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XXVI LA LETTRE DE JEANNE DE PIENNES

Nous ramenons un instant nos lecteurs auprès de dame Maguelonne – la vieille propriétaire de la maison où habitaient Jeanne de Piennes et sa fille. On a vu que cette digne matrone s’était rendue à l’auberge de la Devinière , comment elle y avait appris l’arrestation du chevalier de Pardaillan qui concordait si étrangement avec celle de ses deux locataires et comment elle était rentrée chez elle fort effrayée de savoir que sa maison avait été un nid de conspiration huguenote.

Sa première pensée fut de brûler la lettre qui lui avait été confiée par Jeanne de Piennes.

La terreur de passer pour complice la talonnait. Mais dame Maguelonne était femme, vieille et dévote. Or, si l’on songe que la curiosité d’une dévote est au carré de la curiosité d’une vieille femme qui n’est pas bigote, que la curiosité d’une vieille est elle-même au carré de la curiosité d’une jeune femme; et qu’enfin la curiosité d’une jeune femme représente déjà un chiffre respectable dans la proportion des sentiments humains, ce petit travail de mathématique arrivera à donner une haute idée de la curiosité qui talonnait dame Maguelonne. Que si du point de vue arithmétique nous passons au point de vue sentimental, nous constaterons que cette vénérable femme tremblait d’épouvante à la pensée qu’on pourrait trouver chez elle cette lettre – et que, cependant, elle ne la brûla pas!

Lorsque, au bout de trois ou quatre jours de combat contre sa peur, dame Maguelonne se fut enfin résolue à ne pas brûler ce papier, elle eut à subir un nouveau combat.

En effet, dès qu’elle était seule, elle courait fermer sa porte et ses fenêtres, allait prendre la lettre, s’asseyait, et passait des heures entières à se demander:

«Que peut-il bien y avoir là-dedans?»

La bonne dame dépérissait.

Ce papier, mille et mille fois, elle le tourna en tous sens, en gratta les joints avec son ongle, essaya au moyen d’une épingle de soulever le repli. Tant il y eut qu’à la fin la lettre s’ouvrit.

Dame Maguelonne demeura un instant saisie. Puis, elle s’écria:

– Ce n’est pas moi qui l’ai ouverte!

Sa conclusion fut:

– Je puis donc lire!

Elle lisait déjà, d’ailleurs, à l’instant où elle hésitait encore à s’en accorder l’autorisation.

Le pli contenait un mot adressé au chevalier de Pardaillan, et une lettre qui portait une suscription… Par le mot, la Dame en noir suppliait le chevalier de faire parvenir la lettre à son adresse.

Et cette adresse, c’était: «Pour François, maréchal de Montmorency.»

La vieille dame demeura stupéfaite et remplie de remords. En effet, elle voyait clairement qu’il n’y avait pas la moindre connivence entre la Dame en noir et le chevalier de Pardaillan; d’où sa stupéfaction. Et d’autre part, sa curiosité demeurait inassouvie, puisqu’il y avait une deuxième lettre à ouvrir; d’où son remords.

Que pouvait-il bien y avoir de commun entre la Dame en noir et le maréchal de Montmorency?

Voilà la question qui commença à tourmenter la vieille dévote.

Héroïquement, elle résista plusieurs jours à l’envie démesurée de savoir ce qu’une pauvre ouvrière comme sa locataire pouvait bien avoir à dire à un grand seigneur comme François de Montmorency.

Enfin, elle n’y tint plus.

Un jour que, pour la millième fois, elle se répétait qu’elle n’avait pas le droit d’ouvrir la lettre, et que la Dame en noir serait en droit de lui faire de sanglants reproches quand elle serait relâchée, sa décision fut prise tout à coup: elle courut à la lettre, la déposa sur une table, s’assit et fit sauter le cachet.

À ce moment, elle bondit.

On venait de heurter à sa porte.

Au même instant, cette porte s’ouvrit. La vieille jeta un cri de terreur, Dans son impatience, elle avait oublié de s’enfermer. Et quelqu’un entrait.

Et ce quelqu’un, c’était le chevalier de Pardaillan!

– Vous! cria dame Maguelonne en couvrant de ses mains tremblantes les papiers restés sur la table.

Le chevalier demeura un instant étonné.

«Cette vieille me connaît donc», songea-t-il.

