Литмир - Электронная Библиотека
A
A

XLIV LES CAVES DE L’HÔTEL DE MESMES

Nous laisserons pour le moment M. de Pardaillan fils poursuivre le cours de ses recherches, pour nous occuper de M. de Pardaillan père. Qu’était-il devenu? Pourquoi n’avait-il pas cherché à revoir le chevalier? Avait-il suivi le maréchal de Damville en quelque retraite, au fond d’une province? Telles étaient les questions que se posait inutilement le chevalier; mais s’il lui était impossible de les résoudre, notre devoir est de leur donner prompte réponse, grâce à ce don d’ubiquité qui est un des charmes du roman.

Pour cela, nous nous transporterons à l’hôtel de Mesmes le lendemain du jour où François de Montmorency, accompagné de son héraut d’armes, vint faire sa provocation.

Henri, caché derrière un rideau de fenêtre, avait assisté à la provocation sans faire un geste. Seulement, il avait pâli lorsque le héraut avait cloué le gant à la porte. L’insulte était grave et définitive. Mais peut-être Damville ne jugeait-il pas le moment venu de la relever, car il donna l’ordre de laisser le gant où il était.

D’ailleurs, l’hôtel devait passer pour inhabité. La plupart des domestiques avaient été envoyés dans une autre maison que le maréchal possédait dans la rue des Fossés-Montmartre, non loin des marais de la Grange-Batelière. La petite garnison de l’hôtel y avait été envoyée aussi. En sorte qu’il n’y avait plus autour de Damville que trois ou quatre soldats, un officier, le vieux Pardaillan et deux domestiques. Jeannette, promue au rang de cuisinière, faisait à manger à tout ce petit monde en prenant les précautions nécessaires toutes les fois qu’elle sortait. L’hôtel était, d’ailleurs, fortement approvisionné.

D’Aspremont, blessé, avait été porté dans la maison des Fossés-Montmartre.

Le lendemain de la provocation, donc, le maréchal de Damville, qui avait pour Orthès tout autant d’affection qu’il en pouvait avoir pour quelqu’un, alla voir le blessé et eut avec lui une longue conversation où il fut surtout question de Pardaillan. Le maréchal rentra pensif à l’hôtel de Mesmes et fit appeler Pardaillan.

– Monsieur de Pardaillan, lui demanda-t-il, savez-vous quelles personnes se trouvaient dans la voiture qui a été attaquée la nuit où nous sommes sortis d’ici?

– Je ne m’en doute pas, monseigneur! fit Pardaillan qui tressaillit.

– Savez-vous qui avait intérêt à attaquer cette voiture?

– Là-dessus, je puis vous répondre puisque vous m’en avez instruit vous-même: votre frère, le maréchal.

– Oui. Et ne m’avez-vous pas affirmé que votre fils ne peut être à moi, parce qu’il est à mon frère?

– En effet, monseigneur… mais ces questions…

– Attendez, monsieur. Vous m’avez dit que vous aviez poursuivi l’homme qui nous avait attaqués…

– Jusqu’à la porte Bordet, monseigneur.

– Où vous l’avez proprement doué d’un coup d’épée, n’est-il pas vrai?

– C’est exact, monseigneur, fit le vieux Pardaillan qui, tortillant sa moustache d’un doigt fiévreux, commençait à s’échauffer.

– Eh bien, fit brusquement le maréchal, l’homme que vous avez tué se porte à merveille!

– Ah! ah! voilà du nouveau, dit froidement le vieux routier qui, d’un geste rapide, s’assura que sa dague et sa rapière étaient en bonne place et prêtes à fonctionner.

– Vous voyez que je suis bien renseigné. Mais je sais aussi autre chose. Voulez-vous que je vous en instruise?

– Monseigneur est aujourd’hui d’une obligeance dont je lui serai toujours reconnaissant.

– Bon. Savez-vous comment s’appelle l’homme que vous n’avez pas poursuivi jusqu’à la porte Bordet, que vous avez accompagné bras dessus bras dessous jusqu’au cabaret du Marteau qui cogne , que vous n’avez nullement cloué d’un coup d’épée, et qui vient rôder autour de l’hôtel, en sorte que je le ferai prendre et ficeler?

– Je serais charmé de le savoir, monseigneur.

– Eh bien, il s’appelle le chevalier de Pardaillan, et c’est votre fils!

– Le même qui vous tira des mains des truands? interrogea le vieux routier avec une ingénuité d’une insolence admirable.

Le maréchal demeura un moment sans voix. Il s’attendait à voir pâlir Pardaillan, et Pardaillan lui riait au nez.

Il eut un mouvement de rage. Le vieux routier dégaina à moitié sa dague.

– Ne nous fâchons pas, reprit sourdement Damville ou du moins, pas encore. Voyons: ce que je viens de vous dire est-il exact?

