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Au discours du vieux routier, le chevalier répondit en secouant la tête – non qu’il se fût fait les réflexions sans aucun doute intempestives que nous venons d’exprimer – mais simplement, il ne voulait pas quitter Paris parce que Loïse était à Paris. Du moins, il avait la conviction qu’elle y était.

– Ainsi, reprit le père, tu refuses encore de me suivre?

– Mon père, je vous l’ai déjà dit: plutôt que de quitter Paris, je mourrais.

– Bon, bon… j’en reviens donc à ma première question: cherchons un gîte!

– Je crois, monsieur, en avoir trouvé un, fit le chevalier.

– Voyons. Est-ce quelque bel arbre bien feuillu? Quelque auberge dont l’hôtesse n’aurait rien à te refuser?

– Rien de cela, monsieur: c’est un palais, l’hôtel de Montmorency. Le noble duc m’a offert l’hospitalité. Allons la lui demander pour tous deux. J’ai des raisons de croire qu’il nous accueillera avec joie.

– Ouais, tu oublies donc, chevalier, que j’enlevai jadis sa fille et que ce digne maréchal doit avoir conservé quelque bonne dent contre ton père?

– Vous vous trompez; s’il y a eu rancune, cette rancune est maintenant évanouie.

– Je ne m’y fie pas. Mais enfin, puisque tu as l’hospitalité chez Montmorency, que ne le disais-tu plus tôt? Cela m’eût épargné des inquiétudes. Voilà donc ton gîte tout trouvé.

– Le vôtre aussi, mon père. Car, pour rien au monde, je ne consentirais à dormir dans un bon lit, sachant que vous êtes à la dure.

– Ne t’inquiète pas de moi. Du moment que tu as un gîte, le mien est tout trouvé aussi.

– Et c’est?

– Pardieu, l’hôtel de Mesmes! Allons, chevalier, je t’accompagne jusqu’au bac, et puis je prendrai le chemin du Temple. Nous aurons ainsi un pied dans l’un et l’autre camp. Et si j’apprends du nouveau en ce qui concerne les deux prisonnières en question, tu en seras aussitôt informé.

Ce plan, après réflexion, parut le plus simple et le meilleur au chevalier qui l’adopta aussitôt.

Par une sorte de bravade outrancière, mais non sans prendre quelques précautions, les deux Pardaillan longèrent le Louvre; le chevalier montra à son père la fenêtre par laquelle il avait sauté.

En arrivant au bac qui était presque en face le palais que Catherine faisait bâtir sur l’emplacement de l’ancienne Tuilerie, le père et le fils s’embrassèrent; le bateau étant à ce moment sur l’autre rive, le chevalier dut attendre quelques moments et en profita pour dire à son père:

– Monsieur, vous m’avez déjà rendu le service d’aller à la Devinière pour en ramener mon chien Pipeau. Or, j’y ai laissé un autre ami auquel je tiens assez… surtout en raison du nom qu’il porte et du souvenir qu’il me rappelle en ce moment.

– Serait-ce un autre chien?

– Non, monsieur, c’est un cheval.

– Diable! Mais nous sommes riches. Un cheval vaut de l’argent, s’il est bon…

– Il est excellent. Mais gardez-vous de le vendre, mon père!

– Et pourquoi?

– Parce qu’il s’appelle Galaor! fit en souriant le chevalier.

– Galaor! réfléchit le vieux routier. Galaor… où ai-je entendu ce nom-là?… Galaor… j’y suis! C’est aux Ponts-de-Cé… M. de Damville me racontait l’histoire d’une aventure à lui arrivée, et où il avait été sauvé. Ah çà! mais c’est donc toi qui a sauvé Damville!…

Le chevalier sourit.

– Et tu ne le disais pas! Vive Dieu!…

– Mon père, c’est qu’en cette circonstance, je vous avais si parfaitement désobéi…

– Je le crois bien que je ne le vendrai pas! Mort-diable, Galaor, c’est peut-être la fortune!…

À ce moment, le bac accostait, et le chevalier embarqua, tandis que le vieux routier, tout joyeux, tout courant, prenait le chemin de la Devinière

Le chevalier poussa un soupir (c’était son jour de tristesse!) en songeant qu’en cette aventure, il avait eu, en effet, bien tort de désobéir à son père, que s’il n’avait pas secouru Damville, celui-ci eût sans doute succombé, et que s’il avait succombé, il n’eût pas enlevé Loïse!… (On n’a pas oublié que le soir où il était intervenu contre les truands qui attaquaient Damville, le chevalier avait su le nom de l’homme qu’il venait de sauver, par le vieux serviteur qui escortait le maréchal. Pour toutes sortes de raisons, dont la principale était une sorte de délicatesse, le chevalier n’avait pas encore parlé de cette affaire à son père. Mais dans les circonstances présentes, il pensa que son père n’en serait que mieux accueilli de Damville, s’il revenait à l’hôtel de Mesmes, monté sur Galaor.)

