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– C’est pardieu vrai!… Ah! vous n’avez pas de chance, maître Grégoire. J’ai tout donné à Catho!… Ne prenez pas votre air bégueule: Catho n’est pas une de mes maîtresses… Enfin, ce sera pour une autre fois.

– Laissez au moins le cheval! larmoya Landry. Je comptais sur ce cheval pour me payer!

– Oui, mais moi, j’ai besoin de lui pour guérir la blessure de M. le vicomte d’Aspremont!

Sur ce, le vieux Pardaillan sauta en selle et s’éloigna au trot rapide de Galaor, laissant l’aubergiste effaré et morfondu.

Bientôt il arriva à l’hôtel de Mesmes, fit placer Galaor à l’écurie par Gillot qui reconnut aussitôt l’ancienne monture du maréchal, et se demanda grâce à quel sortilège ce cheval, qui avait disparu tout à coup, était ramené par l’homme qui lui voulait couper les oreilles. En effet, Pardaillan ne manqua pas de lui dire:

– Souviens-toi, mon ami, que j’ai une envie démesurée de tes oreilles. Si tu tiens à les conserver, ce en quoi tu aurais tort, car elles sont bien laides, tâche que Galaor soit bien étrillé et que sa mangeoire ne chôme pas!

À partir de ce moment, Gillot devint mélancolique, vécut dans le chagrin d’avoir bientôt à perdre ses oreilles, et porta un bonnet de coton enfoncé jusqu’au cou; en sorte que Jeannette, après l’avoir jusque-là trouvé hideux, le trouva grotesque.

Cependant, le vieux Pardaillan s’était rendu au cabinet du maréchal.

– Je vous attendais, dit celui-ci. Nous avons diverses questions à régler.

– D’abord la question d’Aspremont? fit Pardaillan.

– Oui; je vous avais recommandé de vous faire son ami, et voici qu’on me le ramène en triste état; vous me privez d’un fidèle serviteur…

– Je vous en ramène un autre, monseigneur.

– Où est-il? fit vivement le maréchal.

– À l’écurie, monseigneur. Si j’osais vous faire une prière, ce serait de descendre avec moi jusqu’à vos écuries, car le serviteur dont je vous parle ne voudrait pas ou ne pourrait pas monter ici.

Le maréchal, intrigué, acquiesça d’un geste et suivit Pardaillan.

Celui-ci descendit dans la cour, ouvrit la porte de l’écurie et montra du doigt, sans rien dire, Galaor attaché à son râtelier.

– Mon ancien destrier de bataille! fit le maréchal étonné. Qui l’a ramené?… Vous?…

– Moi, monseigneur. Il m’a été donné comme vous l’aviez donné; et celui qui vient de m’en faire présent, c’est celui-là même qui, certain soir où vous étiez attaqué par des truands, vous prêta main forte. Il paraît qu’il était grand temps, et que sans lui, peut-être n’aurais-je pas l’honneur de vous parler en ce moment…

– C’est vrai; cet inconnu m’a sauvé la vie, dit le maréchal.

– Est-ce que vous n’êtes pas quelque peu curieux de savoir son nom?

– Si fait, par la mort-dieu!

– Eh bien, c’est le chevalier de Pardaillan, fils unique et héritier de votre humble serviteur!

– Venez! dit le maréchal qui, sortant de l’écurie, remonta rapidement à son cabinet, agité, silencieux, tandis que le vieux routier l’examinait en dessous, en souriant dans sa rude moustache grise. Enfin, le duc de Damville se jeta dans un fauteuil, regarda fixement son compagnon, et dit:

– Expliquez-moi tout d’abord votre duel avec Orthès…

Pardaillan qui s’attendait à une autre question, tressaillit. Si fin qu’il fût, il ne devina pas que le maréchal voulait se donner le temps de réfléchir, et répondit:

– Mon Dieu, monseigneur, c’est bien simple: lorsque je suis arrivé ici, M. d’Aspremont m’a regardé et m’a parlé d’une façon qui m’a déplu. Je le lui ai dit. En galant homme qu’il est, il a compris. Aujourd’hui, nous avons trouvé l’occasion de nous exprimer en douceur toute l’estime que nous avons l’un pour l’autre. Et, afin de rendre nos expressions plus piquantes et nos arguments mieux sentis, nous avons laissé la parole aux épées. Je crois qu’en causant trop vivement, M. d’Aspremont s’est mis en sueur… seulement, il a sué rouge; voilà toute l’affaire, monseigneur…

– Ainsi, pas de haine entre vous? Une simple querelle, comme m’a dit Orthès?

– Pas la moindre haine, dit sincèrement Pardaillan.

– Bon. Venons-en donc à Galaor, c’est-à-dire à votre fils. Vous dites que c’est lui qui, si heureusement, me prêta main-forte?

– La preuve, monseigneur, c’est qu’il m’a donné Galaor en signe de reconnaissance.

– Votre fils, mon cher, est un vrai brave. J’en ai eu aujourd’hui encore une preuve. Vous m’aviez promis de me l’amener.

