Saint-Julien attendit que le dernier de ses hommes se fût éloigné. Il pénétra alors dans le cul-de-sac et alla frapper à la porte de la prison, le judas s’ouvrit à l’intérieur, une face patibulaire se montra à travers le grillage. Saint-Julien exhiba un papier. La porte s’ouvrit à l’instant même et il entra.
Carcagne l’avait suivi. Il resta un long moment à méditer devant la prison. Et voici ce qu’il trouva:
«Tâchons de savoir ce que sont devenus Escargasse et Gringaille. Ensuite, nous aviserons messire Jehan.»
Et il s’éloigna.
Bertille et Perrette furent enfermées ensemble, dans une cellule relativement confortable. En effet, il y avait là deux étroites couchettes une petite table et deux escabeaux. Le guichetier qui les enferma eut soin de leur faire remarquer le luxe insolite de leur cachot. Dans certaines cellules, les prisonniers n’avaient qu’une botte de paille pour s’étendre. Dans d’autres, ils n’avaient rien du tout. Elles devaient donc s’estimer heureuses d’être soumises à un régime de faveur.
Les deux jeunes filles se montrèrent indifférentes à ces détails. La seule faveur qu’elles appréciaient comme il convenait était de voir qu’on ne les séparait pas. À deux, la prison leur paraîtrait moins pénible.
Bertille, d’ailleurs, ne se montrait pas autrement inquiète. Elle expliqua à Perrette que la seule personne qu’elle avait à redouter était Concini. Or, il était avéré que Concini n’était pour rien dans leur arrestation. Elles ne tarderaient certes pas à sortir de là. Jehan ou M. de Pardaillan les en tirerait. Au besoin, elle écrirait au roi qui saurait bien, lui, faire lâcher prise à l’abbesse.
Le soir vint. On leur servit un repas modeste, il est vrai, mais qui laissait tout de même loin derrière lui le traditionnel pain sec et la cruche d’eau. Bertille, par raison, se força à manger. Perrette, déjà souffrante le matin, ne put rien absorber, si ce n’est un doigt de vin. Encore ne le prit-elle que pour répondre à l’affectueuse insistance de sa compagne.
Elles se couchèrent. Bertille n’était pas aussi rassurée qu’elle avait bien voulu le laisser croire à Perrette. Ce qu’elle n’avait pas dit, parce que ce n’était pas son secret, c’est que, instruite par l’expérience, mise en garde par Pardaillan, avec qui elle s’était longuement et mystérieusement entretenue, elle pensait que l’abbesse n’était qu’un instrument aux mains de personnages plus puissants qu’elle. Elle se disait qu’elle n’était prisonnière des religieuses qu’en apparence.
Elle ne doutait pas que cette nouvelle violence qui lui était faite n’eût trait au trésor et aux papiers qu’on savait en sa possession. Tôt ou tard, les larrons acharnés à la poursuite de ce trésor s’apercevraient qu’ils avaient été dupés. Alors, comme ils la tenaient, ils ne la lâcheraient plus jusqu’à ce qu’elle eût dit ce qu’elle savait ou livré les papiers qu’elle possédait.
C’était une longue, peut-être une éternelle détention qu’il lui faudrait subir. Sans compter les tourments et les tortures qu’on ne manquerait pas de lui infliger pour l’amener à livrer un secret qui n’était pas le sien.
Comme on voit, l’avenir lui apparaissait sombre et chargé de menaces. Et il fallait qu’elle fût douée d’une forte dose de courage et d’énergie pour avoir réussi à montrer à sa compagne un visage relativement calme et serein.
Il convient de dire que l’essentiel pour elle était de ne pas être aux mains de Concini, qu’elle redoutait au-dessus de tout, parce qu’il représentait le déshonneur. En outre, elle savait bien que Pardaillan remuerait ciel et terre pour l’arracher à une persécution dont il était indirectement la cause. Sans compter Jehan, qui ne resterait pas inactif. Encore fallait-il qu’elle pût les aviser au moins du lieu où elle était détenue.
