À l’instant, il fut sur pied. Presque en même temps, la porte s’ouvrit, et le maréchal parut. Il était un peu pâle, et avait certainement passé une plus mauvaise nuit que son prisonnier.
– Vous voici fidèle au rendez-vous, et au jour dit. Je vous remercie Pardaillan.
– Ma foi, monseigneur, je me repens presque d’être venu.
– Pourquoi?… Ah! oui, parce qu’on vous a enfermé. C’est moi qui en avais donné l’ordre. Pardonnez-moi cette précaution, mon cher monsieur de Pardaillan. J’ai voulu vous éviter une rencontre… désagréable. Et j’ai même pensé que si vous faisiez cette rencontre, nos bonnes relations pourraient en être altérées…
– Je ne comprends pas un mot de ce que vous me dites là, monseigneur.
– Il importe peu que vous compreniez. L’essentiel est que vous êtes là. Je vais vous demander deux choses, mon cher Pardaillan.
«Oh! oh! songea le routier, son cher par-ci, son cher par-là…»
– La première, continua le maréchal, c’est que vous vous laissiez enfermer pour aujourd’hui encore. Je vous jure que vous n’avez rien à craindre et que cette claustration sera finie ce soir vers onze heures.
Pardaillan fit la grimace.
– Alors, reprit Henri, donnez-moi votre parole de ne pas sortir de cette chambre de toute la journée, et jusqu’à ce qu’on vienne vous chercher de ma part.
– J’aime mieux cela, à la bonne heure! Vous avez ma parole, monseigneur. Mais vous deviez me demander deux choses, avez-vous dit.
– Voici l’autre, Pardaillan; je possède un trésor inestimable; il n’est pas en sûreté dans cet hôtel, et je veux le transporter… dans une maison où il sera à l’abri. Cette opération se fera ce soir à onze heures. Puis-je compter sur vous pour m’aider?
– Monseigneur, du moment que j’ai consenti à entrer à votre service, j’étais décidé à braver à côté de vous tous les périls. Comptez donc sur moi… Mais vous craignez donc que le trésor en question ne vous soit enlevé pendant le trajet.
– Oui, je le crains, fit Henri d’une voix sombre. Or, je n’ai confiance qu’en vous et en l’un de mes officiers, un brave, un fidèle, le vicomte d’Aspremont.
Pardaillan sourit.
– Voici donc ce que j’ai combiné. À onze heures, la voiture quittera l’hôtel…
– Ah! le trésor sera dans une voiture?
– Oui, d’Aspremont conduira la voiture; moi, je serai à cheval en tête; et vous, à pied, vous marcherez en arrière-garde, l’épée d’une main, le pistolet dans l’autre, prêt à tuer sans miséricorde quiconque tenterait d’approcher de la voiture. De cette façon, nul que vous, d’Aspremont et moi, ne connaîtra la maison où je veux cacher le trésor.
– C’est dit, monseigneur. Une question seulement: cette expédition a-t-elle quelque rapport avec… la campagne dont nous parlions aux Ponts-de-Cé?… En d’autres termes, ce trésor… est-ce du métal?… ou bien ne serait-ce pas plutôt un trésor en chair et en os?
Henri pâlit et plongea un regard acéré dans les yeux de Pardaillan.
– Que voulez-vous dire? gronda-t-il. Auriez-vous déjà appris…
Il s’arrêta et se mordit violemment les lèvres.
– Moi! Je n’ai rien appris, répondit Pardaillan, qui examinait attentivement le maréchal; je me demande seulement si le trésor en question ne serait pas… par exemple… une couronne? ajouta-t-il en baissant la voix.
«Il croit qu’il s’agit du roi!» s’écria en lui-même le maréchal, dont la physionomie s’éclaira aussitôt.
– Parce qu’alors, acheva Pardaillan, vous comprenez, monseigneur, je redoublerai de précautions.
– Écoutez, Pardaillan. Je ne puis pas vous dire qu’il s’agit… de ce que vous croyez… mais faites comme si réellement vous alliez escorter… une couronne.
– Bon! pensa Pardaillan. Ils ont déjà enlevé le roi!… Peste! Voilà qui nous promet une jolie guerre, c’est-à-dire force horions à donner et force écus à recevoir… Mais comment se fait-il que Paris soit si tranquille?
Mais une réflexion soudaine traversant son esprit, il demanda:
– Ainsi, monseigneur, j’ai été enfermé à mon arrivée parce qu’on a craint que je n’apprisse quelle personne était prisonnière en cet hôtel?
