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– Et vous allez sans doute quitter Paris?

– Moi! s’écria le chevalier dans une explosion d’étonnement et de douleur.

– Songez que vous allez être poursuivi, traqué! Songez que si on vous trouve, vous êtes perdu!… Après la scène de tout à l’heure au Louvre, vous ne devez rien espérer du roi…

– Je n’espère rien que de moi-même! dit Pardaillan. Je ne quitterai pas cette ville, monseigneur, et n’ai besoin du secours de personne pour me défendre.

Une flamme d’orgueil et d’audace illumina un instant la physionomie du chevalier, qui continua:

– Ce que je fais, monseigneur, porte sa récompense en soi-même. Jadis, les paladins s’en allaient par monts et par vaux, cherchant les forts et les oppresseurs pour les combattre, cherchant les faibles et les opprimés pour les secourir. Tel était du moins le devoir qu’ils juraient d’accomplir le jour où on leur mettait les éperons aux talons et la lance au poing! Il me convient d’imiter ces hommes. Cette attitude me plaît, de préférence à toute autre… Je vais donc mon chemin droit devant moi, et je sais parfaitement qu’il peut m’arriver de rencontrer sinon plus brave, du moins plus fort que moi, et de succomber… D’ailleurs, vous pouvez m’en croire, si je perdais la vie, monseigneur, je ne perdrais pas grand’chose!

Le maréchal, pour la première fois, soupçonna quelque grand et secret chagrin dans le cœur du chevalier.

Il regardait avec un mélange d’admiration et d’attendrissement ce jeune homme qui disait de telles choses avec une telle simplicité. Car il n’y avait pas l’ombre de forfanterie dans l’attitude du chevalier. Il se montrait tel qu’il était. Seulement, il ignorait sans doute lui-même que sa grande force lui venait d’avoir, par avance, sacrifié sa vie, et que ce sacrifice lui-même n’était qu’une forme de son amour désespéré.

En effet, de plus en plus, il comprenait la distance énorme qui le séparait de Loïse et des Montmorency.

– Monseigneur, reprit-il tout à coup, comme s’il eût eu à cœur de changer le cours de la conversation, puis-je vous demander ce qui est résulté de votre entrevue avec le maréchal de Damville?

– Mon frère nie! répondit François d’une voix sombre.

– Il nie! Pourtant j’ai entendu, j’ai vu!…

– Après votre départ, il avait la partie belle pour nier.

Le chevalier se frappa le front.

– Maladroit! fit-il, je n’ai point songé à cela!…

– Vous fussiez donc resté, si vous y aviez pensé!…

– Je fusse resté, monseigneur!… Mais là n’est plus la question maintenant. Il faut trouver le moyen d’obliger l’ennemi à capituler… Avez-vous pris une décision?

– Oui, mon jeune ami. Et c’est d’aller à l’hôtel de Mesmes. J’ai laissé à mon frère trois jours de réflexion suprême. Après quoi, je le tuerai ou il me tuera…

Le ton avec lequel le maréchal prononça ces paroles, prouva au chevalier que rien ne pourrait le faire changer d’idée. Aussi, bien qu’il n’eût que peu de confiance dans le moyen du maréchal, il se tut.

François de Montmorency reprit alors:

– Passons à vous, maintenant. Vous êtes mon hôte, chevalier, jusqu’au jour où il n’y aura plus danger pour vous à sortir d’ici.

– Excusez-moi, monseigneur… j’ai déjà accepté une autre hospitalité…

– Ah! c’est mal, cela!

– D’une personne qui m’est chère, acheva Pardaillan qui pensait à son père.

Le maréchal crut qu’il s’agissait de quelque maîtresse chez qui le jeune homme comptait se réfugier, et n’insista pas. Seulement, il demanda:

– Comment ferai-je donc pour vous prévenir si j’ai besoin de vous? Car je ne vous cache pas que vous êtes le seul ami à qui je veuille me confier dans une aventure de ce genre.

– Monseigneur, je viendrai ici tous les jours, ou j’enverrai quelqu’un qui a toute ma confiance. Mais si une complication survenait, on me trouvera à l’auberge du Marteau qui cogne , près la truanderie.

Là-dessus, le jeune homme fit ses adieux au maréchal, qui le serra dans ses bras.

Une fois dehors, le chevalier se mit à marcher de ce pas tranquille et fier qui lui était habituel. Il se disait qu’au cas où on le chercherait, la meilleure manière d’attirer l’attention et de se faire arrêter, était de se mettre à courir, ou d’avoir l’air de quelqu’un qui se cache.

C’était justement raisonné. Mais Pardaillan ignorait – et cette ignorance était un charme en lui – que sa démarche ne ressemblait à aucune autre, et que ses attitudes étaient remarquables en elles-mêmes. En sorte que son raisonnement se trouvait pécher par la base.

