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À cette vue, les deux frêles jeunes filles demeurèrent saisies. Et, pareilles à deux pauvres oiselets qui voient fondre le vautour, elles se blottirent l’une contre l’autre, Perrette enlaçant Bertille en un geste gracieux d’instinctive protection.

Sans saluer, gravement, d’un air très important, comme il convenait à un personnage de son importance, le bailli ânonna sur le ton de quelqu’un qui récite une leçon:

– Au nom de la très haute, très puissante et très sainte dame Marie de Beauvilliers, abbesse de Montmartre, jeunes filles, je vous arrête!

Et il les toucha du bout de sa baguette en signe de prise de possession, en ajoutant, toujours très digne:

– Gardes, emparez-vous des criminelles.

Et les quatre gardes, très gravement, entourèrent les deux criminelles.

Bertille, on a pu le voir, était une fille de résolution et d’énergie. Elle se dégagea doucement de l’étreinte de Perrette et se redressant, d’un air de souveraine dignité:

– Vous m’arrêtez au nom de Mme l’abbesse… Eh, qu’ai-je affaire avec l’abbesse?… Prenez garde, monsieur, vous violentez une fille de noblesse, qui est elle-même haute et puissante dame. L’égale en tous points de celle au nom de qui vous agissez. Je n’ai donc rien à voir avec la justice de Mme l’abbesse, dépendant uniquement de celle du roi; auquel je me plaindrai.

Sans se troubler le moins du monde, du même air rogue et entendu qui paraissait lui être particulier, le bailli répliqua:

– Ceci est un point que vous pourrez plaider, plus tard, quand viendra votre procès. Pour l’instant, il vous faut me suivre à la prison de notre sainte mère l’abbesse.

– Et si je refuse de vous suivre?

– En ce cas, dit froidement le bailli, ne vous en prenez qu’à vous-même de la violence à laquelle vous m’obligerez de recourir. De plus, remarquez que vous aggravez singulièrement votre cas par cet acte de rébellion.

Il paraissait très convaincu et très résolu, le digne bailli. Bertille comprit que toute résistance serait vaine.

– Soit, dit-elle, je cède à la force et vous suivrai, monsieur. Mais tenez pour assuré que je me plaindrai au roi.

Le bailli eut un mouvement d’épaules qui signifiait qu’il n’en avait cure. Il avait des ordres formels, il les exécutait; le reste ne le regardait pas.

Bertille et Perrette s’enveloppèrent dans leurs mantes, dont elles rabattirent les capuchons, et se tenant par le bras, elles suivirent les gardes qui les encadraient.

À la porte dérobée, Martine, à demi évanouie, était solidement maintenue par deux estafiers de Saint-Julien. D’un air digne et sévère, le bailli ordonna:

– Relâchez la servante. Et qu’elle n’y revienne plus!

À quoi ne devait plus revenir la servante? Le bailli ne le disait pas. Martine n’eut garde de s’informer. Sans demander son reste, elle fila, emportée par les ailes de la peur, et ne respira que lorsqu’elle se vit à l’abri, toutes portes dûment et solidement verrouillées.

Aux environs de la porte Montmartre, un homme s’avança, le nez au vent, bayant aux corneilles. C’était Carcagne, qui s’ennuyait tout seul et qui s’en allait tenir compagnie à ses deux compagnons: Gringaille et Escargasse. Visite un peu intéressée, car plus épris que jamais, il caressait l’espoir d’apercevoir le joli minois de Perrette, ne fut-ce qu’une seconde, en passant.

En bon badaud, il s’arrêta pour dévisager l’escorte et les deux prisonnières, en se disant:

– La justice de Mme de Montmartre!

Carcagne, comme ses deux compagnons, connaissait sur le bout du doigt tous les uniformes de toutes les justices seigneuriales de Paris, pour l’excellente raison que, peu ou prou, ils avaient eu maille à partir avec toutes.

Autrefois, en reconnaissant des agents d’une autorité quelconque, Carcagne se serait empressé de tirer au large, prudemment. Mais, maintenant qu’il était honnête, tripes du pape! il pouvait les regarder passer sans crainte. C’est ce qu’il faisait avec la satisfaction un peu étonnée de ne pas se trouver lui-même prisonnier au milieu des gardes.

En passant, une des deux prisonnières releva une seconde son capuchon et le regarda fixement.

Le bon Carcagne bondit, effaré.

– Tripes du pape! rugit-il dans son esprit, mais c’est Perrette!… Et la demoiselle!… Eh bien mais, et Gringaille et Escargasse, que font-ils donc?… Que va dire Jehan?…

Ceci se passa comme un éclair dans son esprit. Il était fort, Carcagne, et il le savait. Il crispa les poings et jeta un coup d’œil inquiétant sur les gardes qui marchaient très dignes.

– Ils ne sont que six! se dit-il. On peut en venir à bout!

Mais, à ce moment, ses yeux se portèrent plus loin que l’escorte. À quelques pas derrière elle, venaient Saint-Julien, le visage enfoui dans le manteau, et derrière lui ses dix estafiers aux gueules de dogues. Et malgré qu’ils affectassent des allures indifférentes, il était manifeste qu’ils «gardaient les gardes».

Carcagne ne brillait pas précisément par un excès d’intelligence. Mais il est des circonstances critiques qui se chargent de donner de la décision et de la perspicacité au plus borné des humains. Carcagne, d’un coup d’œil, vit l’escorte de Saint-Julien, et, du même coup, il comprit quel était son rôle et il dit:

– Six, ça pouvait passer, mais dix-sept, outre! comme dit Escargasse, ce n’est plus de jeu! J’en découdrai bien quelques-uns, c’est certain, mais les autres auront ma peau! Libre, je peux être utile… on ne sait pas. D’autant que je me demande ce que sont devenus Gringaille et Escargasse… Est-ce qu’on me les aurait tués, par hasard?… S’il en est ainsi, tripes du pape! je ne sais pas ce que je ferai, mais…

Ayant ainsi réfléchi, Carcagne renfonça la rapière qu’il avait à moitié tirée du fourreau et s’écarta, s’effaça, se fit aussi petit que possible pour passer inaperçu. Et il eut la chance de ne pas être vu. Alors, il se mit à suivre les deux escortes.

Parvenue rue de la Heaumerie, le bailli, ses prisonnières et ses six gardes pénétrèrent dans le cul-de-sac. Saint-Julien et ses hommes restèrent à l’entrée, comme pour en interdire l’approche à quiconque.

S’il connaissait tous les uniformes des agents, Carcagne connaissait aussi bien toutes les prisons. Dès que les deux troupes s’étaient engagées dans la rue de la Heaumerie, il avait été fixé et il avait murmuré:

– Le Savot aux Dames! (Le Fort aux Dames.)

Et il s’était tenu à l’écart.

Quelques minutes plus tard, le bailli et ses hommes reparaissaient et prenaient doucement le chemin de Montmartre. Saint-Julien, alors, sortit de dessous son manteau une bourse d’apparence respectable et la lança à ses malandrins, lesquels, le partage effectué en un clin d’œil, se dispersèrent aussitôt. La besogne pour laquelle ils avaient été embauchés était terminée, paraît-il.

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