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Alice se rassurait, et songeait:

– Le maréchal entendra… eh bien, que m’importe après tout! Il ne verra pas Déodat… il ne le reconnaîtra pas…

– Pardonnez-moi donc d’être venu sans vous prévenir, reprit le comte.

– Cher aimé, vous pardonner! Alors que je suis si heureuse…

– Hélas! tout le bonheur est pour moi, et il sera bien bref… Je venais vous avertir que je ne pourrai pas, demain, passer près de vous les heures de charme, de douce causerie auxquelles vous m’avez habitué…

– Je ne vous verrai pas demain! s’écria Alice dans la sincérité de son regret.

– Non. Écoutez, mon amie… j’assiste ce soir, dans une heure, à une fort grave réunion où vont se trouver de hauts personnages… mais je ne veux rien avoir de caché pour vous…

Alice demeura atterrée.

Elle comprit clairement que le comte allait lui dire des secrets politiques.

Et sur-le-champ, cette torturante interrogation se posa dans son esprit affolé.

– Comment l’empêcher de parler? Comment faire pour que Damville n’entende pas?

– N’êtes-vous pas le cœur de mon cœur, continuait Déodat, la pensée de ma pensée? Sachez donc que ce soir…

– À quoi bon, mon aimé… non, taisez-vous… je ne veux rien entendre de vous que des paroles d’amour…

– Alice, fit le comte en souriant, vous êtes la compagne de ma vie, je ne vous aime pas seulement avec mon cœur, mais encore avec mon esprit, et vous devez être celle pour qui il n’y a point de secret en moi…

– Parlez plus bas, je vous en supplie, balbutiait-elle terrorisée.

– Parlez bas? Et pourquoi?… Qui pourrait nous entendre?…

Et le comte, étonné, regardait autour de lui.

– Laura, Laura! souffla Alice à bout de forces. Songez que ma tante est curieuse… et bavarde… comme toutes les vieilles femmes…

– Ah! pardieu, vous avez raison! Je n’y songeais pas! fit le comte en riant.

À ce moment, la porte s’ouvrit. Laura parut.

– Chère enfant, dit-elle, j’ai à sortir quelques minutes… Je veux profiter de la présence de M. le comte de Marillac pour ne pas vous laisser seule…

Alice faillit jeter un cri de désespoir. Elle s’était arrangée pour ne pas prononcer une fois le nom du comte, et la vieille le disait à haute voix, le criait presque!…

– Vous pouvez dormir tranquille, dit Déodat.

– Non! non! Ne sortez pas! Ne vous éloignez pas de cette pièce! s’écria Alice, hors d’elle.

– Oh! Alice! murmura ardemment le jeune homme, vous vous méfiez donc de moi?…

– Moi! s’écria-t-elle dans un élan, me méfier de vous!…

Pantelante, martyrisée par la nécessité de paraître calme, elle murmura:

– Allez… Allez… ma tante… mais revenez vite…

– Oh! fit la vieille Laura, du moment que monsieur le comte est là, je n’ai pas peur…

L’instant d’après, le comte de Marillac entendit la porte de la rue qui se fermait très fort.

– Nous voici seuls! dit-il avec un sourire. Et je vous veux persécuter de ma confiance et de mes secrets…

Elle fit une dernière tentative désespérée.

Saisissant Déodat par la main, elle essaya de l’entraîner, et prenant une de ces résolutions extrêmes qu’on a dans les moments d’affolement, elle bégaya:

– Venez… vous n’avez jamais vu ma chambre… Je veux vous la montrer…

Le jeune homme tressaillit. Une bouffée ardente monta à son front.

Mais dans ce cœur généreux, le respect de celle qu’il considérait comme sa fiancée s’imposa aussitôt. Il se reprocha violemment la pensée qui avait traversé son esprit et, pour échapper à la tentation, se jeta éperdument dans son récit.

– Restons ici, répondit-il, palpitant. Je n’ai d’ailleurs plus que quelques minutes. Savez-vous qui m’attend, Alice? Le roi de Navarre! Oui, le roi en personne. Et l’amiral de Coligny! Et le prince de Condé… Ils se sont réunis rue de Béthisy…

– Malheur sur moi, malheur sur nous! clama la malheureuse au fond de son âme.

– Sans compter quelqu’un que nous attendons… le maréchal de Montmorency!

