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Aujourd’hui, François, ton mariage a été célébré. Toute la pauvre rue que j’habite parle de la pompe de cette cérémonie et dit que Madame Diane est la digne épouse d’un fier seigneur tel que toi… hélas! n’étais-je donc pas digne d’assurer ton bonheur?

Aujourd’hui, tout est bien fini. La dernière lueur d’espérance qui vacillait dans mon âme vient de s’éteindre.

Le jour où ton père me chassa, broya mon cœur comme s’il l’eût saisi dans son gantelet des jours de bataille, le jour où, presque folle, je sortis en trébuchant de cet hôtel où, pour te sauver, je venais de signer ma pauvre déchéance, le jour où, éperdue, agonisante, je m’enfonçai dans le noir Paris, ma fille dans mes bras, ce jour-là, François, je crus avoir franchi les limites de la douleur humaine.

Hélas! je n’avais pas encore vécu la présente journée!…

Si grand que fût mon malheur, j’entrevoyais encore par-delà les horizons funèbres qui m’environnaient quelque chose comme une aube… aujourd’hui, c’est fini: tout est noir en moi.

C’est fini, François! pourtant, un indissoluble lien te rattache à moi. Ton enfant vit. Ton enfant vivra. C’est pour elle que j’ai déchiré mes lèvres qui voulaient parler, c’est pour elle que j’ai gravi les calvaires de désespoir, c’est pour elle que j’ai subi le martyre… Ta fille vivra, François!

Je devrais me taire pour ma fille. Aujourd’hui, pour ma fille, je dois parler…

T’ai-je dit qu’elle s’appelle Loïse?… La chère enfant porte admirablement ce joli nom. Si tu veux te figurer ta fille, figure-toi la plus jolie Loïse qu’il soit au monde, et encore non! Il faudrait que tu puisses la voir.

Que j’aie été frappée, moi, je l’admets. Que ma vie soit brisée, que je sois déchue de mon titre d’épouse sans avoir mérité ce suprême affront, soit! Mais je veux que Loïse soit heureuse: tout ce qui me reste de vie, force, volonté, énergie, pensée, tout est là! Je ne veux pas que Loïse soit injustement frappée comme je l’ai été.

Pour cela, il faut que tu puisses ouvrir ton cœur à ta fille. Il faut qu’elle puisse entrer la tête haute dans ta maison, il faut que Loïse puisse prendre à ton foyer la place qui lui est due!

Et pour cela, mon cher époux, il faut que tu saches la terrible, la solennelle vérité…

Je t’appelle encore mon époux. Car tu demeureras tel jusqu’à la fin de mes jours.

Librement, tu m’as épousée dans la vieille chapelle de Margency. Rappelle-toi cette nuit héroïque où notre union eut pour témoin un mourant et où devant le mort… devant mon père foudroyé par l’émotion, tu juras de m’aimer toujours!

Tel je te vis en cette nuit, ô mon cher époux, tel je te revois encore.

Et qu’importent les ordres du connétable, du roi, du pape! Qu’importe ce qu’ils ont décidé, voulu, arrangé! Tu es mon époux, François…

Or, il faut que tu saches l’abominable crime qui nous a séparés. Tu vas tout savoir: et que ton père fut cruel, et que ton frère fut criminel, et que ton amante, ton épouse peut porter fièrement ton nom, et que ta fille a le droit de venir s’asseoir dans la maison des Montmorency.

Mais ne crois pas au moins que je veuille troubler ta vie.

Cette lettre, François, je l’écris parce qu’il faut que la vérité éclate.

Mais pour l’envoyer, pour te la faire parvenir, j’attends trois choses:

La première, c’est que ton père soit mort [20] . Car c’est sur toi que le connétable ferait tomber le poids de sa haine s’il apprenait que le fatal secret t’est connu.

La deuxième, c’est que ma fille… ta Loïse… soit en âge de défendre ma mémoire et de parler hardiment comme il convient à une Montmorency, fille d’une de Piennes, héritière irréprochable des Montmorency.

La troisième, c’est que je me sente sur ma mort, ou qu’un grave péril menace notre enfant.

Tant que ces trois conditions ne seront pas remplies, ô mon François, je veux demeurer dans mon ombre, heureuse encore de pouvoir me dire qu’en me taisant j’assure la paix et le bonheur de l’homme que j’ai tant aimé…

Car ma vie à moi ne compte plus.

Mais ce qui compte, François, c’est la vie et le bonheur de notre enfant.

Lorsque tu recevras cette lettre, Loïse sera assez grande pour te parler. Ton père sera mort, et je n’aurai plus rien à redouter de ce côté pour toi…

Mais à ce moment-là aussi… ou je serai mourante, ou un danger sera sur la tête de Loïse.

