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XLIX LE DIAMANT

Comment Jeanne de Piennes et sa fille Loïse se trouvaient dans cette maison de la rue Montmartre, comment et pourquoi elles intervinrent dans la scène que nous venons de retracer, c’est ce que le lecteur avait le droit de se demander, et c’est ce que nous avons le devoir de lui dire.

Le séjour des deux prisonnières dans le logis de la rue de la Hache avait été aussi triste qu’on peut l’imaginer; mais la souffrance morale n’avait été compliquée d’aucune souffrance physique. Alice de Lux se maintenait dans son rôle de geôlière; elle s’y maintenait avec honte, avec désespoir, et elle tâchait au moins d’atténuer ce qu’il y avait d’odieux dans ce rôle. Dans les rares occasions où elle eut à s’entretenir avec la dame de Piennes, elle se présenta plutôt en servante qu’en gardienne. Les prisonnières qui l’avaient d’abord redoutée, finirent par la prendre en pitié.

Les jours et les nuits s’écoulèrent mornes, désolés.

Cependant, cette claustration au fond de deux pièces étroites avait altéré la santé de Jeanne de Piennes. Elle résistait au mal avec cette vaillance qu’on lui connaît. Mais enfin tant de violentes secousses, tant de chagrins, une si longue douleur qui semblait s’enfoncer plus profondément en elle à mesure qu’elle avançait dans la vie, avaient fini par l’atteindre au cœur.

Ses yeux s’élargissaient, cernés d’un cercle bleuâtre: Une grande faiblesse, peu à peu, s’emparait d’elle.

On peut dire que cette infortunée ne vivait plus que par un effort d’énergie morale et d’amour maternel. Jeanne de Piennes n’était plus que mère. Son dernier rêve était de mettre sa fille en sûreté… mourir ensuite!

Oui, elle envisageait maintenant la mort comme le suprême repos. En effet, son dernier espoir s’était évanoui. Quel espoir? La lettre qu’elle avait écrite à François de Montmorency!

Elle ne doutait pas que cette lettre n’eût été remise. En interrogeant Alice de Lux, elle avait pu se convaincre que le maréchal était à Paris. Il lui semblait impossible que François n’eût pas reçu cette lettre touchante où elle avait raconté la vérité sur la tragédie de Margency. Et François n’était pas accouru à son secours! François l’abandonnait, la croyait encore coupable!

Il est vrai qu’il avait pu la chercher sans la trouver; mais cela même lui paraissait impossible. Dans sa lettre, elle accusait si hautement Henri de Montmorency que, fatalement, il avait dû apparaître à François comme le ravisseur. En dernière ressource, le maréchal eût pu en appeler à la justice royale.

Aucune intervention ne s’était produite: depuis qu’elle avait été arrachée à son logis de la rue Saint-Denis, toujours il n’y avait eu autour d’elle que silence. Un moment, elle s’était raccrochée à cet espoir que le chevalier de Pardaillan n’avait pas remis la lettre. Elle s’exerça à lui supposer assez de perversité pour ne pas remplir la mission dont il s’était chargé, comme le père avait été assez pervers, jadis, pour exécuter l’enlèvement de Loïse.

Mais à force d’y songer, elle s’affirmait que cela même était impossible. Tantôt elle se disait qu’un homme si jeune, qui aimait probablement sa fille, ne pouvait être arrivé encore à ce degré de méchanceté. Tantôt elle se disait que l’intérêt même du chevalier devait l’avoir poussé à accomplir sa mission. Elle en arriva donc à admettre que François de Montmorency l’abandonnait. Et cette affreuse conviction qui enlevait le secret espoir de sa vie activa la maladie qui la rongeait.

Quant à Loïse depuis qu’elle savait que ce jeune homme en qui elle avait eu si naïvement confiance était le fils de l’homme qui l’avait enlevée jadis, elle faisait d’inutiles efforts pour le détester ou pour l’oublier. Telle était la situation morale des deux femmes, lorsqu’un soir Alice de Lux monta chez elles.

Elle était plus pâle encore que d’habitude. Jeanne et Loïse la considéraient avec un effroi mêlé de pitié. Alice se tint debout devant la Dame en noir, les yeux baissés.

– Madame, dit-elle, rendez-moi au moins cette justice que j’ai tout fait pour adoucir votre captivité.

– Cela est vrai, dit Jeanne, et je ne me plains pas.

– Une abominable circonstance de ma malheureuse vie, madame, m’a obligée à me faire geôlière.

– Vous me l’avez dit, pauvre femme, et je vous ai plainte de tout mon cœur…

– Ainsi, dit Alice qui frissonna légèrement, lorsque vous serez libre vous ne vous en irez pas en me maudissant… vous ne conserverez aucune haine contre moi?

Jeanne secoua amèrement la tête.

– Libres!… Hélas!… le serons-nous jamais?

– Vous l’êtes!

Un tressaillement agita Jeanne de Piennes. Loïse pâlit.

