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– Mais un sou pour aller d’ici à Angoulême, c’est vraiment un peu maigre. Prends ces dix écus, je te les donne de grand cœur.

– Pourquoi faire? demanda Ravaillac tout éberlué.

– Comment, pourquoi faire?… Mais pour t’en retourner dans ton pays, malheureux. D’Aubigny a raison, je te le répète. Il faut chasser toutes ces imaginations diaboliques de ton esprit, Ravaillac.

Et avec une émotion qui toucha profondément le sombre visionnaire, il ajouta:

– Retourne chez toi, Jean-François, crois-moi. Tu trouveras là la paix de ta conscience et le bonheur. Tu te marieras, tu auras des enfants, une famille, un foyer, tu seras enfin un homme comme tous les autres hommes.

Il y eut une longue discussion entre les deux hommes, Ravaillac s’obstinant à rester à Paris, sans dire toutefois pourquoi. Parfait Goulard se montra éloquent, et grâce peut-être à quelques nouveaux verres de vieux vin, il finit par triompher de sa résistance. Ravaillac accepta les dix écus et promit de partir le lendemain pour Angoulême. Le moine, ayant obtenu ce qu’il voulait, se leva incontinent, régla la dépense et entraîna son compagnon jusqu’à son auberge des Trois-Pigeons où il le quitta après l’avoir tendrement embrassé.

Il était à ce moment environ dix heures et demie. C’était le moment où Jehan le Brave quittait son logis de la rue de l’Arbre-Sec.

Pardaillan suivait toujours. Seulement, il était de plus en plus déçu et il songeait:

«Voici qui est étrange!… J’aurais juré que ce moine excitait ce malheureux détraqué au meurtre du roi… et voici que c’est tout le contraire… voici qu’il le renvoie dans son pays!… Me serais-je trompé à ce point?…»

À force de tourner et retourner la question dans son esprit, il finit pas se dire:

«Ne serait-ce pas que ce Ravaillac est devenu inutile? En ce cas, ils auraient donc un autre instrument sous la main?… Un autre instrument plus sûr, plus décidé… tout prêt à agir… qui agit peut-être en ce moment… Diable! diable!… Comment savoir? Morbleu!…»

Parfait Goulard était revenu vers la porte de la ville. Il allait lentement, comme s’il avait attendu quelqu’un. Il ne chantait plus, il s’efforçait de passer inaperçu.

Comme il approchait de la porte, un carrosse, sans escorte, en sortit. Il s’arrêta et le suivit des yeux. Le carrosse longea le «palmail» dont nous avons parlé et alla s’arrêter derrière la butte, au-dessous des deux moulins qui la couronnaient.

Parfait Goulard revint encore une fois sur ses pas, jusqu’à l’auberge des Trois-Pigeons. Nous avons dit que cette auberge était située à peu près en face de la chapelle Saint-Roch.

À l’époque où se déroulaient les événements que nous avons entrepris de conter, cette chapelle était placée sur une éminence, pas tout à fait au centre d’un vaste quadrilatère.

Le côté de ce quadrilatère qui longeait le faubourg et celui qui faisait face au mur d’enceinte étaient entièrement couverts de maisons. Celui qui regardait la butte Saint-Roch ne l’était qu’à moitié, et du côté de la ville. L’autre moitié, ainsi que tout le quatrième (celui qui regardait la campagne, à l’ouest) qui portait le nom de rue de Gaillon, étaient nus. Là, la terre était maintenue par un mur de soutien assez élevé. Ce mur s’arrêtait au ras du sol. En sorte que cela formait comme une espèce de terrasse du haut de laquelle on voyait jusqu’à l’entrée du couvent des capucins et même plus loin.

La chapelle se dressait donc isolée sur ce terre-plein, ceinturée d’habitations de trois côtés. Mais sa façade, qui regardait la rue de Gaillon, était bien dégagée. Cette terrasse, dont nous venons de parler, était un cimetière qu’il fallait traverser pour entrer dans la chapelle. L’escalier qui y accédait était situé rue de Gaillon, près du faubourg.

Revenu une fois encore à l’auberge des Trois-Pigeons, Parfait Goulard grimpa l’escalier qui conduisait à la chapelle.

Pardaillan ne le lâchait pas d’une semelle.

Le moine fit le tour de la chapelle. Il semblait s’assurer que nul ne rôdait par là. Du moins c’est ce que crut comprendre Pardaillan, qui se tint sur le qui-vive.

Après avoir visité l’extérieur, Parfait Goulard pénétra à l’intérieur de la chapelle qu’il se mit à visiter avec plus de soin encore, poussant la minutie jusqu’à inspecter les confessionnaux. Et Pardaillan, qui ne le quittait pas des yeux, se dit avec un sourire de satisfaction:

«Je crois que le moment approche où je serai récompensé de ma patience.»

Sûr que nul ne se trouvait sur le terre-plein ni dans la chapelle, Parfait Goulard alla se poster en haut de l’escalier. Ainsi, il surveillait le faubourg, du côté des capucins, et nul ne pouvait plus pénétrer dans la chapelle sans lui passer sous les yeux.

Précaution bien inutile, puisque l’ennemi était déjà dans la place. En effet, sur son dos, Pardaillan se coula doucement dans cette chapelle dont le moine semblait interdire l’accès.

Comme si tous ces mouvements avaient été minutieusement réglés et chronométrés, à l’instant précis où Parfait Goulard prenait ses dispositions, la porte du couvent des capucins s’était ouverte. Acquaviva était sorti. Derrière lui, deux par deux, à intervalles espacés, suivaient les douze gaillards qui lui servaient d’escorte occulte.

Lorsque Parfait Goulard vint se placer au haut de l’escalier, il aperçut Acquaviva qui n’était plus qu’à quelques pas de la rue de Gaillon. Il le laissa approcher encore et, pivotant d’un air indifférent, il rentra dans la chapelle. Quelques secondes plus tard, Acquaviva l’avait rejoint.

En voyant l’air majestueux du nouveau venu, les yeux de Pardaillan pétillèrent dans l’ombre où il s’était blotti.

– Enfin! se dit-il, je crois que, cette fois-ci, je vais savoir de quoi il retourne.

– Nous sommes bien seuls, dit Parfait Goulard à voix basse, en réponse à une interrogation muette.

– N’importe! dit Acquaviva sur le même ton. Et d’un geste, il recommanda la circonspection. Pardaillan, attentif, ne perdit pas un mot du dialogue suivant, tenu à voix très basse:

– Les bêtes ont bu.

– C’est sûr?

– Très sûr.

– Où va-t-il?

– À Saint-Germain-des-Prés.

– Le rousseau?

– Il partira demain.

– Bien… Et elle?

– Son carrosse vous attend derrière la butte.

Pas un mot de plus. Acquaviva partit à l’instant même et rejoignit le carrosse dans lequel, les mantelets baissés, l’attendait Léonora Galigaï. Nous les avons vus à l’œuvre.

Parfait Goulard lui laissa le temps de s’éloigner et il partit à son tour. Nous savons qu’il veillait de loin sur son chef.

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