Quoi qu’il en soit, il avait l’œil au guet; mais ne voyant rien de suspect dans les rues paisibles que sillonnaient des seigneurs à cheval, des dames en chaise, des bourgeois, des marchands de comestibles divers, il s’abandonna peu à peu à ses rêveries.

Rêver en marchant est une des choses les plus douces. Et le plus poète des poètes, qu’on appelle «le bon La Fontaine», l’a dit: «Un je sais quel charme emporte alors nos sens. Fortune, gloire, honneur, amour, le déshérité trouve tout cela en rêvant. La réalité n’en sera peut-être que plus cruelle, après le quelque incident qui fait qu’on rentre en soi-même.» Mais, comme dit l’autre, cela fait toujours passer une heure ou deux. Et qui sait si ce n’est pas là l’essentiel?

Enfin, notre héros rêvait tout éveillé, tout marchant. Pour une fois que cela lui arrive, nous espérons qu’on ne le lui reprochera pas. Le malheur est que lorsqu’on rêve ainsi, on ne voit plus rien autour de soi.

Pardaillan ne vit pas la silhouette revêche de Maurevert contre lequel il faillit se cogner.

La chose se passait à l’angle d’une ruelle proche du Louvre.

Pardaillan ne vit rien, lui, et poursuivit en même temps son chemin qui le conduisait au Marteau qui cogne , et son rêve qui le conduisait aux pieds de Loïse. Mais Maurevert, qui n’avait aucune raison de rêver à ce moment-là, vit parfaitement le chevalier. Il bondit de joie et s’enfonça dans la boutique obscure d’un fripier. Lorsque Pardaillan fut passé, Maurevert sortit de la boutique et avisa un garde qui, son service fini, se promenait. Il lui dit deux mots, et le garde se mit à courir. À ce moment arrivèrent Quélus et Maugiron avec lesquels Maurevert avait rendez-vous. Il les mit au courant de la rencontre qu’il venait de faire et s’élança à la poursuite de Pardaillan, tandis que les deux autres attendaient sur place.

Tout ce mouvement échappa, bien entendu, au chevalier qui, d’ailleurs, prenait de l’avance.

Au moment où il entrait dans la ruelle Montorgueil, où se trouvait le cabaret du Marteau qui cogne , il entendit soudain derrière lui le bruit de pas nombreux et précipités. S’étant retourné, il vit une bande composée d’une dizaine de gardes en tête desquels marchaient Quélus et Maugiron; quelques pas en avant de tous, venait Maurevert.

Pardaillan allongea le pas.

– Arrête, arrête! cria Maurevert.

– Au nom du roi! hurla le sergent.

À ce cri, les bourgeois qui considéraient cette scène, soulevèrent leurs bonnets. Aussitôt, deux ou trois marchands ambulants, – dans les arrestations en pleine rue, le nombre des policiers volontaires est toujours plus grand que le nombre des policiers de métier; n’est-ce pas, en effet, une satisfaction que de pouvoir prêter main-forte au plus fort? – Quelques ambulants donc, se précipitèrent pour barrer la route au chevalier.

Celui-ci ne dit rien, mais tira sa longue et large dague, qu’il montra d’un air d’autant plus terrible qu’il paraissait paisible. Les policiers volontaires firent un bond de côté et s’aplatirent contre le mur; car, du moment qu’il y a danger, au diable la main-forte à la loi et au roi!

– Arrête! au nom du roi! vociférèrent de plus belle les poursuivants en se mettant à courir.

Pardaillan, son poignard à la main, prit alors une allure plus rapide. Son intention était de passer devant le cabaret sans s’y arrêter, et d’aller se perdre dans le dédale de ruelles qui formait un inextricable lacis entre la nouvelle église Saint-Eustache dont on achevait alors les deux tours carrées et la place de Grève.

Mais au moment où il s’élançait, à l’autre extrémité de la ruelle Montorgueil, il vit s’avancer une troupe du guet que quelque âme charitable avait sans doute appelée.

Le chevalier était pris! Une légère sueur pointa à la racine de ses cheveux. Comme il hésitait pour savoir s’il essaierait de foncer sur l’ennemi qui était devant lui, un chien courut se jeter dans ses jambes.

– Pipeau! s’écria Pardaillan. C’est donc que mon père est là!…

Et il se jeta dans le cabaret en criant:

– Alerte! Je suis poursuivi…

Le vieux Pardaillan bondit jusqu’à la porte. Un coup d’œil à droite et à gauche le convainquit de la gravité de la situation: à gauche, une troupe, à droite, une autre bande, sur le pas de toutes les portes, des commères, des badauds, une rue en révolution!

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