– Vous êtes libres toutes deux, reprit Alice avec une calme fermeté; cette circonstance dont je vous parlais n’existe plus. Adieu, madame… adieu, chère demoiselle… puissiez-vous garder pour moi plus de pitié que de ressentiment!… Je vous délivre de ma présence qui doit vous être odieuse… Cette porte est ouverte… les portes du bas le sont également… Adieu!

À ces mots, Alice de Lux se retira. La mère et la fille demeurèrent un instant comme accablées de la triste joie qu’elles éprouvaient. Puis, elles s’embrassèrent dans une étreinte pleine d’effusion. À ce moment, une pensée fit tressaillir Jeanne de Piennes. Elle allait se trouver avec sa fille sans aucune ressource, sans logis, sans pain. Retourner à la maison de la rue Saint-Denis, c’était sans aucun doute retomber au pouvoir d’Henri de Montmorency. Elles étaient libres, soit! mais où aller?

Jeanne comprenait qu’elle n’aurait plus la force de travailler pour sa fille, comme jadis. Ainsi, cette liberté qu’on lui offrait n’était qu’un changement de désespoir. Elle y gagnait seulement de ne plus redouter Henri de Montmorency.

– Qu’allons-nous devenir? ne put-elle s’empêcher de murmurer.

– Ma mère, dit bravement Loïse, comme si elle eût suivi pas à pas la pensée de Jeanne, vous avez travaillé pour nous deux; maintenant, ce sera mon tour, voilà tout!… Et quant au plus pressé, nous avons encore ce beau diamant que vous m’avez montré plus d’une fois.

– Ce diamant, ma chérie! Écoute, tu venais de m’être enlevée, je pleurais, je courais comme une folle, il me semblait qu’on m’avait arraché le cœur, qu’on m’avait enlevé l’âme de ma vie, et je comprenais que j’allais mourir, lorsque cet homme se présenta dans la cabane; il te portait dans ses bras et te tendit à moi en prononçant quelques paroles, et pendant que délirante de joie, je te mangeais de caresses, cet être généreux, dont jamais je n’oublierai le loyal regard rempli de larmes, disparut… Il disparut, ma Loïse, mais sa rude et franche physionomie est restée dans ma mémoire… Tu sais combien je vénère cet homme; tu sais que la gratitude que je lui ai vouée est égale à l’horreur que m’inspire l’abominable Pardaillan… Or, écoute maintenant… Je te pris dans mes bras et je partis pour Paris. Je ne songeais pas alors que j’étais sans ressources, comme aujourd’hui!… Dans la forêt, je fus rejointe par un cavalier… M’ayant interrogée, ayant compris que je ne possédais rien au monde, ce généreux cavalier déposa sur ta poitrine ce beau diamant, ce présent dont la richesse est dépassée à mes yeux par la richesse de cœur de celui qui me l’offrit… qui nous l’offrit… Ce cavalier, Loïse, c’était lui! C’était l’homme qui t’avait ramenée dans mes bras!

– Vous me l’avez dit, mère!

– Dans la misère où je me trouvai alors, je ne voulus jamais me défaire de ce diamant qui me rappelait le généreux inconnu. C’est tout ce que j’ai de lui, puisque je ne sais même pas son nom… le diamant, Loïse, nous le garderons pieusement.

– Oui, mère… vous avez raison.

– Et puis, écoute, mon enfant… qui sait si un jour, il ne servira pas à te faire reconnaître de cet homme au cœur d’or… Si je n’étais plus là… Si je mourais…

– Mère!… s’écria Loïse dans un cri déchirant.

– Calme-toi, ma chérie. J’espère vivre encore assez pour te voir heureuse… mais, enfin, si ce malheur t’arrivait d’être privée de ta mère avant l’heure…

– Mère, mère, taisez-vous, vous me brisez le cœur…

– Eh bien, il se pourrait que ce diamant te servît alors, soit que tu le vendes, soit qu’il te fasse reconnaître de ce digne ami inconnu qui, j’en suis sûre, te viendrait en aide… Gardons-le, mon enfant… Allons… partons…

À ce moment, Alice de Lux reparut devant Jeanne de Piennes.

– Madame, dit-elle d’une voix altérée, pardonnez-moi d’avoir entendu une partie de votre entretien; je ne dis pas que je l’ai entendu malgré moi… j’ai écouté… ceci est un des malheurs de ma vie: j’ai pris, j’ai dû prendre l’habitude d’écouter autour de moi…

Une larme glissa sur les joues pâles de l’espionne. Jeanne considérait cette malheureuse avec une sorte de terreur. Qu’était-ce que cette étrange femme qui avait dû prendre l’habitude d’écouter autour d’elle!…

– Quoi qu’il en soit, continua avec effort Alice de Lux, j’ai entendu. Vous vous trouvez sans ressources, j’aurais dû y songer; je suis riche, madame, plus riche que je ne le voudrais; je possède deux ou trois maisons dans Paris. Voulez-vous accepter l’une d’elles pour refuge?

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