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Celui-ci profita de ce qu’il était ainsi éloigné. Il se pencha vers Vitry et lui glissa à l’oreille:

– Voulez-vous que je vous dise, monsieur? Eh bien, arrangez-vous de manière à faire savoir au roi que vous avez donné ce cheval à ce jeune homme… Vous verrez que ce sera là une manière de faire votre cour dont vous n’aurez pas à vous plaindre.

– Décidément, vous êtes un charmant compagnon! murmura Vitry, qui ne regretta plus de voir passer son cheval aux mains de ce jeune inconnu.

Ils revinrent à Jehan, qui s’extasiait toujours devant son cheval.

– Qu’allez-vous faire de cette autre bête empruntée contre le gré de son propriétaire? demanda Pardaillan.

– J’avais l’intention de la lui renvoyer. Mais, monsieur, vous me voyez assez embarrassé… Elle appartient à Concini.

– Tiens! tiens! s’exclama Pardaillan qui répondait par un sourire entendu au sourire malicieux de son fils.

– Je ne veux pas lui laisser croire que je me suis approprié son bien… D’autre part, il m’est pénible, je l’avoue, de le lui rapporter moi-même.

– Eh bien, envoyez quelqu’un, insinua Pardaillan, qui l’étudiait du coin de l’œil.

– Jamais de la vie! protesta vivement Jehan. Il croirait que j’ai peur!

– Alors, dit Pardaillan en souriant, allons-y nous-mêmes.

Là-dessus, avec force compliments et congratulations, ils prirent congé de Vitry, qui se chargea de faire conduire Zéphir par un de ses hommes à l’hôtellerie du Grand-Passe-Partout, adresse donnée par Pardaillan. Zéphir, c’était le nom du cheval dont Jehan le Brave devenait l’heureux possesseur.

Jehan, conduisant par la bride le cheval de Roquetaille, s’en fut avec Pardaillan au logis de Concini. Ils y arrivèrent au moment précis où le Florentin et les hommes de son escorte mettaient pied à terre.

– Ma foi, glissa Jehan à l’oreille de son père, nous ne pouvions pas arriver plus à propos.

Et, tandis que Pardaillan demeurait à l’écart, prêt à intervenir si besoin était, il s’avança seul, avec une souveraine aisance, au-devant de Concini et de ses gentilshommes.

Ceux-ci, en l’apercevant, étaient restés pétrifiés. En voyant qu’il avait l’audace de les aborder, un frémissement de colère les agita. Et ils commencèrent à mâchonner des injures et des menaces, en roulant des yeux féroces et dans des attitudes provocatrices. Roquetaille surtout était enragé par la vue de son cheval. Il était persuadé que Jehan ne lui rendrait jamais.

Concini se tourna vers ses hommes et les foudroyant du regard, il commanda impérieusement, à voix basse:

– Que nul ne bouge, sang du Christ!… Et qu’on se taise!

Et ils obéirent tous, figés dans des poses d’attente, les yeux rivés sur les yeux du maître pour y lire les ordres muets.

Jehan, bien qu’il parût impassible, était au fond assez étonné. Il s’attendait sincèrement à être reçu la rapière au poing et il se tenait prêt à dégainer lui-même. Certes, l’accueil qu’on lui faisait était glacial et sourdement menaçant, mais ce n’était tout de même pas la lutte immédiate. Et comme il n’avait – et pour cause – qu’une confiance très limitée en la loyauté de Concini, il se tenait plus que jamais sur le qui-vive.

Parvenu à deux pas du groupe, il se découvrit en un geste large que Pardaillan reconnut avec un sourire.

Comédien génial, souverainement maître de lui, quoique un peu pâle, Concini se découvrit en un geste identique et attendit dans une attitude digne.

Se modelant sur le maître, les quatre spadassins mirent chapeau bas et attendirent comme lui, raides comme à la parade. De plus en plus étonné, Jehan dit de sa voix chaude, très calme, s’adressant à Roquetaille:

– Monsieur, je vous ramène la monture que je vous ai empruntée… un peu brutalement, j’en conviens. Mais j’avais une excuse devant laquelle tout bon gentilhomme a le devoir de s’incliner: c’était pour le service du roi.

En disant ces mots, il s’inclinait avec une grâce hautaine et passait lui-même la bride au bras de Roquetaille que la stupeur semblait avoir pétrifié. Un coup d’œil d’une éloquence terrible que lui jetait Concini lui rendit un peu de présence d’esprit. Il rendit de son mieux la révérence et d’une voix un peu sifflante, malgré qu’il s’efforçât de sourire:

– En effet, monsieur, pour tout bon gentilhomme, le service du roi passe d’abord et avant tout.

Jehan s’inclina encore une fois gracieusement et, regardant Concini et ses hommes en face, il dit doucement, lentement, sans provocation aucune:

– À vous revoir, messieurs!

Et tandis que Concini, Roquetaille, Longval, Eynaus et Saint-Julien répondaient galamment à son salut, tranquillement, avec une aisance parfaite, il s’éloigna à petits pas, sans tourner la tête, le poing sur la hanche, mais, au fond, tout éberlué de s’en tirer sans avoir été obligé d’en découdre.

Sur son dos, ils éclatèrent avec une fureur effroyable:

– Sangdieu! Mordieu! Tudieu!

– Il nous nargue à notre nez et à notre barbe!

– Ventre du pape! comment ai-je pu résister à l’envie qui me démangeait de sauter à la gorge du bravache!

– Qu’il ne s’avise pas de recommencer, je ne réponds plus de moi!

Et tous ensemble:

– Lui broyer le cœur! – Le faire crever à petit feu! – Lui arracher les tripes! – Lui manger le foie!

Concini ne disait rien. Il regardait s’éloigner Jehan avec des yeux fulgurants. Il était livide, un léger tremblement l’agitait et de grosses gouttes coulaient sur son front. L’effort qu’il avait dû faire pour se contenir était formidable et l’avait brisé. Quand la haute silhouette du jeune homme se fut estompée au loin, il grinça:

– Patience, mes louveteaux!… Quelques jours de patience, et je vous jure que c’en sera fini des insolences de ce matamore. Il payera tout à la fois et jamais vengeance n’aura été aussi épouvantable que celle que je lui réserve!

– Ah! monseigneur, c’est bien cette idée qui nous a donné la force de nous contraindre. Sans quoi!…

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