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– Oui, oh! oui!… fit Pardaillan qui haletait.

– Eh bien, c’est parce que je veux connaître ma mère! Et que Catherine de Médicis… c’est ma mère!…

Et, s’arrachant de l’étreinte de son ami, le comte fit un signe à Maurevert et s’élança rapidement dans la direction du Pont de Bois. Maurevert le suivit non sans avoir essayé une dernière fois de dévisager Pardaillan dont il avait tâché vainement d’entendre la voix et de surprendre l’entretien.

Le chevalier demeura quelques minutes comme étourdi.

– Déodat, fils de la Médicis! murmura-t-il.

Puis, reprenant son sang-froid, il s’élança à son tour vers la maison qu’il connaissait bien, décidé à en surveiller les abords tant que le comte y serait, et à y pénétrer au besoin, s’il tardait à en sortir.

Et tout en courant, tout en arrangeant son dispositif de bataille avec cet esprit de méthode qui était une de ses grandes forces, une question obstinée se posait dans son esprit:

– Alice de Lux savait-elle que Maurevert guettait Marillac dans la rue?

En peu d’instants, il atteignit le Pont de Bois.

Les environs étaient discrets et silencieux.

Maurevert et Marillac avaient disparu.

Le chevalier examina un instant la maison mystérieuse où il avait pris contact avec Catherine de Médicis. La maison était muette, sa face toute voilée d’ombres. Et, avec ses fenêtres bardées de fer, sa porte solide, ses toitures aiguës qui dans la nuit prenaient des allures de tourelles, ce logis ressemblait à une forteresse.

– Un Louvre, songea Pardaillan, un Louvre minuscule; mais plus formidable que l’autre. Car là-bas, dans les vastes salons dorés, un roi faible et malade promène ses inquiétudes passées comme dans un désert peuplé de ces fantômes d’hommes que sont les courtisans. Et ici, la reine, la grande reine, comme ils disent, élabore dans un tragique silence de pensées d’où peut jaillir la foudre… Et cette reine, mère de François qui mourut d’une étrange maladie après quelques mois de règne, mère de Charles qui se meurt de quelque mal inconnu, mère de cet Henri d’Anjou, plus femme qu’il n’est homme, mère de cette Marguerite, plus homme qu’elle n’est femme, est aussi la mère de ce Déodat en qui semblent se réaliser la perfection du corps humain, la beauté de l’âme, avec un esprit brillant et de générosités de cœur dignes d’un héros… Cette femme qui a enfanté des êtres si divers, monstres de beauté, monstres de hideur, qui a créé de la force et de la faiblesse, serait donc le type achevé du monstre?…

Et il se la représentait telle qu’il l’avait vue dans la pièce si simple et si imposante de cette maison, assise dans ce fauteuil à grand dossier de bois noir, toute raide, blanche, souriante d’un sourire aigu, pareille à une image de sainte à qui l’imagier aurait eu la fantaisie de donner un regard démoniaque.

Elle grandissait dans son imagination. Ce n’était plus une femme. Ce n’était plus la reine Catherine. C’était quelque prodigieuse magicienne venue des contrées fabuleuses d’au-delà les grands monts, pour accomplir une œuvre terrible, avec pour seule arme les maléfices de son esprit puissant et pervers.

Pardaillan n’était ni un rêveur, ni un contemplatif, ni un abstracteur de quintessence. Il subissait simplement l’influence du mystère que dégageait Catherine. Mais il s’arracha à ces spéculations, et ayant payé, lui aussi, son tribut à la rêverie, ayant reconnu que le mal a sa poésie comme le bien, il redevint vite l’homme d’action qu’il était, et grommela:

– Reine, magicienne, démon, tout ce qu’elle voudra! mais qu’elle ne touche pas à un cheveu du comte. Car j’irais la chercher au fond de son Louvre, et, du roi de France, je ferais un orphelin avant l’heure!

Ayant ainsi parlé, le chevalier chercha un poste d’observation convenable et n’en trouva pas de meilleur que les ruines du hangar qu’il avait jeté bas pour sauver la reine de Navarre.

À la vue des madriers amoncelés, au souvenir du beau tour de force qu’il avait accompli, de cette foule ruée et tenue en respect par sa Giboulée, puis le vaste atelier s’écroulant, les clameurs de souffrance des blessés, le grand hululement de la multitude qui refluait, prise de terreur, à ces souvenirs, il n’eut pas un sourire.

Seulement ses lèvres se pincèrent, sa moustache se hérissa, et, dressé tout debout dans la nuit sur l’entassement des ruines, il parut un instant comme la statue de la force symbolisant la force de ces temps de violence, il fut une ombre épique visitant les traces ravagées de son passage.

Ce fut là que Pardaillan se cacha, la dague au poing, les yeux fixés sur la maison mystérieuse du Pont de Bois.

Dans cette maison, c’était une scène poignante qui se déroulait à ce moment, malgré la froideur apparente des paroles échangées, avec, pour acteurs, la reine Catherine, l’astrologue Ruggieri, Déodat, l’enfant trouvé – la mère, le père, le fils.

