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XX L’HÔTEL DE MESMES

Selon la promesse qu’elle avait faite, dame Maguelonne, sans même rentrer chez elle, passa tout droit à la Devinière dès que les deux carrosses eurent disparu à un tournant de rue.

Dame Maguelonne était comme toutes les vieilles femmes qui n’ont rien à faire: elle passait son temps à espionner. Elle avait donc parfaitement remarqué le jeune cavalier qui faisait de si longues stations à sa fenêtre; elle avait fini par savoir à quelle adresse allaient les regards du jeune homme, et comme elle était au mieux avec l’une des servantes de l’hôtellerie, elle l’avait adroitement questionnée et elle avait ainsi appris depuis longtemps tout ce qu’on pouvait savoir du chevalier de Pardaillan, alors que Loïse ignorait jusqu’à son nom.

La vieille dévote flaira donc une affaire d’amour dans laquelle elle allait se trouver mêlée.

Et quoi de plus excitant pour la curiosité d’une vieille confite en dévotion!

Ce fut donc les yeux baissés, mais l’esprit en éveil, qu’elle entra à la Devinière et dit à sa voisine, dame Huguette Landry Grégoire:

– Je voudrais parler au chevalier de Pardaillan.

– Le chevalier de Pardaillan! s’écria maître Landry qui avait entendu. Mais vous n’avez donc rien vu.

– Non… je ne sais rien… Que se passe-t-il?…

– Ah! ah! du nouveau! Toute la rue ne parle que de ça. Il est vrai que de votre côté, vous deviez être fort occupée. En voilà des événements!…

– Mais que se passe-t-il donc, au nom du ciel?

– Eh bien, le terrible Pardaillan… Pardaillan le pourfendeur, Pardaillan le matamore, eh bien, il est arrêté!

– Arrêté! fit la vieille en pâlissant – non pas qu’elle s’intéressât au sort du chevalier, mais déjà elle craignait d’être compromise.

Huguette Landry fit tristement signe que son mari disait l’exacte vérité, tandis que l’aubergiste, radieux, tout rouge de joie, ou peut-être simplement du feu de ses fourneaux, reprenait:

– C’est bien son tour! Ça lui apprendra à saisir les bons bourgeois par le collet et à les tenir suspendus dans le vide! Ah! mais… c’est bien fait.

– Et qu’a-t-il fait?

– Il paraît qu’il conspirait avec les damnés huguenots, fit Landry à voix basse et en regardant autour de lui, comme si le seul fait de savoir un pareil secret pouvait lui attirer d’innombrables calamités.

Pour le coup, dame Maguelonne se mit à trembler.

Elle se retira précipitamment, rentra chez elle et enfouit la lettre qui lui avait été confiée dans une cachette.

«Tout devient clair! songea-t-elle. C’étaient bien des huguenotes, et elles conspiraient avec le parpaillot d’en face! Et moi qui allais devenir sans le savoir une ennemie de notre sainte religion! Une bonne neuvaine à saint Magloire peut seule m’absoudre de ce péché mortel…»

Pendant que ceci se passait rue Saint-Denis, le carrosse qui emportait Jeanne de Piennes et sa fille arrivait sans encombre à l’hôtel de Mesmes, entrait dans la cour sombre et triste où l’herbe poussait entre les pavés, et la porte se refermait.

L’officier fit alors descendre les deux femmes…

Jeanne jeta autour d’elle un rapide regard.

Mais comme sa seule terreur, à ce moment, était d’être séparée de sa fille qu’elle tenait serrée contre elle, elle ne remarqua même pas que la prison où on venait de la conduire ressemblait fort peu à une prison.

L’hôtel était lugubre, il est vrai.

Mais la maison la plus sinistre, si on la compare à la prison la plus gaie, conserve encore une allure de cordialité et d’honnêteté qu’il est impossible à une prison d’afficher malgré tous ses efforts.

Les deux femmes, en se serrant l’une contre l’autre, suivirent l’officier qui les conduisit au premier étage.

Il s’arrêta devant une porte, et dit en s’inclinant:

– Veuillez entrer là: ma mission est terminée, et je souhaite de n’avoir rien dit ni rien fait qui puisse m’attirer votre colère.

Jeanne de Piennes répondit par un signe de tête, et poussa la porte.

Dès qu’elle fut entrée avec sa fille, cette porte se referma.

Elles entendirent le bruit de la clef.

Cette fois, elles étaient bien prisonnières.

