Et pour achever de se réveiller tout à fait, lui qui n’était qu’à moitié mort, il vida le flacon jusqu’à la dernière goutte.
– Ouf! prononça-t-il alors, il me semble, sauf erreur, que je dois être dans une cave. Voyons, que m’est-il arrivé?
Déjà l’effet du vin généreux se faisait sentir. Pardaillan comprenait que ses forces lui revenaient, avec les forces, la mémoire.
Dès lors, la scène de la querelle chez Damville, la fureur du maréchal, l’irruption des forcenés, la dégringolade dans l’escalier, la bataille effroyable dans le boyau du couloir, et enfin la chute au fond de la cave, tout cela se représenta nettement à son esprit.
– C’est bon! fit-il en hochant la tête. Puisque je n’ai pas été tué, puisqu’ils ne sont pas descendus m’achever ici, voyons à prendre des forces. Et d’abord, où en suis-je? Je ne crois pas dépasser les bornes de la vérité en m’affirmant que je n’ai rien de cassé. Mais n’ai-je rien de perforé?… Voyons un peu…
Là-dessus Pardaillan, qui s’y connaissait certes mieux qu’un chirurgien, se mit à se palper, à se visiter longuement.
Le résultat de cet auto-examen fut celui-ci:
Premièrement, il avait une plaie contuse en arrière de la tête; ladite plaie provenant sans doute de la chute au long de l’escalier de la cave; item , pour les mêmes causes, une dent brisée et le nez écorché; item , pour les mêmes motifs, une douleur lancinante au coude du bras droit.
Deuxièmement, il avait une blessure à la main droite provenant de son duel avec d’Aspremont, ladite blessure s’étant rouverte pendant la mêlée dans le couloir.
Troisièmement, une estafilade au poignet gauche.
Quatrièmement, une plaie profonde un peu au-dessus du genou droit.
Cinquièmement, l’épaule droite déchirée.
Sixièmement, une blessure pénétrante au sein droit.
Tout compte fait, et l’examen le plus sévère ayant été établi, Pardaillan ne se trouva pas autre plaie ou blessure, et estima qu’en somme, il n’y avait pas dans tout cela de quoi mourir au fond d’une cave.
– Éclopé, dit-il, blessé du haut en bas, couturé, tailladé, en pièces et morceaux, je n’en demeure pas moins Pardaillan tout entier. Tâchons simplement de nous raccommoder de notre mieux.
Il faut croire pourtant que tout cela présentait un ensemble respectable; car soit par les efforts qu’il venait de faire, soit par le sang qu’il avait perdu, le vieux routier s’évanouit une deuxième fois.
Mais ce second évanouissement fut beaucoup plus court que le premier et lorsqu’il revint à lui, la soif n’ayant pas diminué, au contraire, il se trouva tout porté sur le tas de bouteilles. Le remède lui ayant déjà réussi, il se hâta d’en décapiter une qu’il vida en toute conscience, comme un malade qui tient à suivre jusqu’au bout l’ordonnance du médecin.
Alors, il entreprit de bander ses blessures.
Tant bien que mal, il put se défaire en partie de ses vêtements.
Et comme il portait chemise sous, le pourpoint, il s’écria:
– Voilà, pardieu, de quoi panser et bander vingt blessures!
Il retira aussitôt sa chemise, détail que nous n’oserions pas donner si nous écrivions pour des Anglaises; avec cette habileté et cette adresse que donne seule une longue habitude, il se mit à lacérer la pauvre chemise, qui en peu de minutes, fournit un lot de bandages excellents.
N’ayant pas d’eau pour laver ses blessures, ce fut avec du vin que Pardaillan les lava. C’est également de ce bon vieux vin généreux qu’il mouilla les tampons de linge qu’il appliqua sur lesdites blessures et plaies.
Nous ignorons si notre héros recevra l’approbation des chirurgiens pour cette méthode de pansement interne et externe dont Bacchus faisait à lui seul les frais. Ce qui est certain, c’est que ces diverses opérations une fois terminées, le vieux routier ressentit un réel bien-être.
Il put se mettre debout et à tâtons s’exerça à faire quelques pas. Il eut un grognement de satisfaction: en somme, la vieille machine tenait bon, et Pardaillan calcula que moyennant une quinzaine de jours de repos, il serait à peu près guéri.
Sur ce, il chercha un coin pas trop humide, pas trop dur et s’y endormit profondément.
Quand il se réveilla, ses idées s’étaient comme éclaircies.