Dans les deux cas, François, la volonté suprême de ton amante, de ton épouse, est que tu reportes sur Loïse cette affection dont j’étais si fière, que tu lui rendes le nom auquel elle n’a cessé d’avoir droit, puisqu’elle est née quand j’étais ta femme, que tu lui fasses enfin l’existence qui doit être la sienne: celle d’une héritière directe des Montmorency.

Et maintenant, François, mon amant, mon cher époux, voici l’affreux secret.

Ton frère Henri m’aimait…

Tout notre malheur tient dans ces mots:

Ton frère Henri m’aimait.

Il ne craignit pas de me l’avouer. Mais j’espérai que la droiture finirait par l’emporter chez cet homme si jeune encore. J’espérai que mon amour pour toi me couvrirait contre l’injure de son amour à lui. Je me tus pour ne pas déchaîner la guerre dans une illustre famille.

La nuit de ton départ pour la guerre, une confidence était sur mes lèvres… Tu sais quels événements précipités se produisirent, et que notre mariage eut lieu… Le lendemain, je t’attendis vainement: tu étais parti!

La confidence qui était sur mes lèvres, la voici, mon François: j’étais enceinte, j’allais te donner un enfant!

Cet enfant vint au monde pendant que tu te battais… c’est notre Loïse.

Dans ces mois terribles où je te crus mort, où je faillis mourir moi-même, ton frère disparut, et j’espérai qu’il s’était éloigné pour toujours.

Un jour ma fille me fut enlevée. Et comme éperdue je la cherchais, ton frère m’apparut, m’annonça ton retour, et en même temps me dit qu’il connaissait l’homme qui avait enlevé Loïse. Et comme je demeurais toute palpitante du bonheur de te savoir vivant, comme je me demandais quelle folie pouvait pousser ton frère, alors, François, s’ouvrit devant mes yeux l’abîme où j’allais m’engloutir.

Voici l’horrible chose que j’appris à l’instant même où tu accourais, où déjà j’entendais ta chère voix…

Notre Loïse était entre les mains d’un homme payé par ton frère… un misérable qui s’appelait le chevalier de Pardaillan. Ce monstre devait, sur un seul signe de ton frère, égorger la pauvre petite créature… ta fille, François… ce cher petit ange… Et ce signe, ton frère devait le faire au chevalier de Pardaillan si j’avais le malheur de prononcer une seule parole devant toi, tandis que je serais accusée… accusée de forfaiture par ton propre frère!

La scène épouvantable qui suivit, tu la connais!

Tu sais maintenant pourquoi je me tus lorsque ton frère m’accusa!…

Je me tus, François! Et pourtant, mon âme hurlait de désespoir, ma chair criait sa souffrance! Je me tus, et je sentais la folie envahir ma tête! Je me tus, et la nature prit pitié de moi sans doute… car je m’évanouis et lorsque je revins à moi, tu avais disparu…

J’étais condamnée! mais Loïse, ta fille, était sauvée!

Ah! François! maudit soit à jamais l’être abominable qui porte ton nom… ton frère… ton misérable frère qui fut ce jour-là un démon d’enfer acharné à ma perte et à la tienne!

Maudit soit ce Pardaillan, ce complice hideux qui avait accepté l’effroyable besogne!…

Mais il faut que tu saches le reste. Toi parti, ma fille me fut rendue par un inconnu, je courus à Montmorency pour te dire tout: tu étais en route pour Paris! je courus à Paris… je vis le connétable…

Et le connétable qui sut toute la vérité par moi me donna à choisir:

Ou je renoncerais à mon titre d’épouse, ou tu serais enfermé au Temple pour la vie!

Je signai!…

Je signai, te dis-je! Et je disparus, meurtrie, brisée… mais ma fille me restait! J’ai vécu pour elle; je vivrai pour elle… il faut que je vive…

Maintenant, mon cher époux, tu sais l’effroyable vérité.

Je te jure que si j’avais été seule frappée, je serais morte, emportant le terrible secret dans la tombe.

Ce secret, je l’écris.

Je te le ferai parvenir à l’heure de ma mort; en mourant, je veux être sûre que ta Loïse va reprendre le rang auquel elle a droit, et qu’une vie de bonheur va s’ouvrir devant elle.

Accours donc, ô mon époux!

Quelle que soit l’année, quel que soit le jour, quelle que soit l’heure où j’aurai décidé de te faire parvenir cette lettre, où tu l’auras reçue, accours, suis le messager que je t’enverrai… accours auprès de ta femme innocente qui n’a jamais cessé d’être digne de toi et de t’adorer; près de ta fille, ta Loïse, que je veux remettre dans les bras de son père!…»

[20] On sait que le connétable mourut en 1567, c’est-à-dire neuf ans après que cette lettre eut été écrite. Nous aurons à parler de cette mort. (Note de M. Zévaco.)


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