Le vieux routier réfléchit un instant; et, pour dérouter entièrement le maréchal, pour demeurer plus fort que lui dans cette minute où de si graves décisions allaient sans doute être prises, il résolut d’employer l’arme la plus redoutable: la vérité.

En effet, les hommes sont si habitués à se mentir les uns aux autres et à considérer le mensonge comme le meilleur moyen de tromper un adversaire, qu’il est facile de les tromper en disant la vérité. Celui qui dit la vérité est peut-être plus impénétrable que celui qui ment avec la plus terrible habileté. Pardaillan, pour cette fois, et tout instinctivement, fut donc sincère.

– Monseigneur, dit-il, j’ai proposé à mon fils d’être à vous: il ne l’a pas voulu parce qu’il est déjà à M. de Montmorency. Expliquons-nous donc une bonne fois à ce sujet. Mon fils, monseigneur, a surpris un redoutable secret, vous ignorez lequel et je vais vous le dire: il a assisté à votre entrevue de l’auberge de la Devinière . Il a donc tout lieu de redouter votre colère ou la terreur de quelqu’un de vos acolytes, monsieur de Guitalens, par exemple. Il est persuadé que si vous le teniez, vous l’enverriez à la Bastille d’où il s’est échappé par miracle. Voilà les bonnes et solides raisons qu’il m’a données pour ne pas venir ici. En outre, comme je vous le disais, il est à Montmorency. Or, je suis à vous, moi! Il en résulte que je me trouve dans la nécessité ou de vous trahir, ce qui serait abominable, ou de devenir l’ennemi de mon fils, ce qui me paraît plus impossible encore. La situation étant ainsi posée aussi nettement que je l’ai pu, je dois en tirer des conclusions franches… Ou vous m’avez engagé pour faire campagne contre le roi, ou vous avez espéré autre chose de moi. Si vous me demandez de rester dans notre traité, je demeure pour vous un compagnon loyal, fidèle, et, j’ose le dire, de quelque valeur. Si, au contraire, sous le couvert d’une lutte politique, votre dessein est de m’employer à vos guerres de famille, je m’en vais, monseigneur. Car, à aucun prix, je ne serai l’ennemi de mon fils.

Le maréchal avait écouté ces paroles avec une indicible satisfaction.

– Mais, demanda-t-il, pourquoi le jeune homme est-il contre moi?

– Il n’est pas contre vous, il est avec Montmorency, voilà tout. Il vous en veut si peu, monseigneur, et il a si peu envie de chercher à vous nuire, qu’il va quitter Paris dès ce soir…

– Et pourquoi diable quitte-t-il Paris?… Pardaillan, franchise pour franchise. Il est très vrai que j’ai eu un instant l’idée de le rendre à Guitalens, dont il a surpris la conversation avec moi, je veux que le diable m’écorche vif, si je sais comment! (Le vieux routier sourit en lui-même et prit un air des plus étonnés.) Mais tel que je le vois, tel que je l’ai vu, le chevalier est incapable de trahir un secret… Son audace à pénétrer ici même, l’attitude qu’il a eue chez le roi, la façon dont il est sorti du Louvre et qu’il a dû vous raconter (Pardaillan fit un signe affirmatif), tout enfin, sans compter qu’il m’a sauvé, sans compter ce que vous venez de me dire, tout fait que je désire ardemment l’avoir parmi nous… Pardaillan, votre fils a le génie de la bravoure; mais il est pauvre, seul, sans appui. Amenez-le moi: je l’enrichis, je le marie, j’en fais un personnage dans la prochaine cour de France…

– Vous oubliez, monseigneur, qu’en raison même de cette attitude qu’il a eue au Louvre, il est poursuivi, traqué, et qu’il lui faut quitter Paris sous peine d’être pendu.

Damville sourit:

– Dans mon hôtel, dit-il, le chevalier sera plus en sûreté que dans le château où sans aucun doute mon frère l’envoie. Dites-le lui, Pardaillan, il faut qu’il reste.

– Mais, si je ne me trompe, il doit déjà être parti. La chose pressait, monseigneur. En effet, voici ce qui nous est arrivé.

Ici, Pardaillan raconta le siège du Marteau qui cogne , récit que le maréchal écouta avec une admiration stupéfiée.

– Vous voyez, acheva le vieux routier, qu’il était temps que le chevalier quittât Paris.

– Mais alors, vous êtes tout aussi compromis que lui! Pourquoi êtes-vous resté?

– Parce que je vous avais promis de vous aider, monseigneur, dit simplement Pardaillan.

Le maréchal tendit sa main au vieux routier qui s’inclina, plutôt pour cacher son sourire que par respect.

Ce fut ainsi que Pardaillan père fit sa rentrée à l’hôtel de Mesmes, et grâce à sa sincérité rusée, il se trouva plus en faveur que jamais. Ce fut ainsi que les deux Pardaillan, après avoir failli se trouver sans gîte, eurent définitivement chacun un véritable palais pour demeure.

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