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– Ma foi, l’occasion est bonne, et je la saisis. Je vins donc à Paris où j’appris bientôt que ce Montesquiou était le capitaine des gardes de M. le duc d’Anjou. Je me cachai dans la maison d’un de nos amis qui voulut bien accepter une commission que je lui donnai…

– Nul n’a jamais su ce qu’était devenu ce Montesquiou, interrompit d’Andelot.

– Patience! reprit le prince de Condé. La commission consistait à aller prier le capitaine de se trouver à la brume sur les bords de la Seine, un peu plus bas que l’ancienne Tuilerie… Montesquiou accepta galamment le cartel, je dois le dire; il vint seul au rendez-vous à l’heure indiquée, et il m’y trouva seul. En m’abordant, il me dit:

«Que me voulez-vous, jeune homme?

– Vous tuer.

– Diable!… Vous êtes bien jeune; j’aurai honte à croiser le fer avec vous…

– Dites que vous avez peur, Montesquiou!

– Qui êtes-vous! fit-il, étonné.

– Je suis le fils de Louis Ier de Bourbon, prince de Condé, assassiné par toi à Jarnac!»

Alors il ne fit plus d’objection, mit bas son manteau et tira sa rapière. J’en fis autant, et nous tombâmes en garde sans plus dire une parole. J’étais comme fou. Je ne sais ni comment j’attaquai, ni comment je parai ou ripostai. Ce que je sais seulement, c’est qu’au bout de trois minutes, je sentis mon fer s’enfoncer comme dans du vide; je regardai à travers le brouillard sanglant qui couvrait mes yeux, je vis mon épée toute rouge, je vis le capitaine Montesquiou étendu à terre frappant du talon le sable de la grève sur lequel se crispaient ses doigts. Je compris qu’il allait mourir. Alors, je me penchai sur lui et je lui dis:

«Quelqu’un t’avait-il poussé à ton acte? Parle! Dis la vérité, puisque tu vas mourir!

– Personne! fit-il dans un râle.

– Personne?… Pas même ton maître, le frère du roi?

– Personne! répéta-t-il. J’ai agi de ma propre volonté.

– Mais pourquoi! Pourquoi, dis! Pourquoi ce crime sur un prisonnier!

– On m’avait persuadé que la mort du prince était nécessaire au bonheur du royaume et qu’il n’y avait ni paix ni bonheur possible tant que des gens refuseraient la messe!… Je vois maintenant que je m’étais trompé…»

En disant ces mots, il rendit un flot de sang et poussa le dernier soupir. Quant à moi, je montai à cheval et je m’en allai, je me sauvai plutôt, à fond de train, heureux d’avoir vengé mon père, et me disant que bien des crimes seront commis encore tant qu’on voudra forcer les gens à prier en latin plutôt qu’en français…

– Ce qui veut dire, mon cousin, fit le roi de Navarre, qu’un roi ne doit pas s’inquiéter de la religion de ses sujets. Eh bien, j’accepte la leçon! Qu’ils prient en français, grec ou latin…

Le Béarnais s’arrêta tout à coup: un pli soucieux barrait le front de Coligny.

Mais en lui-même, le Gascon ajouta:

«Et même, qu’ils ne prient pas du tout!… pourvu que je règne à Paris!…»

Le jeune prince de Condé demeurait assombri par le récit qu’il venait de faire. Pardaillan l’examinait avec une sympathique curiosité. Cette physionomie ouverte, ces yeux francs, ce regard, tantôt d’une grande douceur, tantôt plein d’éclairs, ce visage d’une charmante fraîcheur et d’une réelle beauté, cet ensemble de grâce et de force lui apparaissaient en plein contraste avec la physionomie du roi.

Celui-ci, bien que plus jeune que son cousin, portait les signes d’une ruse fanfaronne qui déguisait sans doute des pensées d’égoïsme. C’était une figure plus rusée que fine. Le Béarnais riait souvent et à tout propos. Il riait bruyamment et parlait haut; ses yeux pétillaient, mais il évitait de regarder en face; il avait la plaisanterie facile et souvent grossière; par là, il a passé pour avoir de l’esprit, comme si l’esprit était dans le bon mot; il affectait ce genre de plaisanterie qui s’appelle de la gauloiserie, racontait des histoires de femmes, se glorifiait de ses succès avec une vantardise toute naturelle dans un esprit aussi «gaulois».

