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Il la roula autour du morceau de carreau qu’il avait brisé, monta sur l’escabeau, et le cœur battant, reprit sa place à la fenêtre, ou plutôt à la lucarne.

Tout de suite, son regard tomba sur Pipeau qui, lui aussi, montait sa faction, mélancolique et fidèle.

– C’est le moment! murmura Pardaillan avec un frisson d’angoisse dont il ne fut pas maître.

Et d’une voix éclatante, il appela:

– Pipeau!…

De l’endroit où il se trouvait, il pouvait entrevoir un coin de la porte d’entrée. Au cri qu’il poussa, il vit les sentinelles lever la tête.

– Cela marche! gronda-t-il.

Et avec plus de force encore, il cria:

– Pipeau! Attention!…

Au même instant, prenant une légère reculée, il lança violemment dans l’espace un morceau de carreau enveloppé de son papier blanc.

L’instant qui suivit fut pour lui une seconde d’effroyable angoisse. Livide, la sueur au front, il vit le papier rouler sur le sol, Pipeau le saisir, les gardes se précipiter à la poursuite du chien.

Et ce fut seulement lorsqu ‘il les vit revenir qu’il descendit de l’escabeau.

Il s’assit, passa les deux mains sur son front et murmura:

– Si le chien a lâché le papier devant les gardes, je suis perdu!

Sa liberté, son amour, sa vie se jouaient sur un coup du hasard…

Bientôt, un bruit de pas précipités retentit dans le corridor.

Pardaillan était pâle comme un mort.

La porte s’ouvrit violemment: le gouverneur apparut, entouré de gardes; Pardaillan se suspendit pour ainsi dire à ses lèvres et attendit ses premières paroles avec une anxiété voisine de la folie.

– Monsieur! gronda le gouverneur, vous allez me dire ce que contenait la lettre que vous avez jetée, ou je vous fais mettre à la question sur l’heure!

Pardaillan poussa un profond et rauque soupir de joie délirante.

– Je suis sauvé! murmura-t-il.

– En vain nierez-vous! reprit Guitalens. Vous avez été entendu appelant le chien! Vous avez été vu! Répondez…

– Je suis tout prêt à vous répondre, fit Pardaillan d’une voix vibrante. Interrogez-moi!

– Ce chien est à vous?

– Il est à moi, en effet.

– Vous lui avez jeté un papier qu’il a emporté. Ne niez pas!

– Je ne le nie pas. Je dirai plus. C’est que depuis longtemps, mon chien est dressé à ce genre d’exercices.

– Il sait donc où il doit porter ce papier?

– Il le sait parfaitement; il y a été cent fois.

– C’est donc à cela que vous destiniez le papier, sous prétexte de révélation à me faire!… Ah! vous me le paierez cher!… Et à moins que vous ne me disiez tout…

– Tout quoi?…

– Vous avez écrit?…

– Parbleu!…

– Prisonnier, vous êtes bien insolent. Prenez garde!

– Je réponds, voilà tout!

– À qui avez-vous écrit?

– À une personne que je nommerai tout à l’heure devant vous seul.

– Et c’est à cette personne que le chien va porter la lettre?

– Non, mais à un de mes amis, un ami sûr et fidèle qui, dès ce soir, remettra la lettre à la personne qui doit la lire. J’ajoute seulement que mon ami a ses entrées au Louvre à toute heure.

Le gouverneur Guitalens tressaillit.

– La personne qui doit lire la lettre habite donc le Louvre?

– Elle y habite!

– Le nom de cette personne!

– Vous le saurez tout à l’heure.

Guitalens réfléchit une minute. Le prisonnier répondait avec une telle franchise ou plutôt avec un tel aplomb qu’un commencement d’inquiétude vague se glissa dans l’esprit du gouverneur.

– C’est bien, reprit-il. Maintenant, voulez-vous dire ce que contenait la lettre?

– Avec plaisir, monsieur de Guitalens, fit tranquillement Pardaillan. Mais il vaudrait mieux que je vous dise cela seul à seul… Vous m’en pouvez croire…

Le gouverneur jeta un rapide regard sur le prisonnier, et l’inquiétude s’accentua en lui. Mais il reprit avec la même sévérité:

– J’exige que vous parliez à l’instant.