Malgré ces appréhensions et ces craintes, trop justifiées, elle s’endormit aussitôt qu’elle fût couchée.
Il n’en fut pas de même de Perrette, qui n’avait pas les mêmes sujets d’inquiétude et qui, pourtant, demeura longtemps à se tourner et retourner dans son lit, sans que le sommeil parvînt à la gagner. Pourtant, elle finit par tomber dans une sorte de torpeur peuplée de cauchemars affreux.
Un rêve surtout l’impressionna fortement. Le voici:
Elle se voyait morte, raide sur sa couche, les yeux fermés, et elle voyait distinctement le mur au pied de son lit. Tout à coup, ce mur s’écarta. Une lumière douce éclaira la cellule; deux moines, capuchons rabattus, s’approchèrent. L’un d’eux souleva un de ses bras, et elle eût l’impression que ce bras retombait lourdement, inerte, et cela lui parut naturel: puisqu’elle était morte.
– Elles dorment! dit l’un des moines à demi-voix.
Elle fixa le mur. Il était revenu à sa place. Les moines saisirent demoiselle Bertille enroulée dans ses couvertures. Un religieux revint à la tête de son lit. Il paraissait chercher elle ne savait quoi contre le mur. Elle entendit un brut sec et elle vit que le mur, en face, s’ouvrait de nouveau. Les moines saisirent Bertille et l’emportèrent. Derrière eux, le mur se referma et elle se trouva dans l’obscurité.
Elle faisait des efforts désespérés pour crier à l’aide, se remuer, se réveiller. Et elle sentait que ses membres, lourds comme du plomb, se refusaient à tout service. Elle demeura dans cet état un temps qui lui parut long.
Tout à coup, elle entendit grincer les verrous, et la porte, la vraie porte, l’unique porte de son cachot s’ouvrit. De nouveau, il se trouva faiblement éclairé: deux moines – les mêmes peut-être – s’approchèrent de son lit et l’enlevèrent, comme ils avaient enlevé Bertille. Et ces deux moines étaient accompagnés d’un geôlier qui, une lampe à la main, les éclairait.
On l’emporta par la porte, que le geôlier ferma. Presque en face de cette porte, il y avait un escalier. Les moines se mirent à le monter. À l’étage au-dessus, ils tournèrent à droite. Le geôlier ouvrit la première porte, qui se trouvait sur la gauche. Elle sentit qu’on la déposait à terre, sur une botte de paille. Et les trois fantômes, moines et geôlier s’évanouirent, et elle se trouva plongée dans d’épaisses ténèbres.
Quelques moments s’écoulèrent. La porte s’ouvrit encore une fois. Le geôlier, seul cette fois, entra. Il portait un paquet qu’elle reconnut: c’étaient ses hardes. Il les laissa tomber à ses pieds et se retira sans bruit, L’obscurité redevint compacte et, sans doute le rêve, le cauchemar plutôt, s’était heureusement dissipé, car elle perdit toute conscience.
Lorsqu’elle se réveilla, le jour pénétrait dans son cachot par une étroite ouverture, munie de solides barreaux. Elle se sentait la tête singulièrement lourde. Elle promena autour d’elle des regards agrandis par l’étonnement. Elle se vit couchée sur une botte de paille, ses vêtements en désordre, à ses pieds.
Elle considéra sa cellule et ne la reconnut pas. Elle se trouvait dans un vrai cachot noir et sale, où régnait une odeur infecte qui paraissait se dégager de la muraille. Ce cachot avait à peine trois pas de large sur six de long. Heureusement, il était assez bien éclairé et aéré par la petite lucarne, sans quoi on n’eût pu y tenir à cause de l’odeur nauséabonde. Pas le moindre meuble, même pas un escabeau. Dans un coin, une cruche; sur la cruche, une boule de pain noir.