Alice fut secouée d’un tressaillement terrible. Et si le comte n’eût pas été, à ce moment, effrayé par ce tressaillement, il eût peut-être pu remarquer un bruit, quelque chose comme une exclamation étouffée, tout près de lui, derrière une porte…

– Qu’avez-vous, Alice! s’écria le jeune homme. Pourquoi pâlissez-vous?… Oh! mais vous allez vous trouver mal!…

– Moi? Non, non!… ou plutôt, tenez… en effet… je ne me sens pas bien…

Un instant, Alice se demanda si un évanouissement ne serait pas la seule solution possible. Mais avec cette rapidité de calcul qu’elle possédait au suprême degré, elle envisagea aussitôt que, si elle s’évanouissait, Déodat chercherait de l’eau dans la maison, qu’il ouvrirait peut-être la première porte venue… celle du cabinet où se trouvait Henri de Montmorency!

– C’est fini, reprit-elle alors, c’est passé… j’ai souvent de ces vapeurs…

– Pauvre cher ange! Je vous ferai la vie si douce et si belle que ces inquiétants malaises s’en iront…

– Oui, oui, parlons de l’avenir, mon cher aimé…

– Il faut que je vous quitte, Alice! Vous savez qui m’attend. Des résolutions graves vont être prises. Écoutez, si notre plan réussit, c’est la fin de toutes les guerres… et alors, Alice, nous ne nous séparons plus, vous devenez ma femme, nous sommes heureux à jamais… Alice, Alice, écoutez… il ne s’agit de rien moins que d’enlever Charles IX et de lui imposer nos conditions…

Cette fois, un cri sourd échappa à Alice qui, faisant un suprême effort, courut à la porte en disant:

– Silence! Voici ma tante!…

Elle ouvrit la porte, et Laura parut en effet.

Alice n’avait prononcé ces mots que pour arrêter Déodat. Si elle eût été moins bouleversée, elle se fût demandée pourquoi elle n’avait pas entendu s’ouvrir la porte de la rue, et pourquoi l’apparition de Laura coïncidait si bien avec ce qu’elle venait de dire.

Quant au comte, il fut persuadé que la vieille femme venait en effet de rentrer.

– Donc, reprit-il comme s’il continuait une conversation commencée, nous n’aurons pas demain notre bonne soirée; vous savez, chère amie, le voyage que je suis forcé de faire.

– Allez, allez, monsieur le comte, balbutia Alice, et que le ciel vous conduise!…

Comme d’habitude, Déodat, devant la tante Laura, serra les mains de sa fiancée. Comme d’habitude encore, elle le reconduisit jusqu’à la porte de la rue dans le petit jardin, tandis que la tante demeurait dans la maison. Comme d’habitude, enfin, ils échangèrent là leurs adieux dans un baiser passionné.

– Déodat, murmura-t-elle alors avec un frisson, ces vapeurs que vous m’avez vues ne sont pas sans raison. Depuis quelques jours, je suis inquiète, je fais des rêves terribles, de sinistres pressentiments m’assaillent…

– Enfant! Enfant!…

– M’aimez-vous? demanda-t-elle en mettant toute son âme dans la question.

– Si je t’aime! Comment peux-tu me demander cela?

– Eh bien! fit-elle avec une ardeur qui alarma le jeune homme, si vraiment ton cœur et ta vie sont à moi, Déodat, je t’en supplie en grâce, veille sur toi! Oh! veille! à tous les instants! Et maintenant plus que jamais! Défie-toi de tout le monde! Si ton père était là, je te dirais: Défie-toi de ton père!… Déodat, je te dis plus encore: défie-toi de ta fiancée!…

Et comme il cherchait à lui fermer la bouche par un baiser.

– Est-ce qu’on sait! continua-t-elle fiévreusement. Est-ce que dans un sommeil, dans une folie, il ne peut pas m’échapper une parole imprudente! Oh! Déodat, jure-moi de veiller, de sonder le pavé sur lequel tu marches, de t’écarter de l’inoffensif passant que tu rencontres, de regarder derrière les murailles avant de parler, de t’assurer que l’eau que tu bois, le fruit que tu manges ne sont pas empoisonnés… jure! jure…

– Eh bien, je te le jure, dit-il effrayé de cette exaltation d’épouvante. Mais, vraiment, tu finirais par me faire peur. Aurais-tu entendu quoi que ce soit? que sais-tu?…

– Moi! Rien, rien, je te jure! rien que des pressentiments…

Et d’une voix singulière, elle ajouta:

– Mais mes pressentiments, à moi, ne me trompent jamais et deviennent de terribles réalités… Déodat, j’ai ta promesse, ton serment de te défier nuit et jour, de veiller sur toi-même, comme si tu étais entouré de mortels ennemis…

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