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XLII LA REINE MÈRE

Trois jours après la scène du Louvre, ainsi qu’il l’avait annoncé à son frère, François de Montmorency se rendit à l’hôtel de Mesmes, résolu à terminer d’un coup de foudre, cette haine de dix-sept ans. Il y alla seul, simplement précédé d’une sorte de héraut d’armes.

Le chevalier de Pardaillan avait insisté vainement pour l’accompagner.

Le maréchal traversa donc Paris dans le plus simple appareil, il avait revêtu sa cuirasse de peau de daim non tannée, et ceint une épée de combat. Ce fut dans ce costume demi-guerrier qu’il alla à la recherche de son frère. Il montait un cheval tout noir, de même que son écuyer.

On a pu remarquer déjà que dans les actes extérieurs de François, il y avait toujours une sorte d’apparat, un côté de mise en scène. Et ceci demande une explication.

François ne songeait guère à étonner les passants ou à frapper l’esprit des gens par une pompe théâtrale. Simplement, il suivait les traditions. Il représentait l’antique maison féodale des Bouchard qui avait fait trembler la royauté. Il était l’héritier direct de ce connétable qui avait porté la gloire des Montmorency à son apogée. Il se conformait de son mieux aux usages que lui avait légués le connétable.

Nous l’avons vu aller au Louvre, dans la pompe d’une véritable mise en scène comme ces époques si noires et si tristes par la pensée, mais si brillantes par les costumes et les coutumes, savaient en organiser.

Nous le voyons maintenant marcher à un combat singulier; et il y va dans l’appareil convenable.

Il était environ sept heures du soir lorsque le maréchal arriva devant l’hôtel de Mesmes.

À sept heures, c’était à peu près le moment où le soleil se couchait en cette saison; or, le maréchal avait donné trois jours de réflexion à son frère et il ne voulait pas s’exposer à s’entendre dire:

– Les trois jours ne sont pas écoulés; il s’en faut de quelques minutes encore.

François attendit donc un quart d’heure pour être tout à fait sûr qu’il était dans son droit jusqu’au bout. Et les passants virent – sans étonnement, d’ailleurs – cette double statue équestre qui semblait garder la porte de l’hôtel. Mais ceux qui reconnurent le maréchal et qui connaissaient la haine qui divisait la famille sans en soupçonner le motif, demeuré à jamais secret, ceux là se hâtèrent de passer, car il n’était pas bon de voir ce qu’il ne fallait pas voir, et les luttes de deux illustres seigneurs comme Damville et Montmorency étaient du nombre de ces choses qu’un homme avisé doit ignorer.

Lorsque François ayant regardé au loin les tours du Temple, vit que le soleil ne les dorait plus de ses derniers rayons, il fit un signe à son écuyer qui, en cette circonstance, remplissait les fonctions de héraut d’armes.

Sans descendre de cheval, l’écuyer sonna du cor.

La grande porte de l’hôtel demeura fermée. Toutes les fenêtres étaient closes. La sombre demeure paraissait abandonnée.

Il y eut un nouvel appel de cor, puis un troisième.

Le silence demeura profond.

Aux environs, quelques têtes se montrèrent un instant à des fenêtres, puis disparurent aussitôt.

Alors, sur un nouveau signe du maréchal, le héraut d’armes mit pied à terre et heurta rudement le marteau de la porte.

Un judas glissa dans sa rainure.

– Qui demandez-vous? fit une voix.

– Nous demandons, dit le héraut, Henri de Montmorency qu’on appelle duc de Damville.

– Que lui voulez-vous? reprit la même voix.

– Nous venons lui demander justice pour une injure dont il nous frappa. Que s’il refuse, nous en appellerons au jugement de Dieu.

La porte s’entrebâilla. Un officier aux armes de Damville sortit, se découvrit, s’inclina devant François et dit:

– Monseigneur, je suis fâché d’avoir à vous apprendre une mauvaise nouvelle: l’hôtel est vide depuis hier. Mon maître, Mgr de Damville, sur ordre exprès de Sa Majesté le roi, a dû subitement quitter Paris.

François pâlit et jeta un sombre regard sur l’hôtel.

– Monseigneur, reprit l’officier, que s’il vous plaît vous reposer en cette demeure, je m’empresserai, autant que la circonstance et l’absence de tous serviteurs le permettent, d’y exercer vis-à-vis de vous les lois de l’hospitalité.

François regarda le héraut, qui répondit:

– Nous refusons l’hospitalité offerte.