Il était loin d’être antipathique, d’ailleurs; c’était un de ces bons gros égoïstes à qui la foule pardonne bien des choses parce qu’ils savent rire; au fond, le type du commis-voyageur, tel qu’on le représente dans les romans d’il y a trente ans, et aussi dans les chansonnettes… «Qu’il pleuve ou vente, toujours il chante»… Il eut le bonheur inouï de rencontrer Sully. Réputation surfaite comme celle de François Ier . Il est d’ailleurs à remarquer que le peuple a conservé une sorte d’amitié pour les rois paillards. Il maudit encore Louis XI, parle de chevalerie quand il est question de François Ier , et sourit avec indulgence en parlant d’Henri IV.

Mais il est temps d’en revenir à notre histoire.

Que faisaient à Paris Coligny, le prince de Condé, le roi de Navarre?

C’est ce que nous ne tarderons pas à savoir.

Ce qui nous intéressait pour l’instant, c’était la présentation du chevalier de Pardaillan à ces divers personnages que nous venons de mettre en scène.

La réunion devait d’ailleurs être déjà terminée au moment où se fit cette présentation.

Pourtant, comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, on attendait encore quelqu’un.

Cependant, le jeune roi de Navarre fixait un œil rusé sur le chevalier, et il cherchait peut-être quelque moyen de l’attacher à sa fortune, lorsque la porte s’ouvrit; un de ces domestiques armés en guerre que Pardaillan avait remarqués alla vivement à l’amiral Coligny et lui glissa deux mots à l’oreille:

– Sire, dit Coligny avec un certain accent de joie, M. le maréchal de Montmorency a bien voulu se rendre à mon invitation. Il est là. Et il attend le bon plaisir de Votre Majesté.

Un éclair de satisfaction brilla dans le regard du Béarnais: mais cet éclair s’éteignit aussitôt; et, avec sa bonne humeur gasconne, le roi s’écria:

– Ce cher François! Je serai heureux de le voir. Qu’il entre! qu’il entre! Monsieur l’amiral, et vous, mon cousin, vous voudrez bien demeurer près de moi pendant cette entrevue.

Les autres personnages de cette scène se levèrent pour se retirer.

– Eh bien!… fit Déodat, en saisissant le bras de Pardaillan, à quoi songez-vous donc?

Pardaillan tressaillit, comme s’il s’éveillait d’un rêve. L’annonce que le maréchal de Montmorency allait entrer dans cette salle l’avait plongé dans une sorte de stupeur.

– Pardon, balbutia-t-il.

Et il s’inclina devant le roi de Navarre qui, pour la deuxième fois, lui tendit la main, et lui dit:

– Le comte de Marillac m’a fait savoir que vous ne prisiez rien tant que votre indépendance, et que vous entendiez vous tenir en dehors de toutes querelles; cependant, je veux croire que notre rencontre aura un lendemain et quant à moi, je serais heureux de vous voir parmi les nôtres.

– Sire, répondit Pardaillan, je dois à tant de bienveillance une entière franchise: les guerres religieuses m’effraient parce que j’ai le malheur d’être à peu près sans religion… mon père ayant oublié de m’en donner une.

Pardaillan ne vit pas le mouvement qu’avait esquissé Coligny et n’eut pas l’air de se douter qu’il venait de dire une énormité. Devant cette énormité, le futur Henri IV s’était d’ailleurs contenté de sourire. Et ce sourire en disait long sur les sentiments religieux du Béarnais.

– Mais, acheva le chevalier, j’avoue pourtant à Votre Majesté que si l’ardente sympathie d’un pauvre diable comme moi peut lui être utile, cette sympathie, vienne l’occasion, ne lui fera pas défaut…

– Bien, bien… nous reprendrons cet entretien, dit le roi.

Pardaillan sortit avec Marillac. Le vieux d’Andelot et Téligny étaient déjà sortis ensemble.

– Quelle faiblesse vous a pris tout à l’heure, cher ami? demanda alors Marillac. Vous avez paru tout ému et vous êtes encore pâle.

– Écoutez, fit Pardaillan, c’est bien le maréchal de Montmorency qui va être introduit auprès du roi?

– Lui-même?

– François de Montmorency, n’est-ce pas?

– Mais oui, fit Marillac étonné.

– Eh bien, ce Montmorency, c’est le père de celle que j’aime! Il faut que je lui remette la lettre que j’ai là sous mon pourpoint et qui me brûle la poitrine. Si je ne lui remets pas cette lettre, je suis un félon et j’enlève à Loïse sa protection la plus naturelle et la plus sérieuse. Et si je la lui remets, cet homme va me haïr, et Loïse est perdue à jamais pour moi!…

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