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Pardaillan tressaillit en songeant à ce complot dont il avait surpris le secret à la Devinière .

– Et pour me défendre, continua la reine, pour défendre le roi, pour apaiser les alarmes de mon cœur maternel, je suis presque seule. Ah! s’il ne s’agissait que de moi, comme, depuis longtemps, je me serais abandonnée aux ennemis qui me guettent. Mais je suis mère, hélas! Et je veux vivre pour mes enfants…

– Madame, dit le chevalier, sans émotion apparente, il n’est pas un gentilhomme digne de ce nom qui hésiterait à vous donner l’appui de son épée. Une mère est sacrée, Majesté. Et quand cette mère est une reine, ce qui n’était qu’une obligation d’humanité devient un devoir auquel nul ne peut se soustraire.

– Ainsi, vous n’hésiteriez pas à prendre rang parmi ces trop rares gentilshommes qui, ayant à la fois pitié de la reine et de la mère, se dévouent pour moi?

– Je vous suis acquis, madame, répondit Pardaillan. Et si Votre Majesté veut bien m’indiquer comment un pauvre diable comme moi peut lui être utile…

La reine réprima un tressaillement de joie…

Ruggieri pâlit et étouffa un soupir.

– Avant de vous dire ce que vous pouvez pour moi, reprit Catherine de Médicis, je veux vous dire ce que je ferai pour vous… Vous êtes pauvre, je vous enrichirai; vous êtes obscur, vous aurez les honneurs auxquels peut prétendre un homme tel que vous. Et pour commencer, que dites-vous d’un poste au Louvre, avec une rente de vingt mille livres?

– Je dis que je suis ébloui, madame, et que je me demande si je rêve…

– Vous ne rêvez pas, chevalier. C’est le devoir des rois et des reines de trouver de l’occupation aux épées telles que la vôtre.

– Voyons donc l’occupation, dit Pardaillan qui dressa les oreilles.

Catherine de Médicis garda un instant le silence. Ruggieri essuya la sueur qui inondait son visage. Il savait, lui, ce que la reine allait demander au chevalier.

– Monsieur, dit alors la reine en accentuant le ton douloureux de ses paroles, je vous ai parlé de mes ennemis qui sont ceux du roi. Leur audace grandit de jour en jour. Et sans les quelques gentilshommes dévoués dont je vous entretenais, il y a longtemps que j’eusse été frappée. Or, je vais vous dire, monsieur, comment j’agis lorsque je vois s’approcher de moi un de mes ennemis. J’essaie d’abord de le désarmer par mes prières, par mes promesses, par mes larmes, et je dois dire que je réussis souvent… car les hommes sont moins méchants qu’on ne dit…

– Et quand Votre Majesté ne réussit pas? fit Pardaillan avec une émotion dont il ne fut pas le maître.

– Alors, j’en appelle au jugement de Dieu.

– Que Votre Majesté me pardonne… je ne saisis pas tout à fait…

– Eh bien! Un de mes gentilshommes se dévoue; il va trouver l’ennemi, le provoque en un loyal combat, le tue ou est tué… S’il est tué, il est sûr d’être pleuré et vengé. S’il tue, il a sauvé sa reine et son roi, qui, ni l’un ni l’autre, ne sont des ingrats… Que dites-vous du moyen, monsieur?

– Je dis que je ne demande qu’à tirer l’épée en champ clos, madame! Se battre pour sa dame ou pour sa reine, c’est une chose tout naturelle.

– Ainsi… si je vous désigne un de ces êtres méchants…

– J’irai le provoquer! fit Pardaillan, qui redressa sa taille et dont les moustaches se hérissèrent. Je le provoquerais, s’appelât-il…

Il s’arrêta à temps, au moment où il allait s’écrier:

– S’appelât-il Guise ou Montmorency!…

Un duel avec le duc de Guise!

À cette pensée, les yeux de Pardaillan flamboyèrent. Il se sentit grandir. Il n’était plus le chevalier de la reine. Il devenait le sauveur de la royauté.

– S’appelât-il?… interrogea Catherine dont les soupçons se déchaînèrent à l’instant. Vous vous êtes arrêté au moment où vous alliez prononcer un nom.

– Au moment où je cherchais un nom, Majesté! fit Pardaillan en reprenant tout son sang-froid. Je voulais dire que je n’hésiterai pas, si terrible que soit l’adversaire, ou si haut placé – ce qui est tout un!

– Ah! vous êtes bien tel que je vous espérais! s’écria la reine. Chevalier, je me charge de votre fortune, entendez-vous? Mais n’allez pas, par trop de générosité, compromettre votre vie… À dater de ce jour, vous m’appartenez et vous n’avez plus le droit d’être imprudent.

– Je ne comprends pas, madame.

