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– La constante inquiétude d’une mère, Charles, ne désarme jamais devant les apparences de la sécurité.

– Et moi, par la mort-dieu, je vous dis que je me porte à merveille! N’en parlons donc plus. Quant à ces gens dont je parlais et qui se réjouissent en secret dès que j’ai la colique, ils sont partout et jusque dans ce palais!

– Vous voulez parler de messieurs les huguenots, mon fils. Eh bien! je voulais justement vous entretenir à leur sujet. Si cela vous convient, sire, le moment serait bon…

Et Catherine jeta un regard significatif sur trois ou quatre personnes de l’entourage royal qui, au moment où la reine mère était entrée, s’étaient respectueusement retirées dans un coin.

Le roi eut un haussement d’épaules impatienté et se tourna vers ces personnes.

– Messieurs, dit-il, la reine veut m’entretenir… Maître Pompéus, vous reviendrez dans une heure pour ma leçon d’armes… Ah! apportez-moi donc quelques-unes de ces lames arabes dont vous me parliez… Maître Crucé, nous causerons demain de ferronnerie; je veux voir ce nouveau modèle de serrure que vous avez inventé; messieurs, à bientôt.

Le maître d’armes, Crucé, les gentilshommes sortirent après une profonde salutation à la reine.

Au moment où Crucé salua, il échangea avec Catherine un rapide regard.

– Je vous écoute, madame! fit alors Charles IX en se jetant sur les coussins d’un vaste fauteuil. Ici, Nysus! Euyalus!

Deux magnifiques lévriers qui, depuis l’entrée de la reine, n’avaient cessé de gronder sourdement, vinrent se coucher près du roi qui machinalement se mit à les taquiner de sa main pendante.

– Charles, dit alors Catherine, est-ce que l’état de votre royaume ne vous paraît pas lamentable? Est-ce que vous ne pensez pas que cette longue dispute, ces guerres funestes où succombent l’un après l’autre les meilleurs gentilshommes de l’un et l’autre parti ne finiront pas par appauvrir l’héritage que vous tenez de votre père et que vous devez transmettre intact à vos successeurs?

– Si fait, pardieu! Je trouve que c’est vraiment payer trop cher le plaisir d’entendre la messe, que de voir succomber tant de braves qui eussent pu trouver un plus utile emploi de leur vie et de leur sang à notre service!

– J’aime à vous voir dans ces dispositions, sire, fit Catherine avec un sourire.

– Je ne m’étonne que d’une chose, madame; c’est que ces dispositions semblent vous étonner. N’ai-je pas toujours prêché que la paix devait se faire entre les deux religions? N’ai-je pas témoigné mon horreur du sang versé en faisant crier édits sur édits dans les rues de Paris contre les gens qui se veulent battre? Enfin, n’est-ce pas moi qui ai voulu que la paix fût signée à Saint-Germain?… C’est donc votre attitude et non la mienne qui est surprenante. Car voici du nouveau! C’est vous qui venez me prêcher la concorde, alors que j’ai dû toujours résister à votre robuste appétit de guerre et de massacre!

– Comme vous me connaissez mal, mon fils!…

– Eh! madame, je ne demande qu’à mieux connaître ma mère! s’écria Charles avec amertume. Mais avouez que si je vous connais si mal, c’est que d’autres de vos enfants ont eu la meilleure part de votre confiance…

Catherine, comme dans toutes les circonstances où elle était embarrassée, fit semblant de ne pas avoir entendu.

– D’ailleurs, reprit-elle avec mélancolie, j’ai passé ma vie à être méconnue… Mais, mon fils, je ne vous apprends rien de nouveau, je crois, en vous disant que j’ai voulu la guerre pour avoir la paix.

– Oui, oui, je connais vos raisons: détruisons les huguenots, jusqu’au dernier, et nous serons tranquilles… Vous avez vu le beau résultat que nous avons obtenu. Malgré Jarnac, malgré Moncontour où mon frère d’Anjou s’est couvert de gloire à ce que m’a assuré Tavannes (Catherine se mordit les lèvres), malgré dix victoires, nous avons vu le vieux Coligny [21] nous repousser à Arnay-le-Duc avec une nouvelle armée, pousser jusque sur les bords du Loing et menacer peut-être Paris si je ne l’avais arrêté par l’offre d’une paix honorable. Ces guerres seront toujours à recommencer. Les réformés battus sur un point reparaissent plus forts sur un autre.

C’en est assez, par la mort-dieu! J’entends que ma volonté soit faite, que tous vos muguets et mignons cessent de provoquer les huguenots, et que ces moines damnés comme votre Panigarola… Nous verrons bien, pardieu! ajouta tout à coup Charles IX en se levant, qui commande à Paris! Ces mignons fieffés, je les ferai mettre à la Bastille! Tant pis pour mon frère s’il en pleure! Et quant à vos moines, je les mettrai à la raison. Et pour commencer, votre Panigarola, je l’arrête!…

Le jeune roi s’exaltait. Il se promenait avec agitation. Aux derniers mots, il marcha sur Catherine d’un air si menaçant que la reine se leva, de son côté, en étendant le bras.

