Il ne tarda pas à arriver rue Saint-Antoine.
– Tiens, fit-il, j’aurais pourtant juré que j’avais tourné vers la rue Saint-Denis!…
Là, il aperçut deux hommes que serraient de près une dizaine de truands. Tous les deux étaient à cheval. L’un d’eux tenait en main une troisième monture toute sellée. C’était un vieillard, vêtu comme un serviteur de grande maison. C’était lui qui criait:
– Au meurtre! Au feu! Au guet!
Mais les truands, sachant bien que personne n’interviendrait et que le guet, en entendant les cris, s’écarterait prudemment, ne s’occupaient pas du vieux, et entouraient l’autre cavalier qui, sans prononcer une parole, se défendait énergiquement, à preuve les deux francs-bourgeois qui étaient étendus sur la chaussée, le crâne fracassé.
Cependant cet homme, si vigoureux et si courageux qu’il fût, allait succomber.
Ses assaillants l’avaient acculé dans une encoignure et cherchaient à le désarçonner.
– Tenez bon, monsieur! cria tout à coup une voix calme et plutôt railleuse, on vient à vous!…
En même temps, Pardaillan surgit dans la mêlée et commença à faire pleuvoir sur les truands une grêle de coups. Il n’avait pas dégainé la fameuse Giboulée; mais saisissant par le cou les deux premiers de la bande qui lui tombèrent sous la main, il les rapprocha l’un de l’autre, d’un irrésistible et rapide mouvement; les deux faces se heurtèrent, les deux nez commencèrent à saigner; alors, par un mouvement inverse, Pardaillan les sépara, les poussa l’un à droite, l’autre à gauche, les lança, pareils à une double catapulte; chacun des truands alla rouler à dix pas, entraînant dans sa chute deux ou trois de ses camarades, et aussitôt le chevalier se plaça devant l’inconnu assailli, et d’un geste large, tira la flamboyante Giboulée…
Les truands furent-ils épouvantés de la manœuvre et de la force musculaire qu’elle prouvait?
Reconnurent-ils Pardaillan, qui avait parmi eux une réputation de tranche-montagne?
Toujours est-il qu’il se fit parmi eux un mouvement de retraite silencieuse et précipitée; en un instant, tous avaient disparu, emportant leurs blessés, comme des fantômes qui s’évanouissaient dans la nuit.
– Par la mordieu, mon brave! s’écria alors le cavalier inconnu, vous m’avez sauvé la vie!
Le chevalier de Pardaillan rengaina froidement son épée, souleva son chapeau, et dit:
– Savez-vous, monsieur, ce que je viens de faire?
– Eh! par le diable! Vous venez de me sauver, vous dis-je! Tudieu! quel poignet! quels rudes coups!…
– Non, monsieur, dit Pardaillan avec le même flegme, je viens de commettre un crime.
– Un crime? Çà! plaisantez-vous? s’écria le cavalier stupéfait.
– Non pas: j’ai désobéi au vœu formel de mon père. Et je crains bien qu’il ne m’en arrive malheur.
Ces derniers mots furent prononcés d’un ton glacial qui firent frissonner l’inconnu.
– En tout cas, reprit-il, vous m’avez rendu un fier service. Que puis-je pour vous?…
– Rien!
– Acceptez au moins en souvenir de cette rencontre la monture que mon domestique tient en main. Galaor est le meilleur cheval de mes écuries. Et puis, il a un nom qui vous plaira, puisque vous vous conduisez en véritable Galaor.
– Soit! J’accepte le cheval! répondit Pardaillan avec le ton et le geste d’un roi acceptant l’hommage d’un sujet.
Et avec la légèreté d’un cavalier qui, dès cinq ans, avait chevauché par monts et par vaux, il sauta sur Galaor.
L’inconnu fit de la main un signe d’adieu et s’éloigna en homme pressé.
Au moment où le vieux serviteur se disposait à suivre son maître à distance respectueuse, Pardaillan s’approcha de lui, et lui demanda à voix basse:
– Y a-t-il inconvénient à ce que je sache le nom de ce seigneur pour qui j’ai commis le crime de désobéir au vœu de mon père?…
– Aucun, monsieur, fit le vieillard étonné.
– Alors, ce cavalier?
– C’est Monseigneur Henri de Montmorency, maréchal de Damville…