L’officier, alors se couvrit, rentra dans l’hôtel et referma la porte. Alors le héraut sonna du cor, et par trois fois appela à haute voix Henri de Montmorency, seigneur de Damville.

Puis il mit pied à terre, s’approcha de la grande porte et dit:

– Henri de Montmorency, nous sommes venus te demander raison d’une injure grave. Nous t’avons prévenu que nous serions à ta porte ce soir. Nous déclarons que tu as fui lâchement, nous te déclarons félon, et nous te laissons notre gant en signe de défi, tant est juste notre cause!

À ces mots, François déganta sa main droite.

Le héraut prit le gant; dans la sacoche de son cheval, il prit un marteau et un clou; et s’approchant alors de la grande porte de l’hôtel, il y cloua le gant.

Puis il remonta à cheval.

Quelques minutes encore, François de Montmorency attendit pour voir si ce suprême outrage serait relevé par son frère, car il ne doutait pas qu’il ne fût en réalité dans l’hôtel.

Puis, voyant que la porte demeurait fermée, et n’entendant aucun bruit, il se retira.

À ce moment, deux hommes se montrèrent au coin même de cette ruelle où le chevalier de Pardaillan avait tenté son attaque contre le maréchal de Damville: c’était le chevalier lui-même et le comte de Marillac.

En effet, dès que François de Montmorency eut quitté son hôtel, le chevalier en était sorti presque aussitôt, et avait couru rue de Béthisy, où il avait trouvé le comte. En deux mots, il lui avait raconté la tentative qu’allait faire le maréchal. Marillac n’avait en somme, que peu d’intérêt à aider Montmorency, malgré la sympathie qu’il éprouvait pour lui. Mais en revanche, il s’était mis une fois pour toutes à la disposition du chevalier, pour lequel son amitié et son admiration allaient grandissant. Aussi n’hésita-t-il pas à suivre son ami qui l’entraîna à l’hôtel de Mesmes.

– Si le maréchal entre dans l’hôtel, expliqua Pardaillan, et que nous ne le voyions pas en sortir, nous y entrerons à notre tour, et il faudra bien qu’on nous dise ce qu’il est devenu.

– Je ne crois pas qu’il entre, fit le comte. Je connais assez Damville pour supposer qu’il voudra éviter une entrevue de ce genre.

Les deux jeunes gens, cachés dans une encoignure, assistèrent donc à la scène que nous venons de retracer.

– Vous voyez que j’avais deviné juste, dit le comte de Marillac lorsque le maréchal fut parti.

Ils revinrent alors vers l’hôtel Coligny, le comte pensif, le chevalier inquiet de cette profonde inquiétude qui serre la gorge, et qu’il cachait sous ce masque de froideur et ces saillies qui lui étaient habituelles. En arrivant devant l’hôtel Coligny, Pardaillan tendit sa main et annonça qu’il retournait près du maréchal. Mais le comte le retint.

– Voulez-vous, dit-il, me faire un grand plaisir?

– Je le veux de tout cœur, si la chose est possible; et même si elle était impossible, je crois que je voudrais tout de même.

– La chose rentre dans l’ordre des possibilités courantes, cher ami; il s’agit simplement de dîner avec moi ce soir. Il est environ huit heures; nous irons dans une guinguette que je connais et où vous ne risquerez pas d’être vu; puis, vers neuf heures, je vous emmènerai quelque part où je meurs d’envie de vous présenter à une personne…

– À qui donc? fit le chevalier en souriant. L’autre soir, vous m’avez présenté à un roi, à un prince et à un amiral. Je vous préviens que je ne veux pas déchoir et qu’il me faut un personnage d’importance…

– Jugez-en, dit gravement le comte: c’est ma fiancée.

– Une reine, alors, dit le chevalier avec non moins de gravité. Ah! mon cher, votre présentation de ce soir vaut à elle seule les trois de l’autre jour.

– Ainsi, vous acceptez? Vous êtes libre ce soir?…

– Je suis libre, mon ami; mais fussé-je enfermé à la Bastille, que pour avoir l’honneur d’être présenté à celle que vous appelez votre fiancée, je démolirais au besoin la Bastille!

– Et je vous y aiderais, mon ami.

Devisant ainsi, et se disant le plus simplement du monde de ces choses énormes, les deux amis, bras dessus bras dessous, se dirigèrent vers la guinguette signalée par le comte et où ils dînèrent d’aussi bon appétit que s’ils n’eussent pas eu l’un et l’autre des motifs de préoccupation assez terribles pour enlever l’appétit au plus robuste mangeur.

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