– Eh! mon fils, s’écria-t-elle, avec un rire forcé, on dirait vraiment que c’est à votre mère que vous en voulez!…

Charles IX s’arrêta soudain; une légère rougeur monta à son front généralement pâle comme cire.

– Excusez-moi, madame, dit-il en reprenant place dans son fauteuil. Ces gens m’exaspèrent à la longue. Quant à croire que vous soyez menacée dans mon Louvre, j’espère qu’une pareille pensée n’a pu naître en vous…

– Non, mon fils… et c’est une simple façon de parler. Mais si vous m’en croyez, vous n’arrêterez personne, pas plus Panigarola que Maugiron ou Quélus…

– Je les arrêterai, si bon me semble, madame! J’arrêterai Henri s’il le faut! qu’on y prenne garde, ma patience a des bornes.

– Bon! fit la reine, vous parlez de paix, et vous ne rêvez qu’arrestations jusque dans votre famille!

Mais déjà Charles IX, avec un grand geste de lassitude, se renversait dans son fauteuil.

L’explosion de colère qui venait de lui échapper avait brisé sa faible énergie.

Catherine l’attendait là.

– Vous n’arrêterez personne, dit-elle, si je vous donne un bon moyen d’assurer la paix générale.

– Et vous auriez trouvé ce moyen, madame?

– Je l’ai trouvé.

– Et il ne s’agit pas de quelque bon carnage, de quelque bataille nouvelle, de quelque levée de troupes et d’argent?

– Rien de tout cela, mon fils! fit la reine avec un sourire maternel.

– Je vous écoute, madame, dit Charles en s’armant de défiance.

– Voici longtemps que j’y songe. Pendant que vous me croyez occupée à rêver de guerre comme je ne sais quelle héroïne, je ne suis qu’une pauvre mère cherchant à assurer le bonheur de ses enfants, insista-t-elle sur un mouvement de Charles. Et voici ce que j’ai trouvé, mon fils: les huguenots ne sont plus rien, ou du moins cessent d’être dangereux, s’ils n’ont plus Henri de Béarn et Coligny.

– Vous songeriez donc à…

– Attendez, mon fils. Je dis que, privés de ces deux chefs, les huguenots ne pourraient plus vous faire la guerre.

– Mais, madame, ce n’est pas à moi qu’ils la font!

– Soit! Mais ils la font!… Supposez maintenant que Coligny et Henri de Béarn fassent leur soumission.

– Jamais ils n’y consentiront!

– Eh bien! s’écria Catherine triomphante, j’ai trouvé mieux que de leur arracher une soumission qui serait peut-être hypocrite. J’ai trouvé le moyen d’en faire les amis les plus ardents du roi, ses alliés!

– Par la mort-dieu, madame, j’avoue que si vous avez trouvé cela, je vous admirerai.

– Bien. Écoutez-moi, en ce cas. Que pensez-vous que ferait le vieux Coligny si vous lui donniez une armée pour aller défendre dans les Pays-Bas ses coreligionnaires massacrés par le duc d’Albe?

– Je dis qu’il tomberait à mes pieds. Mais, madame, ce serait la guerre avec l’Espagnol!

– Nous causerons de cela en conseil, mon fils. Je sais un moyen d’éviter la guerre avec l’Espagne qui est et doit rester notre amie fidèle. Ceci acquis, êtes-vous décidé à faire à l’amiral la proposition que je vous dis?

– Oui, morbleu! et même au prix d’une guerre avec l’Espagne, car après tout, mieux vaut guerre de frontière que guerre intestine!

– Bien. Vous admettez qu’en ces conditions l’amiral est à nous? Voilà donc les brouillons du parti huguenot qui n’ont plus de chef et viennent se ranger autour de vous.

– Sans doute. Mais Henri de Béarn? demanda avidement Charles IX.

– Ah! voilà où mon idée a du bon! Henri de Béarn est votre ennemi… eh bien, j’en fais plus que votre ami, j’en fais votre frère…

– Henri n’est pas plus mon ennemi que l’amiral, madame. C’est nous qui, jusqu’ici, les avons poussés à la guerre. Avouons nos torts… mais enfin, je serais curieux de savoir comment le Béarnais peut devenir mon frère…

– En épousant votre sœur… ma fille Marguerite! fit Catherine triomphante.

[21] Vaincu à Moncontour, Coligny battit les catholiques à La Roche-Abeille et à Arnay-le-Duc, avant de signer la paix de Saint-Germain (1570).


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