Fermer la porte et la verrouiller fut pour le vieux routier, l’affaire d’un instant.
À la même seconde, des coups violents furent frappés.
– Ouvrez! hurlait-on.
– Barricadons! fit le vieux Pardaillan.
– Au nom du roi! clamait le sergent d’armes.
Les tables, les escabeaux, s’entassaient à l’intérieur, devant la porte. Du dehors, les coups devenaient plus furieux.
– Nous le tenons! vociférait une voix que le chevalier reconnut pour être celle de Maurevert.
– Encore cette armoire! firent les deux assiégés en poussant un pesant bahut qui compléta la barricade.
– Nous en avons pour une heure, ajouta le vieux.
– En une heure, on peut brûler Paris, répliqua le jeune homme.
– Catho! Catho! appela le routier.
La grosse Catho était là qui assistait sans trop d’émotion à la bagarre. Et il faut dire que, si elle eut quelque émotion, ce fut plutôt à la pensée que ce jeune homme, si brave et si beau, allait être emmené par les gens du roi.
– Me voici, monsieur, dit-elle.
– Un mot. Un seul. Es-tu contre nous? Es-tu avec nous?
– Avec vous, monsieur, répondit Catho paisiblement.
– Tu es une bonne fille, Catho. Je te revaudrai cela.
Et le vieux Pardaillan glissa ce mot dans l’oreille de son fils:
– Si elle avait pris parti pour eux, je la tuais raide.
Le chevalier approuva d’un signe… Ah! que voulez-vous, lecteur! Mettez-vous à sa place!…
– Que t’arrive-t-il? reprit le routier.
– Je vous raconterai la chose, monsieur. C’est toute une histoire assez longue.
M. de Pardaillan père eut ce mot:
– Catho, du vin!… Raconte, mon fils, nous avons le temps!
Et, tandis que des coups sourds ébranlaient la porte, tandis qu’on entendait au-dedans les aboiements féroces de Pipeau, et au-dehors les hurlements du sergent et les cris de quelques femmes qui s’évanouissaient ou faisaient semblant de s’évanouir, le chevalier, en quelques mots brefs et calmes, en un récit méthodique et tranquille, raconta la scène du Louvre.
– Il y a rébellion contre le roi! vociférait le sergent.
– Que diable allais-tu faire dans cet antre? dit le vieux Pardaillan avec un geste de mauvaise humeur. Je t’avais pourtant bien recommandé…
La porte, sous un coup violent, se fendit du haut en bas.
– Catho! fit le routier.
– Me voici, monsieur.
– Tu as de l’huile, n’est-ce pas, ma fille?
– De la très bonne huile de noix. J’en fis venir trois jarres, il y a huit jours.
– Bon! Y a-t-il une cheminée, là-haut?
– Oui, monsieur.
– Où est ton huile?
– À la cave, monsieur.
– Les clefs de la cave…
– Les voici!
– Catho, tu es une bonne fille. Monte là-haut et allume un grand feu, un bon feu, tu entends, un feu à faire griller un cochon ou à faire rôtir un moine… Ainsi!…
La grosse Catho s’élança, saisit des fagots et monta au premier.
– À nous! fit M. de Pardaillan père.
Et, suivi du chevalier, il se précipita dans les caves. Dix minutes plus tard, les trois jarres d’huile étaient en haut, plus tout ce qu’il y avait de pain dans l’auberge, plus une cinquantaine de bouteilles, plus un levier de fer et une pioche trouvés dans la cave.
– Voici les munitions! dit le père en désignant l’huile.
– Et voici les provisions! dit le fils en montant les bouteilles et les jambons.
– À l’escalier! reprit le vieux.
L’escalier était en bois. L’escalier était vermoulu. L’escalier ne tenait plus qu’à quelques crampons.
– Catho! cria le routier, tu veux bien que je démolisse ta maison?…
– Démolissez, monsieur! répondit Catho qui, sur le feu, plaçait une énorme marmite de fer, et, dans la marmite, versait une jarre d’huile.
Les deux hommes, à coups de pioche, à coups de levier, attaquèrent l’escalier par ses crampons. Quand les crampons qui le scellaient au mur furent arrachés, ils montèrent en haut, et du pied, des mains, de tout leur effort, se mirent à pousser.