En arrivant à l’hôtel de Montmorency, le chevalier, suivi de Pipeau, se fit conduire au maréchal.

– Monseigneur, lui dit-il simplement, la personne à qui je comptais demander l’hospitalité n’est pas à Paris…

Sans rien dire, le maréchal prit le chevalier par la main et le conduisit dans une chambre magnifique.

– Chevalier, lui dit-il alors, un soir, le roi Henri II, père de notre sire actuel, vint rendre visite à M. le connétable de Montmorency. Comme il s’attarda à causer guerre et batailles avec le connétable, et qu’il ne voulut point s’en retourner au Louvre, il coucha dans cette chambre, dans laquelle, depuis, nul n’a dormi. Ce sera la vôtre, car je vous estime à l’égal d’un roi et je vous remercie de l’insigne honneur que vous me faites.

Là-dessus, le maréchal sortit pour donner l’ordre que le chevalier fût considéré comme un hôte d’importance.

Le jeune homme était demeuré tout étourdi de cette réception, qui était bien loin de tout ce qu’il avait pu imaginer de plus favorable et son étonnement durait encore lorsqu’il vit entrer le suisse qui, humblement, venait se mettre à sa disposition pour ce qui concernait le service de la grande porte, dit-il.

– Seulement, ajouta le géant, j’oserai faire une question à monsieur le chevalier.

– Faites, mon ami…

– Est-ce que le chien demeurera ici?… Ce que j’en dis, c’est pour lui préparer une pâtée convenable.

Le chevalier ne put s’empêcher de rire.

– Pipeau, dit-il, fais tes excuses à ce digne gardien, et tâche de le respecter désormais.

Pipeau aboya joyeusement.

– La paix est faite! dit le chevalier. Vous pouvez vous rassurer…

Le digne Suisse se retira enchanté.

Pendant ce temps, M. de Pardaillan père arrivait à la Devinière , tout courant, se précipitait dans les cuisines et demandait d’une voix empressée:

– Où est Galaor?…

– Galaor? fit Landry stupéfait. Il est à son écurie. Mais cet homme que vous avez blessé…

– Quelle écurie, mort-diable! interrompit Pardaillan.

– À droite de la cour, dit l’aubergiste effaré. La plus belle de nos écuries, monsieur! Mais cet homme…

Le vieux routier n’entendait plus. Déjà il courait à l’écurie indiquée, suivi de maître Landry qui lui désigna un beau cheval aubère à tête fine et intelligente.

– Voici Galaor! dit-il. Mais le blessé…

– Vous m’ennuyez, maître Landry, avec votre vicomte d’Aspremont, s’écria Pardaillan qui commençait à seller Galaor. Est-ce ma faute s’il est tombé sur la pointe de mon épée? Eh bien, voyons, est-il mort.

– Je ne voulais pas dire que ce fût de votre faute, monsieur…

– Eh bien, alors? Voyons, hâtons-nous! Passez-moi la bride… bon, merci! Ce pauvre vicomte! J’ai le regret de l’avoir tué…

– Mais il n’est pas mort, monsieur!

– Diable!… Ah! le misérable! Et qu’en avez-vous fait?

– C’est ce que je voulais vous dire. Après votre départ, quand il eu repris sens, il a dit que la chose vous coûterait cher!

– Bah! vraiment? fit le vieux routier en tirant Galaor par la bride.

– Et qu’il vous tirerait autant de pintes de sang que vous lui en avez tiré de gouttes.

– Ce sera difficile. Il ne m’en reste pas tant!

– Et il a voulu être porté à l’hôtel de Mesmes!

– Diable, diable!… fit Pardaillan qui s’arrêta court et se mit à réfléchir.

– Bah! s’écria-t-il tout à coup, Galaor arrangera tout cela!

– Galaor arrangera la blessure de M. le vicomte? demanda l’aubergiste ahuri.

– Oui… Allons, adieu, maître Landry, et sans rancune!

– Comment, sans rancune, balbutia l’aubergiste en essayant de sourire. Mais, monsieur, vous m’aviez dit… vous m’aviez laissé espérer… vous saviez bien… ce vieux compte?… Et même vous aviez frappé sur votre ceinture, qui avait rendu un son bien agréable.

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