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Instantanément, il se tut et se tint tranquille.

La porte fut ouverte. Les soldats croisèrent leurs hallebardes.

Pardaillan, dans une sorte d’accès de folie, allait s’élancer sur ces hallebardes.

Tout à coup, il s’arrêta court…

Une étrange expression d’étonnement se répandit sur son visage…

Il venait d’apercevoir le gouverneur au milieu des soldats.

Et ce gouverneur, il le reconnaissait!

C’était l’un des conspirateurs qu’il avait vus dans l’arrière-salle de la Devinière !

– Ah! ah! fit le gouverneur, il paraît que la vue des hallebardes vous produit le même effet qu’à tous les enragés de votre espèce! Vous reculez maintenant! Bon, bon!… Vous ne dites plus rien?… Écoutez, je suis une bonne âme, moi; que cela ne se renouvelle plus, vous entendez? Sans quoi, à la première récidive, le cachot; à la deuxième, la privation d’eau; à la troisième, la torture. Là, vous voilà prévenu maintenant. Que diable, mon cher, si vous ne pouvez dormir, laissez au moins dormir les autres.

Pardaillan avait, en effet, reculé de deux pas.

Puis, il s’était immobilisé, l’esprit tendu dans une telle recherche que son visage paraissait n’exprimer qu’une profonde stupeur.

Le gouverneur, persuadé qu’il avait par sa seule présence réussi à terroriser le prisonnier, haussa les épaules avec une indulgente pitié.

– Voilà bien de ces diables à quatre! grommela-t-il dédaigneusement.

Pardaillan gardait toujours le même silence.

Les sourcils froncés, les poings crispés, toute son attitude raidie, il songeait…

– Allons! reprit le gouverneur, vous voilà sage… et prévenu! Gare le chevalet [19] !… J’espère que vous allez vous tenir tranquille. Et remerciez-moi de n’être pas plus méchant.

Il fit un mouvement pour se retirer.

Alors, Pardaillan se porta vivement en avant.

– Monsieur le gouverneur, dit-il d’une voix dont le calme eût paru admirable à qui eût su ce qui se passait en lui, monsieur le gouverneur, j’ai une demande à vous faire… oh! soyez sans crainte… je n’essaierai plus de me rebeller… vous m’avez convaincu…

– Parbleu, fit le gouverneur.

– Une simple demande, reprit Pardaillan.

– Connu! Vous voulez savoir pourquoi vous êtes ici?… Eh bien, mon cher, laissez-moi vous apprendre une chose: c’est que je ne m’inquiète jamais de savoir le crime de mes prisonniers. On me livre un homme, je le prends, voilà tout! Seulement, je puis vous apprendre aussi que selon toute probabilité, vous ne sortirez jamais d’ici… Ainsi, tâchez de faire bon ménage avec moi et vos dignes gardiens.

– Je ne demande pas mieux, M. le gouverneur, et je vous remercie de vos bons conseils… mais là n’est pas la demande que je voulais vous faire.

– Que vouliez-vous donc?

– Simplement du papier, une plume et de l’encre.

– C’est défendu. Et puis, on se ruinerait en parchemin, si on laissait les prisonniers écrire leurs Mémoires… Allons! au revoir, mon brave!

– M. le gouverneur, cria Pardaillan, il s’agit d’une révélation de la plus haute importance!

– Une révélation?

– Oui. Que je veux faire à vous-même par écrit. J’ai découvert par hasard un complot.

– Un complot! fit le gouverneur en pâlissant.

– Un complot de huguenots, monsieur le gouverneur! Il ne s’agit de rien moins que d’assassiner M. de Guise et divers autres personnages qu’on sait attachés à notre Église…

– Ah! ah! diable! et vous avez découvert cela?

– Je vous donnerai par écrit le moyen de faire saisir les damnés huguenots et la preuve du complot. J’espère qu’on m’en saura gré et que je pourrai ainsi rentrer en bonnes grâces… Dès que j’aurai écrit et que je vous aurai remis ma révélation, vous me ferez enlever encre, plumes et papier, et je ne demanderai plus rien… j’attendrai simplement que ma bonne volonté soit récompensée… car c’est là un important service!

– En effet, en effet! dit le gouverneur. Et si les choses sont bien comme vous dites…

– C’est bien plus terrible encore!