«Raisonnons, maintenant, se dit-il en se mettant sur son séant, au moment où le sommeil m’a pris, sommeil réparateur, médecin magique, grand guérisseur s’il en fut, à ce moment-là, dis-je, je m’affirmais à moi-même que quinze jours de repos suffiraient pour cicatriser tous ces coups d’épingle. Fort bien. Quinze jours de repos, cela implique: 1° un bon lit; 2° des boissons rafraîchissantes; 3° une nourriture agréable et substantielle… Hum! Diable! où vais-je trouver tout cela?»
Il regarda autour de lui, essayant de percer les ténèbres de la cave.
– Ah çà! grommela-t-il, est-ce bien la peine de se préoccuper de mes blessures et de mes quinze jours de repos? Si je ne me trompe, dans quatre ou cinq jours au plus tard, la mort viendra me guérir des unes et m’offrir l’autre pour jamais! En effet, je vais mourir de faim… C’était vraiment la peine de m’être tiré sain et sauf de plus de vingt embuscades, de plus de trente combats et batailles, de plus de cent duels, pour venir mourir de faim dans ce trou! Il fait noir, il fait froid, je suis faible… allons, toute résistance est inutile!
En parlant ainsi, Pardaillan se leva, retrouva l’escalier qui montait à la porte et essaya de voir si, par quelque manière, il en viendrait à bout… mais il se rendit compte facilement qu’autant eût valu essayer de percer les épaisses murailles qui servaient de fondements à l’hôtel.
Alors seulement la pensée lui vint que s’il ne pouvait pas ouvrir, il n’en était pas de même de ceux qui étaient au dehors, et qu’on pouvait venir l’égorger pendant son sommeil.
Par une bizarre contradiction, ou par un dernier espoir, Pardaillan, qui consentait à mourir de faim, se refusa énergiquement à mourir égorgé. Après tout, on peut avoir des préférences.
– Quoi qu’il en soit, il résolut de barricader la porte et d’empêcher qu’on pût entrer dans la cave, puisqu’il ne pouvait en sortir.
Il redescendit donc l’escalier pour se mettre en quête des matériaux nécessaires, et pour se donner du cœur à l’ouvrage, commença par se diriger vers le coin aux bouteilles, en saisit une qu’il décapita et la porta à ses lèvres.
Mais il s’arrêta court dans ce mouvement et poussa un juron.
Il palpitait d’une émotion plus violente qu’au moment où il s’était vu assaillir par la bande forcenée du maréchal de Damville.
En effet, il venait soudain de se rappeler le récit détaillé que le chevalier lui avait fait de son séjour dans les caves de l’hôtel.
Or, dans ce récit avaient figuré en bonne place certains jambons que le chevalier avait simplement traités de succulents.
On comprend dès lors l’émotion du vieux Pardaillan.
– Mais si je suis dans la même cave que mon fils!… Si les jambons sont encore à leur place!… et pourquoi n’y seraient-ils pas?… je serais donc sauvé!… Tout au moins sauvé de la mort par la famine, ce qui, tout de même serait une bien vilaine mort!…
Pardaillan vida sa bouteille et se mit à la recherche de la mine aux jambons avec d’autant plus de zèle que, malgré la fièvre, la faim commençait à lui tirailler l’estomac.
Nous ne rendrons pas compte de cette recherche, et des alternatives d’espoir et de découragement par lesquelles passa le vieux routier, tel un naufragé qui interroge avidement l’horizon.
Disons seulement qu’il trouva les jambons!
Ils étaient proprement arrangés sur de la paille, en sorte que Pardaillan, en attaquant le premier, se dit avec satisfaction:
– Voici le lit, voici les boissons rafraîchissantes, et voici la nourriture aussi agréable que substantielle. Voilà donc mes quinze jours de repos assurés.
Ajoutons qu’il parvint à barricader la porte au moyen de madriers.
Il était sûr, désormais, qu’on ne pourrait plus arriver à lui pendant son sommeil, sans le réveiller.
Et comme, s’il avait perdu sa rapière dans le combat, il avait au moins conservé sa dague, il avait de quoi se défendre.
Peu à peu, il s’habitua à l’obscurité; le mince filet de lumière qui tombait d’un soupirail finit par lui paraître un véritable rayon de jour.
Il put ainsi se rendre compte des jours et des nuits.
Le temps s’écoulait cependant. Grâce à une constitution de fer, Pardaillan triompha rapidement de la fièvre.
Les blessures se cicatrisèrent.
Malheureusement, la mine aux jambons s’épuisa avec non moins de rapidité.
Et pourtant, avec son habitude des sièges, le vieux renard avait tout de suite pensé à se rationner, il l’avait fait scrupuleusement le premier moment.