– Soit donc, monsieur! J’ai simplement écrit à la personne en question qu’un soir, il n’y a pas longtemps, je me trouvais dans une auberge de Paris…

– Une auberge! fit sourdement Guitalens.

– Une auberge qui se trouve rue Saint-Denis…

– Silence! gronda le gouverneur en pâlissant.

– Et où vont boire des poètes… et autres personnages… continua Pardaillan en élevant la voix.

Guitalens devint livide.

– Prisonnier, interrompit-il d’une voix tremblante, m’assurez-vous que votre lettre est assez grave pour que nous en parlions seul à seul?

– C’est un secret d’État, monsieur, fit gravement le chevalier.

– En ce cas, il vaut mieux en effet que je sois seul à vous entendre.

Il se retourna et fit un geste.

Soldats et geôliers sortirent à l’instant. Guitalens les accompagna jusque dans le corridor.

– Plus loin! plus loin! leur dit-il.

– Mais, monsieur le gouverneur, observa un geôlier, si cet homme a de mauvaises intentions?

– Oh! il n’y a pas de danger! répondit fiévreusement Guitalens. Et d’ailleurs, il s’agit d’un secret d’État! Le premier qui approche de cette porte, je le fais jeter dans un cachot!…

Les gardes se retirèrent en toute hâte.

Guitalens rentra dans le cachot, ferma la porte pour plus de précaution et marcha vivement à Pardaillan. Il tremblait de tous ses membres. Il voulait parler: aucun son ne sortit de sa gorge…

– Monsieur, dit le chevalier, je ne dois pas vous surprendre beaucoup en vous apprenant que la personne à qui est destinée ma lettre…

– Plus bas! plus bas! supplia Guitalens.

– C’est le roi de France! acheva Pardaillan.

– Le roi!… murmura le gouverneur en s’effondrant sur l’escabeau.

– Maintenant, si vous tenez à savoir ce que j’écris à Sa Majesté, j’ai fait un double de ma lettre à votre intention; ce double, le voici. Lisez-le.

Pardaillan tira de son pourpoint le papier sur lequel il avait écrit la veille et le tendit au gouverneur.

Celui-ci le saisit en donnant tous les signes d’une terreur extraordinaire.

Il parvint enfin à le déplier, le lut, ou plutôt le parcourut d’un seul regard et poussa alors un gémissement d’épouvante.

Voici ce que contenait le papier:

«Sa Majesté est prévenue qu’il y a contre elle complot d’assassinat. MM. de Guise, de Damville, de Tavannes, de Cosseins, de Sainte-Foi, de Guitalens, gouverneur de la Bastille, conspirent pour tuer le roi et faire sacrer à sa place M. le duc de Guise. Sa Majesté aura la preuve du complot en faisant mettre à la question le moine Thibaut, ou M. de Guitalens, l’un des plus acharnés. La dernière réunion des conspirateurs a eu lieu dans une arrière-salle de l’auberge de la Devinière , rue Saint-Denis.»

– Je suis perdu, bégaya Guitalens.

À demi évanoui, il se renversa en arrière et fût tombé si Pardaillan ne l’avait soutenu.

– Courage, morbleu! fit le chevalier à voix basse.

En même temps, il serrait énergiquement le bras de Guitalens.

– Courage? interrogea le malheureux gouverneur.

– Eh oui! S’il reste une chance, une seule chance de salut pour vous, vous allez la perdre en vous évanouissant comme une femmelette au lieu de vous raidir…

– Misérable! gronda Guitalens à bout de force morale, après m’avoir perdu, tu m’insultes encore de tes railleries! Ah! tu achètes ta liberté à ce prix… eh bien…

– Monsieur! interrompit Pardaillan d’une voix solennelle, prenez garde à ce que vous allez dire ou faire. Ne m’accusez pas. Je suis un être innocent jeté dans cette effroyable prison pour toute la vie! Je cherche ma liberté, voilà tout! Mais je puis vous sauver…

– Vous!… vous me sauveriez! Et comment?… Non! non! ajouta-t-il en se tordant les mains, plus d’espoir! Dans quelques instants, le roi saura l’horrible vérité… on viendra me saisir…

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