– Diable!…

– Plus terrible que tout ce que vous pouvez imaginer.

– Eh bien, s’il en est ainsi, je vous promets, moi, de faire tout au monde pour hâter votre délivrance.

Le digne gouverneur avait immédiatement établi son plan.

Il laisserait le prisonnier écrire sa dénonciation, puis, sur le premier prétexte, il le ferait descendre dans une de ces bonnes oubliettes où un homme meurt en quelques mois. Armé des révélations, il deviendrait non seulement le sauveur de Guise, selon lui futur roi de France, mais encore le sauveur de la sainte Église.

Il se retira rayonnant.

Un quart d’heure plus tard, le geôlier apporta à Pardaillan deux feuilles de papier, de l’encre et des plumes toutes taillées d’avance.

Le chevalier saisit avidement le papier. Une joie singulière brilla dans ses yeux.

– Dans quelques jours, je serai libre! s’écria-t-il.

Le geôlier eut un regard narquois.

– C’est votre maître lui-même qui m’ouvrira les portes, continua Pardaillan.

– Mon maître? fit le geôlier qui crut devoir se départir de sa consigne.

– Oui, le gouverneur, M. de Guitalens.

– Et vous dites que le gouverneur vous ouvrira les portes?

– Lui-même!

Le geôlier hocha la tête et se retira en songeant:

«C’est un autre genre de folie; mais au moins, cette fois, c’est de la folie douce.»

Le lendemain matin, de très bonne heure, il arriva dans le cachot en disant:

– Eh bien! cette révélation, est-elle écrite? M. le gouverneur peut-il venir la chercher?

– Pas encore!… Vous comprenez… il faut que je me rappelle bien tout!

– Hâtez-vous, en ce cas… M. le gouverneur est impatient!

– Bon! Dites-lui que pour avoir attendu, il n’en sera que mieux servi selon ses mérites. Je vous jure qu’il sera content.

– Au point de vous ouvrir les portes lui-même! ricana le geôlier en se retirant.

Pardaillan demeuré seul approcha l’escabeau de la fenêtre, se hâta d’y monter et colla vivement son visage aux barreaux.

Qu’espérait-il? Quelle pensée avait soudain illuminé son désespoir?

Cette pensée devait être bien puissante, car parfois il frissonnait.

Toute la journée, il inspecta du haut de son escabeau les abords de la prison… Il aperçut à deux ou trois reprises son chien qui errait, et murmura avec un sourire attendri:

– Pauvre Pipeau!…

Soudain, comme il prononçait ce mot, il étouffa un cri de joie folle.

– J’ai trouvé! s’écria-t-il en descendant de son escabeau. J’ai trouvé!…

Et il se mit à courir follement autour de son cachot; le condamné à qui on apporte sa grâce éprouve de ces joies puissantes où le corps éprouve le besoin de se démener, de crainte que le cerveau n’éclate.

Ce fut ainsi que le geôlier le trouva.

– Eh bien, ce papier? fit-il sans conviction.

Car, de plus en plus, il était persuadé que le prisonnier était devenu fou.

– Demain matin! fit Pardaillan.

Le geôlier renouvela la provision d’eau, déposa sur la cruche la ration de pain et se retira.

Aussitôt, Pardaillan saisit l’une des deux feuilles de papier qui lui avaient été remises et se mit à écrire une dizaine de lignes.

Alors, il plia soigneusement le papier et le cacha dans son pourpoint.

Cela fait, à coups de talon, il brisa l’un des carreaux qui dans un angle du cachot remplaçaient les dalles, choisit un morceau assez lourd de ce grès et le cacha soigneusement dans son pourpoint.

Alors, il s’étendit sur sa paille, ferma les yeux et se tint immobile pour se forcer à la tranquillité, et aussi pour achever d’élaborer son plan.

Il passa dans cette position le reste de la journée et toute la nuit; mais s’il eut constamment les yeux fermés, il ne dormit pas un instant; s’il garda une immobilité de statue, sa pensée bouillonnait.

Le lendemain matin, Pardaillan, très calme et très froid, en apparence, prit la feuille de papier qui lui restait, c’est-à-dire celle sur laquelle il n’avait rien écrit.

[19] Chevalet: ancien instrument de torture.


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