– C’est exact! dit le maréchal.
Il ne mentait pas.
Il avait en effet redouté que Pardaillan ne s’intéressât au sort de Jeanne de Piennes et de sa fille.
Il ne mentait par réticences et insinuations, que sur la véritable identité de la «personne prisonnière».
– C’est bien, fit résolument Pardaillan; je ne bougerai d’ici de toute la journée, et ce soir à onze heures, je serai prêt.
Dès que le maréchal fut sorti sur cette assurance, le vieux routier se dit:
«Puisqu’on n’a pas voulu que je sache qui était prisonnier ici, pourquoi venir me le dire? Et puisque je le sais maintenant, pourquoi la précaution de m’obliger à rester enfermé toute la journée?… Non! ce n’est pas le roi qui est prisonnier! Et y a-t-il un prisonnier seulement?… Ce qu’il y a, d’une façon évidente et sûre, c’est qu’on me cache quelque chose… que je dois ignorer jusqu’à ce soir… et que je veux savoir tout de suite, moi!»
Cela dit, Pardaillan commença par s’assurer qu’on ne l’avait pas enfermé.
Il était libre: la porte ouvrait sur un corridor dans lequel il fit quelques pas, jusqu’au large et monumental escalier qui descendait vers la cour.
Il rebroussa chemin, persuadé qu’il serait infailliblement rencontré.
Repassant devant la porte de sa chambre, il longea le corridor dans l’autre sens et finit par se heurter à une porte qu’il ouvrit. Cette porte donnait sur un petit escalier tournant.
– Voilà mon affaire! grommela-t-il.
Et content de cette première découverte, il rentra chez lui.
La matinée se passa sans incident. Pardaillan alla et vint à petits pas, médita, siffla des airs de chasse, tambourina les vitraux de sa fenêtre, bref, s’ennuya du mieux qu’il put.
Vers onze heures, un laquais se présenta qui dressa la table et couvrit cette table des éléments d’un déjeuner plantureux accompagné de flacons de réjouissante apparence.
Tandis que l’aventurier se mettait à table et attaquait le déjeuner avec un appétit d’un estomac de vingt ans, le laquais disparut et revint quelques minutes après, porteur d’un sac d’argent.
Les magnifiques dents solides et blanches du routier se découvrirent dans un large sourire.
– Oh! oh! Qu’est cela? fit-il.
– Le premier mois de monsieur l’officier que monsieur l’intendant de monseigneur m’a remis, pensant que monsieur l’officier serait peut-être désargenté par son voyage.
«Voilà un laquais d’une exaspérante politesse!» pensa Pardaillan.
– Eh bien, fit-il tout haut, monsieur l’intendant a bien pensé, a pensé juste, a pensé en digne intendant, et monsieur l’officier est satisfait. Car je suppose que monsieur l’officier, c’est moi. Mais dites-moi, mon ami; savez-vous ce que contient ce sac?
– Oui, mon officier: six cents écus.
– Six cents! Mais je ne dois en toucher que cinq cents!
– C’est vrai, mon officier, mais il y a les frais du voyage: c’est ce que M. l’intendant m’a chargé d’expliquer à monsieur l’officier.
– Cent écus pour le voyage! (Décidément, la politesse de cet homme est moins insupportable que je n’aurais cru)… Merci, mon ami. Ayez l’obligeance d’ouvrir ce sac.
– C’est fait, mon officier, dit le laquais en obéissant.
– Prenez-y cinq écus.
– C’est fait, mon officier.
– Bien, mettez-les dans votre poche. Vous irez boire à ma santé.
– Merci, mon officier, fit le laquais en saluant jusqu’à terre. Je vous promets de boire demain vos écus jusqu’au dernier sol.
– Pourquoi demain, mon ami? Pourquoi pas aujourd’hui? Sais-tu où tu seras demain? Bois, mon ami, bois dès aujourd’hui.
– Oui, mais j’ai ordre de me tenir à la disposition de monsieur l’officier toute la journée.
– Voilà ce que je voulais savoir, grommela Pardaillan. Ainsi, tu dois?…
– Ne pas quitter monsieur l’officier, servir monsieur l’officier sans m’éloigner.
– Décidément, voilà un animal qui a la politesse bien gênante, songea le routier. Mais j’y songe! fit-il tout à coup. Et mon cheval! Mon pauvre cheval! Mon ami, remets la main dans le sac.
– C’est fait, mon officier.
– Prends-y encore cinq écus.