– Du moment que vous le dites, monseigneur, je serais bien audacieux d’affirmer le contraire. Vous dites que mon fils vous a attaqué, cela doit être. Vous dites que je l’ai accompagné. C’est possible. Il ne me reste qu’à vous féliciter d’avoir été si bien renseigné. Je vous croyais entouré de gentilshommes et de combattants; vous êtes entouré de gens de police, à ce qu’il paraît. Vous m’apparaissiez comme un chef de guerre ou un chef de parti; vous vous révélez chef de sbires.

– Pardaillan!…

– Monseigneur!

Les deux hommes se mesurèrent du regard. Et cette fois encore ce fut le tout puissant seigneur qui baissa les yeux devant l’aventurier, Pardaillan continua:

– Mon langage vous déplaît, monsieur le maréchal. Est-ce ma faute… Comment! Je me trouve en présence de la pire solution! Pour vous rester fidèle, je risque de devenir l’ennemi de mon fils, c’est-à-dire l’être que j’aime et admire le plus au monde! Je m’efforce à concilier vos intérêts avec les siens! Pour ne pas vous donner une inutile inquiétude, je me mets en frais d’imagination! Et vous venez me reprocher de n’avoir pas cloué mon enfant d’un coup d’épée. Par la mort-Dieu, monseigneur, ma rapière est prête à fournir le coup demandé, à ceux qui vous ont si bien renseigné. Il n’y aura de changement qu’en la personne du mort, voilà tout.

Le maréchal considérait d’un œil sombre l’intrépide pauvre diable qui le regardait, de son côté, avec une éclatante audace.

– Pardaillan, fit-il tout à coup, la question n’est pas là…

– Où est-elle donc, monseigneur?

– Votre fils doit savoir quelles personnes se trouvaient dans la voiture?

– Je l’ignore, monseigneur!…

– Allons donc! Ne vous mettez pas en nouveaux frais d’imagination! Non seulement il le sait, mais il a dû vous le dire!

– Vous vous trompez, monseigneur!

Le maréchal s’avança de deux pas rapides vers Pardaillan, et plongeant son regard ardent dans ses yeux comme pour essayer de lui arracher la vérité, il reprit d’une voix que la fureur faisait trembler:

– Et qui sait si vous n’êtes pas d’accord avec lui! qui sait si tous deux vous ne m’avez pas suivi, espionné; oui, espionné; monsieur l’homme fidèle, vous me trahissez! Vous et votre fils, vous savez où a été la voiture! vous savez qui elle contenait! Et dans votre repaire, dans votre cabaret, un cabaret de truands, vous avez sans doute combiné quelque plan. Le fils chez Montmorency, le père chez Damville… la chose s’arrangeait d’elle-même… monsieur de Pardaillan, vous et votre fils, je vous tiens pour des misérables!…

Le vieux routier se redressa un peu pâle.

– Monseigneur, dit-il d’une voix terriblement paisible, je tiendrai cet outrage pour nul et non avenu tant que vous n’aurez pas relevé le gant qui pend encore à votre porte.

Damville bondit, fou de fureur et se précipita la dague haute sur Pardaillan…

Henri de Montmorency souffrait en ce moment même plus qu’il n’avait souffert à la minute où il avait vu le héraut de François clouer le gant à sa porte: souvent le rappel d’une injure fait plus de mal que l’injure elle-même.

En outre, le soupçon que les Pardaillan avaient découvert la retraite de Jeanne de Piennes lui était insupportable. Dès le début de cet entretien, il était résolu à se débarrasser du père en attendant qu’il pût se débarrasser du fils.

Le reproche de Pardaillan fut le prétexte à la tuerie.

Le vieux routier n’avait pas fini de parler que, brisant d’un geste violent la chaînette qui supportait sa dague, il se jeta sur lui.

Pardaillan l’attendit de pied ferme. Le bras du maréchal qui s’était levé ne retomba pas sur lui, il le saisit au poignet; il tordit ce poignet, le broya, l’arme s’échappa. Henri jeta un hurlement.

– Monseigneur, dit Pardaillan, je pourrais vous tuer, c’est mon droit; je vous laisse vivre pour que vous puissiez vous laver de l’outrage de Montmorency; remerciez-moi!

Il était effrayant, tout pâle, les poils de sa rude moustache hérissés, les yeux étincelants, immobiles.

– C’est toi qui vas mourir! rugit Henri. À moi! À moi!…

– Bataille, donc! fit Pardaillan qui, d’un geste large, tira sa rapière.

À ce moment, tout ce qui restait de monde dans l’hôtel se ruait dans la pièce aux cris du maître. Pardaillan vit qu’il avait devant lui six hommes armés, sans compter le maréchal.

159
{"b":"88973","o":1}