Mais pour donner à cette scène toute sa signification, nous précéderons Déodat de Marillac dans la maison, comme déjà nous y avons une fois précédé Pardaillan. Cette fois, Catherine de Médicis n’écrit pas. Elle est tout entière à cette question:

– Viendra-t-il?

Ruggieri la contemple silencieusement, avec une angoisse grandissante. Ce que pensent ce père et cette mère, nous allons le savoir par les quelques paroles qu’ils échangent. Voici ce que dit Catherine:

– T’ai-je pas dit de te rassurer? Je ne veux pas qu’il meure ce soir. Je vais le sonder, savoir qui il est, mettre à nu son âme. S’il est tel que je l’espère, si je reconnais en lui mon sang et ma race, il est sauvé. Tu es le père, et je comprends tes appréhensions. Moi, René, je suis la mère; mais je suis aussi la reine. Je dois donc étouffer les cris de la maternité, songer aux choses de l’État, et si cet homme s’écarte de moi, il mourra!

Cet homme, c’était Déodat, son fils.

– Catherine, dit Ruggieri qui, dans ses moments d’émotion oubliait l’étiquette, qu’il vive ou meure, en quoi cela peut-il intéresser les affaires de l’État? Qui saura jamais…

– Toute la question est là! interrompit Catherine d’une voix sourde. Si le secret devait toujours être gardé, je m’efforcerais d’oublier que quelqu’un par le monde peut un jour se dresser devant moi et me demander compte de sa détresse. Oui, je crois que je parviendrais à l’oublier. Mais vivre avec cette menace perpétuelle, impossible! Crois-tu donc que mon cœur, à moi aussi, ne soit pas ému quand tu m’as dit qu’il vivait! Crois-tu donc que ce soit sans déchirement que j’en sois arrivée à me dire: les morts seuls gardent le secret!

– Ah! madame, s’écria amèrement l’astrologue, pourquoi ne pas me dire que vous avez résolu sa mort et que rien ne peut le sauver, puisque son père est impuissant et que sa mère le condamne!

– Je te répète qu’il n’est pas condamné!… pas encore!… Au contraire, s’il veut, bien des choses peuvent s’arranger. Écoute-moi, j’ai longuement et lentement étudié cette situation. Je crois vraiment que les choses pourraient s’arranger selon mes vœux…

Catherine garda un moment le silence comme si elle eût hésité à développer toute sa pensée. Mais elle était habituée à parler devant l’astrologue comme elle eût pensé tout haut. Ruggieri n’était pour elle qu’un écho fidèle, esclave de ses désirs, rompu à une longue obéissance absolue. Elle reprit:

– Qu’est-ce que je veux, au bout du compte? Je veux que mon fils, mon vrai fils selon mon cœur, mon Henri, soit roi sans conteste. Que Dieu appelle à lui ce malheureux Charles, et voilà Henri sur le trône. Cela se fera très simplement. Oui, mais devant nous se dresse un ennemi terrible. Entre cet ennemi et notre maison, pas de quartier possible. Il faudra que nous succombions ou qu’ils soient exterminés. Les Bourbons, René, voilà notre ennemi! Jeanne d’Albret, astucieuse, ambitieuse, convoite la couronne de France pour son fils Henri de Béarn. Et le trône de Navarre n’est pour elle qu’un marchepied pour atteindre plus haut. Si je ne suis pas devenue folle, je dois penser que la meilleure méthode pour me défendre, c’est de supprimer le marchepied. Que Jeanne d’Albret meure… que son fils se trouve sans royaume, et voilà les Bourbons écrasés à jamais!… Or, qui mettre sur le trône de Navarre?… Qui! sinon quelqu’un qui serait à moi, qui serait de ma race, et qui pourtant ne pourrait porter ombrage ni à l’Espagne, ni à la papauté: comprends-tu cela, René? Mon fils Henri, roi de France… et lui… ce fils inavouable, roi de Navarre?

Peut-être Catherine était-elle sincère. Peut-être rêvait-elle vraiment de donner au comte de Marillac la royauté de Navarre. Mais peut-être aussi, Ruggieri qui était habitué à poursuivre dans ses méandres cette pensée tortueuse devinait-il que Catherine voulait simplement se donner à elle-même le prétexte de demeurer implacable.

Il secoua tristement la tête, et lorsqu’il entendit frapper, lorsqu’il eut introduit Maurevert suivi de Marillac, il ne put s’empêcher de frémir en jetant à son fils un regard à la dérobée.

Maurevert, d’ailleurs, ne demeura pas dans la maison.

Sans doute, il avait reçu précédemment des instructions, car à peine eut-il mis le comte en présence de l’astrologue qu’il se retira aussitôt. Dans la salle du rez-de-chaussée, Ruggieri et Marillac demeurèrent un instant seuls, silencieux. L’astrologue tenait un flambeau qui tremblait dans sa main.

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