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À son tour, Pardaillan regarda Henri dans les yeux, et, très calme:

– C’est mon fils!

Henri frappa des deux mains sur ses cuisses et joyeusement s’exclama:

– Je m’en doutais!… Pardieu!… me voilà pleinement rassuré. Et avec un intérêt affectueux:

– Ainsi, vous avez enfin retrouvé cet enfant que vous cherchez depuis votre retour d’Espagne? c’est-à-dire depuis tantôt vingt ans, si je ne me trompe? J’en suis bien aise pour vous, mon ami… Peut-être me sera-t-il donné de faire pour le fils ce que je n’ai pu faire pour le père.

Pardaillan s’inclina encore avec, aux lèvres, un sourire un peu sceptique.

– Mais dites-moi, continua Henri, il semble ignorer que vous êtes son père.

– Il l’ignore en effet, Sire. Et il l’ignorera quelque temps encore.

– Pourquoi?

– Une idée à moi, Sire.

– Bien, bien. Je ne vous demande pas vos petits secrets de famille… Ainsi, c’est votre fils?… Et vous dites qu’il connaît ceux qui désirent ma mort?

– Quelques-uns tout au moins, Sire, dit froidement Pardaillan.

Une ombre passa sur le front du roi. Et lentement, avec une sorte d’hésitation:

– Et si je vous demandais… de me les désigner, ces ennemis… à vous ou à votre fils?

Pardaillan se redressa et, fermement:

– En ce qui me concerne, le roi peut me demander ma vie… je suis prêt à la risquer pour lui… et je crois le lui avoir prouvé…

– Mais il ne faut pas vous demander une délation? fit Henri IV non sans regret.

– Le roi l’a dit! répondit simplement Pardaillan.

– Mais, votre fils, dit vivement Henri. Il parlera peut-être, lui!

– J’en doute!… Le roi peut essayer cependant.

Henri vit le sourire qui accompagnait ces paroles de Pardaillan. Il fut fixé:

– Tel père, tel fils! dit-il avec un soupir de regret, n’en parlons plus!

Pardaillan ne répondit pas, mais son air disait clairement que c’était ce que le roi avait de mieux à faire.

Cependant Henri IV avait son idée, comme Pardaillan la sienne, d’ailleurs. Seulement, Pardaillan connaissait l’idée du roi, qui la laissait percer dans son attitude inquiète. Et Pardaillan attendait patiemment qu’il eût vidé son sac pour l’amener là où il voulait.

– Votre fils, reprit le roi après un silence, aura peut-être besoin de me voir… on ne peut pas savoir, avec ces ténébreuses machinations.

– Peut-être, en effet, fit Pardaillan évasif.

– Eh bien, vous ou lui, n’aurez qu’à prononcer votre nom: Pardaillan, pour être admis près de moi. À quelque heure du jour ou de la nuit que ce soit. Vous me comprenez, Pardaillan?

– Fort bien, Sire. Vous vous dites qu’il vaut mieux prévenir un… accident comme celui de tout à l’heure, que de courir le risque d’arriver trop tard pour l’entraver.

– C’est cela même, fit Henri avec satisfaction. Et maintenant, mon ami, entre nous, là, la main sur la conscience, qu’allait faire votre fils sur les terres de Mme de Montmartre, lors de cette algarade du gibet? Pardaillan réprima un sourire et de son air naïf:

– Il allait à l’abbaye, délivrer certaine jeune fille dont il est féru, qu’on y avait attirée par ruse et qu’on y détenait par violence, contre tout droit.

– C’est de Bertille de Saugis que vous voulez parler? demanda Henri qui se sentit mal à l’aise.

– Elle-même, Sire.

– Et vous dites qu’on la détenait par violence à l’abbaye de Montmartre? Qui donc a osé?… Et pourquoi?…

– Qui? Je l’ignore, répondit Pardaillan très froid. Pourquoi? Parce que cette jeune fille possède, en dépôt, des papiers dont on redoutait la divulgation.

– Pourquoi ne m’avoir pas avisé?… Croyez-vous donc que je me désintéresse de cette enfant à ce point que je la laisserais persécuter sans châtier comme ils le méritent les coupables, quels qu’ils soient?…

– Vous avez dit vous-même: tel père, tel fils, fit Pardaillan avec flegme. Mon fils, il paraît, aime assez à faire ses affaires lui-même… Il n’a pas tort, à mon sens. D’autant que, Votre Majesté le sait, il est de force à défendre vigoureusement ceux qu’il aime.

Le roi réfléchit un instant et, avec une pointe d’inquiétude:

– Que sont ces papiers dont la divulgation gênerait certaines personnes?

– Que Votre Majesté se rassure, fit Pardaillan qui avait compris le sens de cette inquiétude, ce sont affaires de famille qui ne touchent en rien le roi… même de très loin.

Le roi eut un soupir de soulagement et s’informa:

– J’espère que plus rien ne menace cette jeune fille, à présent?

– Heu!… à dire vrai, je crois qu’elle ne sera réellement en sûreté que dans quelque temps… quelques semaines… quelques mois peut-être.

Et désignant du coin de l’œil Jehan qui allait et venait à quelques pas du carrosse, Pardaillan ajouta:

– Mais elle a quelqu’un qui veille sur elle… et ce quelqu’un n’est pas homme à crier à l’aide quand il peut agir lui-même.

– Je ne l’entends pas ainsi! s’écria Henri avec vivacité. Sachez, Pardaillan, que si cette enfant n’occupe pas près de moi un rang honorable, c’est qu’elle-même a formellement refusé les offres bienveillantes que je lui ai faites avec insistance. Si quelqu’un la menace, j’entends en être avisé. Je n’hésiterai pas à intervenir moi-même en personne. Après tout, elle est de mon sang.

Pardaillan acquiesça de la tête. Mais il avait un sourire qui disait juste le contraire.

– À présent que cette affaire de votre fils est tirée au clair, reprit le roi après un court silence, dites-lui de ma part qu’il s’abstienne pendant quelque temps d’aller du côté de l’abbaye de Montmartre… Ceci pour éviter de nouveaux malentendus semblables à celui du gibet.

Pardaillan eut un sourire aigu. Le roi était venu là où il le voulait. Au lieu de répondre à ce qu’il lui disait, il dit paisiblement:

– Le roi, qui veut bien s’intéresser à mon fils et à moi, ne demande pas le nom de la mère de cet enfant?

– Au fait, dit le roi non sans quelque curiosité, qui est-ce?

– La princesse Fausta, dit Pardaillan en le fixant de son œil clair.

Tout d’abord, le roi ne prit pas garde à ce nom. Ou plutôt il ne pensa pas à ce que Pardaillan cherchait indirectement à lui rappeler: le trésor de Fausta que son ministre, Sully, avec son assentiment, avait entrepris, sans scrupule, de faire entrer dans les coffres royaux. Non, la passion furieuse qu’il avait toujours eue pour les femmes se manifesta seule chez le Vert-Galant.

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