Une clameur terrible retentit: la porte était défoncée: gardes et gens du guet, pêle-mêle, se jetaient ou essayaient de se jeter à l’intérieur et repoussaient les obstacles accumulés.
À ce moment, à cette clameur répondit un effroyable fracas: c’était l’escalier qui s’effondrait! La route était coupée des assiégeants aux assiégés!… Et sur tout ce bruit, ce fut le bruit plus formidable d’un éclat de rire poussé par le père et le fils.
– Messieurs du guet, nous avons subi plus d’un assaut.
– Messieurs les gardes, nous connaissons les malices des sièges!…
– Catho! est-ce que ça chauffe?
– Ça brûle, monsieur!…
– Bon? Nous allons refroidir l’ardeur de ces messieurs! Gare!…
La marmite d’huile bouillante fut traînée au bord du trou auquel aboutissait l’escalier lorsqu’il y avait encore un escalier.
La salle du bas était pleine de gens qui démolissaient la barricade et criaient:
– Une échelle! Une échelle!…
Pardaillan père se pencha et cria:
– Messieurs, retirez-vous, ou nous allons vous échauder!
– Bataille! hurlèrent les gardes enchantés de la facile victoire qu’ils prévoyaient.
– C’est bon! grogna le vieux routier. Ils l’auront voulu. Gare!…
Avec une vaste cuiller, il puisa l’huile bouillante et à toute volée, en lança le contenu sur les assaillants. Ah! ce fut un beau concert de hurlements, de clameurs et de menaces! Pour la deuxième fois, la terrible pluie brûlante tomba de là-haut. Puis une autre! Puis, plus vite, plus serrée, la pluie tomba, les cris de souffrance éclatèrent, celui-ci brûlé au visage, celui-là aux mains… en vingt secondes, la salle du bas était vide!
– Catho! chauffe, ma fille! chauffe toujours!
– Je chauffe, monsieur!…
La rue était pleine de vociférations. Une clameur plus haute retentit: un menuisier apportait une échelle longue et solide…
– Par la fenêtre! hurla Maurevert.
– Bon! fit le vieux Pardaillan, nouvelle tactique!… Attendez, mes enfants, nous allons rire!…
L’échelle, violemment, fut posée contre la fenêtre, et ses montants s’appuyant sur les vitraux, les firent sauter en éclats. Le vieux routier ouvrit la fenêtre et se pencha: sept ou huit hommes montaient l’un derrière l’autre… Il fit un signe… Le chevalier accourut.
Le père et le fils saisirent les montants de l’échelle et unirent leurs deux forces…
L’échelle, un instant, se balança puis retomba lourdement, s’abattit… deux hommes écrasés demeurèrent sur la chaussée boueuse. Au même instant, la marmite fut posée sur le rebord de la fenêtre; d’une secousse violente les deux assiégés la vidèrent… il y eut un tonnerre de hurlements, et dans la même seconde, la place fut vide devant la maison!…
Les assiégeants effarés, stupides devant une pareille résistance, se concertaient… Quinze hommes ébouillantés ou blessés étaient hors de combat, les deux Pardaillan n’avaient pas une égratignure.
Paisible, Catho avait replacé sa marmite sur le feu et faisait chauffer une nouvelle jarre d’huile.
Seulement, elle poussa tout de même un soupir de commerçante et murmura:
– De la si bonne huile de noix! quel dommage!…
Dehors, les assiégeants cherchaient à s’entendre pour une nouvelle attaque.
– Envoyez chercher du renfort! criait Quélus.
– Je crois bien que ces démons ont envoyé de l’huile sur ma collerette, disait Maugiron. Regarde donc, Quélus.
En réalité, Maugiron avait le cou brûlé, et d’énormes cloques boursouflaient la peau.
– Puisque les enragés aiment ce qui brûle, hurla Maurevert, donnons-leur du feu!
– Oui! oui! brûlons la bauge et les sangliers!
– Le feu à la maison!…
Le vieux Pardaillan avait entendu. La menace d’être brûlé vif amena une grimace expressive sur ses lèvres.