Mais cette fois aussi, Jeanne eut cette impression très nette qu’elle n’était pas dans une prison.

La pièce où elles venaient d’être enfermées était de belles dimensions et richement meublée. Les murs étaient couverts de tapisseries; sur ces tapisseries, Jeanne remarqua l’emplacement de deux cadres qu’on avait enlevés et l’idée lui vint que ces cadres avaient sans doute contenu des portraits.

Au fond de la pièce, il y avait une porte ouverte. Elle donnait sur une chambre à coucher au bout de laquelle se trouvait une deuxième chambre à coucher. Et c’était tout. Cela composait un appartement de trois pièces spacieuses dont toutes les fenêtres donnaient sur la cour de l’hôtel. Ces fenêtres n’étaient pas grillées, mais Loïse s’étant approchée de l’une d’elles constata que la cour, tout à l’heure déserte, était maintenant occupée par deux fonctionnaires qui se promenaient, la hallebarde au poing.

Une terreur croissante envahissait Jeanne de Piennes.

Plus elle observait que cette prison n’était en somme qu’un luxueux logement, et plus elle s’épouvantait du mystère de cette arrestation.

Elle revint dans la première pièce, et se laissa tomber dans un fauteuil.

– Une lettre! s’écria Loïse en désignant du doigt un papier qui se trouvait sur la table.

Elle s’en saisit et lut:

«Les prisonnières n’ont aucun mal à redouter. Si elles désirent quoi que ce soit, elles n’ont qu’à agiter la cloche qui se trouve près de cette lettre. Une femme de chambre est à leur service et accourra au premier signal. C’est cette femme qui servira aux prisonnières leurs repas. Il y a toutes chances pour que cet emprisonnement ne dure que quelques jours.»

– Qu’est-ce que tout cela signifie? murmura Loïse. Heureusement, mère, il ne semble pas que nous soyons dans une prison!

– Mieux vaudrait peut-être cent fois que nous fussions en réalité dans une maison du roi.

– Que voulez-vous dire, ma mère! On ne semble pas mal disposé à notre égard.

Jeanne secoua la tête, comme pour chasser de terribles soupçons qui lui venaient.

– Attendons, mon enfant, attendons. Nous saurons bientôt à quoi nous en tenir. Mais en attendant, j’ai une grave confidence à te faire.

– Dites, ma mère, fit Loïse en s’asseyant près de Jeanne.

– Mon enfant, il s’agit de ce jeune cavalier.

Loïse rougit.

– Il est donc bien vrai que tu l’aimes! s’écria douloureusement Jeanne.

Loïse baissa la tête.

La mère garda quelques minutes le silence, comme si maintenant elle eût hésité à parler.

– Nous savons son nom, à présent, reprit-elle lentement.

– Oui. Dame Maguelonne nous l’a appris. Il s’appelle le chevalier de Pardaillan.

Et Loïse prononça ces mots avec une telle tendresse que Jeanne tressaillit.

– Le chevalier de Pardaillan! murmura-t-elle avec accablement.

– Mère! mère! s’écria Loïse, on dirait en vérité que ce nom ne vous est pas inconnu et qu’il vous cause quelque secret chagrin dont je ne me rends pas compte… Et j’y songe! Déjà, tout à l’heure, lorsque dame Maguelonne a prononcé ce nom, vous avez jeté un cri où il y avait de l’angoisse, et, eût-on dit, presque de la terreur… Vous vous êtes évanouie, mère! Et lorsque vous êtes revenue à vous, je vous ai interrogée en vain… Oh! je tremble… il me semble que je vais apprendre quelque chose d’affreux!…

– Oui… affreux! dit machinalement Jeanne comme si elle se fût répondu à elle-même.

– Oh! parlez, ma mère!

– Il le faut, mon enfant, ma fille adorée… il le faut pour que tu sois sauvée…

– Vous m’épouvantez, ma mère!

– Écoute, ma Loïse. Lorsque tu naquis, ta pauvre mère avait déjà éprouvé bien des malheurs. De terribles catastrophes s’étaient abattues sur elle. En sorte, Loïse, que si tu n’avais pas été là, je serais morte alors de douleur et de désespoir. Tu ne pourras jamais comprendre à quel point je t’adorais…

– Mère, je n’ai qu’à vous regarder pour m’en rendre compte! fit Loïse tremblante.

– Chère enfant!… Oui, je t’aimais comme je t’aime maintenant. Je t’aimais plus que moi-même, plus que tout au monde, puisque je t’aimais plus que lui!…

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