allaient ainsi devisant paisiblement, et ne prenant pas la peine de se cacher.

D’ailleurs, la rue Saint-Antoine remplie de bourgeois, de passants, de marchands, les cachait: ils étaient perdus dans la foule assez nombreuse des piétons.

– Mon père, répondit Pardaillan, il m’est impossible de quitter Paris en ce moment.

Le vieux routier fronça les sourcils.

– Impossible! Or çà, tu veux, donc que nous soyons pendus? ou écartelés? ou roués vifs?…

– Non père, je vous supplie de partir… Quant à moi, il faut que je reste… Mais que se passe-t-il là? On entend les cris d’une femme… courons, monsieur, courons!…

En disant ces mots, le chevalier s’élança. Le vieux Pardaillan l’arrêta par le bras, et avec une sorte de chagrin sincère et de tendre sévérité, – en même temps, avec cet étonnement que lui inspiraient les façons de son fils:

– Où courez-vous encore? De quoi diable vous mêlez-vous? Ainsi, c’est donc bien vrai? Vous tenez ma vieille expérience pour nulle et non avenue? Ces bons conseils que je vous donnai, vous en faites fi? Vous ne voulez vous défier ni des nommes, ni des femmes, ni de votre cœur?

– Ah! monsieur, s’écria le chevalier, ce que j’ai vu des hommes m’oblige à les mépriser presque tous; je crains les femmes; et quant à mon cœur, je le maudis pour les mauvais tours qu’il me joue! Vous voyez donc bien que je suis vos avis, et d’ailleurs, le respect que je vous dois m’y oblige…

En parlant ainsi, le chevalier, d’une secousse, s’arracha à l’étreinte de son père et s’élança vers les cris qui devenaient plus perçants et plus effrayés. Le vieux routier demeura un instant stupéfait:

– Voilà ce qu’il appelle suivre mes avis! gronda-t-il. Je crois qu’il finira sur l’échafaud et il ne me restera que la ressource de l’y accompagner! Allons!…

Et il s’élança à son tour vers le gros rassemblement qui obstruait la rue Saint-Antoine et dans les remous duquel le chevalier venait de disparaître. Voici ce qui se passait:

À cet endroit de la rue, au-dessus de la boutique d’un marchand de simples et herbes desséchées dont l’enseigne était vouée «au grand Hippocratès», ledit marchand avait, depuis longtemps, fait creuser une niche. Dans cette niche, il avait placé une statuette en bois peint figurant un vénérable vieillard habillé à la grecque, possesseur d’une belle barbe, et qui n’était autre que le grand Hippocrate en personne. Or, peu à peu, ce personnage avait changé d’identité.

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