Puis saluant avec cette gracieuse politesse dont il avait le secret:

– Madame, dit-il, rassurez-vous, je ne vous veux aucun mal; pardonnez-moi seulement d’entrer ainsi chez vous et de vous avoir effrayée peut-être… un grave intérêt m’a fait oublier un instant les convenances.

– Oui, la lettre! fit la vieille réellement effarée.

– Quelle lettre? demanda Pardaillan de plus en plus étonné.

Dame Maguelonne se mordit les lèvres; elle venait de se trahir; elle essaya maladroitement de cacher les papiers, mais Pardaillan les avait vus et ne les perdait plus des yeux.

– Vous n’êtes donc plus en prison? reprit la vieille pour se donner du temps.

– Vous le voyez, madame; il y avait erreur, et l’erreur ayant été reconnue, on m’a aussitôt relâché. Et ma première visite est pour vous, ma chère dame. Vous pouvez d’un mot me soulager d’une grande inquiétude.

«Il ne me parle pas de la lettre», songea la dévote.

– Ou tout au moins, acheva Pardaillan, m’aider à fixer l’incertitude qui me fait un mal affreux.

– Pauvre jeune homme!… Parlez, je vous répondrai de mon mieux.

– Il y a dix jours, madame, j’ai été arrêté et conduit à la Bastille à la suite d’une erreur qui, comme vous le voyez, n’a pas tardé à être reconnue. Or, au moment même où mon logis était envahi, deux personnes qui demeurent chez vous étaient menacées d’un grand danger, puisqu’elles m’appelaient à leur secours. Je sais que ces deux personnes ont été enlevées violemment le jour même de mon arrestation…

– Au même moment.

– C’est cela! Eh bien, madame, pouvez-vous me donner à ce sujet le moindre renseignement? Comment s’est fait cet enlèvement?

Pardaillan parla avec une émotion qui gagnait la vieille femme.

– Je vous dirai tout ce que je sais, fit-elle. La Dame en noir et sa fille Loïse ont été arrêtées, dit-on, parce qu’elles complotaient avec vous.

– Avec moi!

– Mais il est bien évident qu’elles étaient innocentes, les pauvres chères créatures, puisque vous l’êtes vous-même…

– Et, dites-moi, qui est venu les arrêter?

– Des soldats, un officier…

– Un officier du roi?…

– Dame, je ne sais pas trop… ah! s’il s’était agi de religieux, j’aurai tout de suite reconnu le costume.

– Le duc d’Anjou n’était pas parmi ces gens?

– Oh non! fit la vieille, effrayée.

Pardaillan garda le silence. Il comprenait qu’il ne saurait rien de cette vieille. Le mystère, loin de s’éclairer, devenait plus difficile à débrouiller…

– Vous n’avez aucune idée, reprit-il, de l’endroit où on a pu les emmener?

– Pour cela, non… j’étais si troublée, vous comprenez.

– Mais, fit tout à coup le chevalier, lorsque je suis entré, vous avez parlé d’une lettre. Est-ce que ces malheureuses femmes auraient écrit?

Les mains de la vieille se crispèrent sur les papiers qu’elle avait fini par faire tomber sur son tablier.

– C’est-à-dire… balbutia-t-elle.

– Voyons, madame, qu’est-ce que ces papiers que vous froissez?

– Monsieur, ce n’est pas moi qui les ai ouverts, je vous le jure! s’écria la vieille.

Et d’un geste convulsif, elle tendit les papiers à Pardaillan qui les saisit avidement… D’un coup d’œil, il parcourut la lettre qui lui était adressée.

– Cette chère dame m’a fait promettre de vous remettre ces écrits, continuait dame Maguelonne avec volubilité, je vous jure que je me suis aussitôt rendue à la Devinière pour tenir ma promesse, mais vous étiez arrêté, je les ai donc précieusement gardés…

– Personne ne les a vus? fit Pardaillan d’une voix tremblante.

– Personne, mon cher monsieur, personne au monde… Je vous le jure sur la Vierge…

– Qui donc les a ouverts?…

– Eh! ils se sont ouverts tout seuls! répondit-elle avec l’aplomb du désespoir, ils étaient mal cachetés…

– Mais vous les avez lus?…

– Un seul, monsieur, un seul! Celui qui vous était destiné…

– Et l’autre?

– La lettre du maréchal de Montmorency?

– Oui.

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