– Écoutez, dit Catherine lentement, en sondant pour ainsi dire, parole à parole, l’esprit du chevalier; écoutez-moi bien… Un duel est une bonne chose… mais il y a mille façons de se battre… Oh! certes, ajouta-t-elle en plongeant son regard dans les yeux de Pardaillan, je ne vous conseillerais pas… d’attendre l’ennemi… une nuit… au détour de quelque rue… et de le frapper à mort… d’un bon coup de poignard… non, non, conclut-elle vivement, je ne vous conseillerais pas cela!

– En effet, madame, dit Pardaillan, ce serait un assassinat. Moi, je me bats au jour ou à la nuit, mais en face, épée contre épée, poitrine contre poitrine. C’est ma manière, Majesté. Pardonnez-moi si ce n’est pas la bonne.

– C’est bien ainsi que je l’entends! se hâta de dire Catherine. Mais enfin, la prudence peut s’allier au courage, et ne pouvant vous demander d’être brave, puisque vous êtes la bravoure même, je vous recommande d’être prudent… voilà tout.

– Il ne me reste plus qu’à savoir contre quel ennemi je dois me mesurer, reprit alors Pardaillan.

– Je vais vous le dire, fit la reine.

Ruggieri, d’un geste, essaya une suprême tentative. Ses mains se joignirent vers Catherine tandis que ses yeux éloquents criaient grâce.

La reine lui jeta un regard foudroyant.

Ruggieri recula en baissant la tête.

«Tenons-nous bien, songea Pardaillan. Évidemment, il s’agit du duc de Guise. Arrêter Guise, impossible! Et pourtant, Guise conspire. Elle le sait comme moi, sans doute. Un duel avec Henri de Guise! Quel honneur pour Giboulée!…»

– Monsieur, dit tout à coup la reine, vous avez reçu hier une visite…

– J’en ai reçu plusieurs, madame…

– Je veux parler de ce jeune homme qui vous est venu de la part de la reine de Navarre. Celui-là, monsieur, est un de ces implacables ennemis dont je vous parlais, peut-être le plus acharné, le plus terrible de tous, parce qu’il agit dans l’ombre, et ne frappe qu’à coup sûr… Celui-là me fait peur, monsieur… non pour moi, hélas! j’ai fait le sacrifice de ma vie… mais pour mon pauvre enfant… pour Charles… votre roi!

Pardaillan s’était pour ainsi dire ramassé sur lui-même.

Son rêve d’un héroïque combat contre un puissant seigneur brave entre tous, d’un duel où il était le champion d’une reine et d’une mère, ce rêve tombait, et il entrevoyait de sinistres réalités.

Son sourcil se fronça. Sa moustache se hérissa. Puis, soudain, ses traits se détendirent et son visage reprit cette immobilité, ce vague sourire, avec, au coin des lèvres, une dédaigneuse ironie.

– Hésiteriez-vous, mon cher monsieur? fit la reine étonnée de son silence.

Et l’accent de sa voix était devenu si menaçant que le chevalier, plus que jamais, se redressa, se hérissa.

– Je n’hésite pas. Majesté, dit-il.

– À la bonne heure! s’écria la reine dont la voix reprit aussitôt toute sa caressante douceur. Je n’attendais pas moins d’un chevalier errant tel que vous, d’un preux qui va par le monde mettant son bras à la disposition des pauvres princesses opprimées.

«Ah! songea Pardaillan dont le visage pétilla, tu gasconnes ici, et te moques d’un pauvre diable qui a le malheur de ne pouvoir étouffer son cœur, selon les sages conseils de son père. Attends un peu!»

Et tout haut:

– Je n’hésite pas: je refuse.

Habituée à voir des échines courbées devant elle, à entendre des paroles balbutiantes, Catherine de Médicis eut un moment de profonde stupéfaction. Elle pouvait s’attendre à un refus, mais non à une telle attitude. Elle regarda autour d’elle comme si elle eût cherché son capitaine des gardes pour lui donner un ordre. Elle se vit seule, impuissante. Une légère rougeur qui monta à son visage blême indiqua à Ruggieri la fureur qui se déchaînait en elle. Mais Catherine était depuis longtemps habituée à dissimuler, elle qui dissimula toute sa vie.

– Vous nous donnerez au moins de bonnes raisons? fit-elle avec la même douceur.

– D’excellentes, madame, et qu’un grand cœur comme le vôtre comprendra à l’instant. L’homme dont parle Votre Majesté est venu chez moi, s’est assis à ma table, a été mon hôte et m’a appelé son ami; tant que cette amitié ne sera pas brisée par quelque acte vil, cet homme m’est sacré.

– Voilà, en effet, des raisons qui me convainquent, chevalier. Et comment s’appelle-t-il, votre ami?

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