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Une semaine passa.

Comme elle était démunie de tout, l’abbesse avait eu l’attention de lui envoyer le linge et les vêtements nécessaires. Après le linge, elle envoya sa lavandière pour le blanchir. Cette lavandière, c’était Perrette la Jolie.

Si on s’étonne de voir une blanchisseuse laïque dans un couvent, où d’ordinaire tous les travaux sont effectués par la communauté, nous rappellerons qu’un couvent, à cette époque, ne ressemblait en rien à un couvent moderne. Une abbaye était comme une seigneurie. Un abbé ou une abbesse était un seigneur ou une grande dame.

Jamais des femmes jeunes, jolies et élégantes, comme Marie de Beauvilliers et quelques-unes de ses religieuses, n’auraient consenti à confier leurs fins et luxueux dessous à une converse, bonne ouvrière certes, mais peu au courant des variations de la mode. Car la mode intervient même dans la façon de plisser, tuyauter et empeser les fanfreluches.

Grâce aux dix-huit cents livres généreusement données par Gringaille, Carcagne et Escargasse, Perrette venait de s’établir. Avec son petit air sérieux, sa mise décente et même élégante, c’était une charmeuse que cette Perrette. Avec cela un tact parfait et ouvrière accomplie. Il lui suffisait de se présenter quelque part pour être bien accueillie. Et comme son travail était irréprochable, elle se constituait rapidement une belle clientèle.

Perrette, lorsqu’elle était entrée chez Bertille, avait avec elle une ouvrière robuste, chargée d’emporter les lourds paquets de linge.

Bertille était douce et très simple. Elle n’avait aucun de ces préjugés qui faisaient que les gens de qualité se montraient pleins de morgue et de hauteur vis-à-vis de tout ce qui n’était pas «né». Elle accueillit les deux ouvrières avec son aménité habituelle.

Les deux jeunes filles s’étudièrent de ce coup d’œil rapide et sûr qu’ont les femmes. Et elles se sourirent gentiment. Apparemment il y avait sympathie entre elles. Mais comme la religieuse, servante et gardienne, était présente et les surveillait étroitement, elles n’échangèrent que des paroles banales qui pouvaient être dites en semblable occurrence.

Dans le courant de la semaine, Perrette pensa fréquemment à cette inconnue si jeune, si jolie, si douce, si peu fière et qui paraissait si triste.

– C’est sûrement quelque noble demoiselle que sa famille tient enfermée contre son gré, se disait-elle. À t-elle donc commis quelque faute grave?… Je jurerais bien que non. Ces yeux bleus, si clairs, si lumineux, sont le reflet d’une âme pure et innocente. Ce n’est pas une coupable, c’est une victime. Je la plains de tout mon cœur.

Et lorsqu’elle revint pour la deuxième fois, la sœur étant encore présente, Perrette, obéissant à l’impulsion de son bon cœur, sut s’arranger de manière à faire comprendre à Bertille qu’elle compatissait à ses malheurs, et que si elle pouvait lui être utile, elle le ferait très volontiers.

Bertille comprit ce langage muet. Mais elle se tint sur la réserve. Savait-elle si on ne lui tendait pas un nouveau piège?… Pourtant, quelle apparence?… N’était-elle pas entre les mains de ses ennemis?… Puis Perrette avait une de ces physionomies loyales qui attirent la confiance.

Et, à son tour, Bertille se prit à rêver de cette jolie ouvrière qui paraissait avoir si bon cœur.

– Si elle consentait à aller le trouver? songeait-elle, à lui dire qu’on me détient de force ici?… Il saura bien me délivrer, lui!

Toute cette semaine, elle la passa à penser à la petite lavandière. Tiraillée entre son instinct qui lui disait qu’elle pouvait avoir confiance et le souvenir récent des trahisons dont elle était encore victime, qui lui conseillait la prudence. Tantôt bien résolue à se confier à cette inconnue, l’instant d’après, décidée à se taire et à se tenir sur ses gardes.

Pour la troisième fois, Perrette revint. Cette fois, la religieuse n’était pas là. L’occasion était peut-être unique. Bertille sentit l’angoisse lui broyer le cœur. Parlerait-elle, ne parlerait-elle pas?… Pour elle, la question était redoutable.

Pendant qu’elle hésitait et se consultait, Perrette parlait spontanément:

– Madame, dit-elle de son air sérieux, je ne vous connais pas, mais je vous vois si triste, si malheureuse, que mon cœur en est ému. Si je puis vous être utile, disposez de moi.

Perrette s’était placée de façon à avoir la porte grande ouverte devant elle. Ainsi elle surveillait le jardin et verrait venir de loin la sœur. En parlant, elle étalait délicatement sur la table la lingerie qu’elle apportait.

Bertille hésitait. Machinalement, elle suivait les gestes gracieux de l’ouvrière. Ses yeux se fixèrent sur ses doigts avec une expression de surprise très vive.

Voyant qu’elle se taisait, Perrette reprit de sa voix douce:

– Vous ne me connaissez pas madame… et sans doute vous avez de bonnes raisons de vous défier? Je vous assure que vous pouvez avoir confiance en moi… Décidez-vous, madame, dans un instant la sœur et mon ouvrière vont venir. Il sera trop tard pour vous… Je ne réussirai pas toujours à écarter la sœur comme aujourd’hui.

Au lieu de répondre, Bertille s’empara de la main de Perrette et fixant sur elle un regard scrutateur, avec une soudaine émotion:

– Cette bague! dit-elle en désignant un anneau passé au petit doigt de l’ouvrière, d’où tenez-vous cette bague?

C’était la petite bague en fer que Carcagne avait trouvé dans l’étui qu’il avait subtilisé à Colline Colle. Gringaille sur la demande de son compagnon, l’avait passée au doigt de sa sœur et n’y avait plus pensé.

Perrette fut étonnée de la question. Puis étonnée encore du ton sur lequel elle était posée. Il lui semblait que ce n’était guère le moment de perdre son temps à des futilités. Néanmoins, forte de sa conscience, elle soutint sans broncher le regard soupçonneux de Bertille et répondit, sur un ton très naturel:

– Je la tiens de mon frère.

Bertille comprit qu’elle disait vrai. Plus doucement, elle dit:

– Excusez-moi si j’insiste… Il s’agit d’une chose très importante pour moi. Savez-vous où votre frère a trouvé cette bague?

– Il ne me l’a pas dit, fit Perrette de plus en plus étonnée.

– Votre frère, que fait-il?… Comment s’appelle-t-il, d’abord?

– Gringaille, madame.

Bertille tressaillit. Elle eut ce froncement de sourcils de la personne qui cherche à rappeler ses souvenirs. Et tout à coup, ses yeux brillèrent, son gracieux visage s’illumina d’un sourire, et vivement:

– J’y suis!… Votre frère n’est-il pas au service d’un jeune homme…

– Messire Jehan le Brave, oui, madame, fit Perrette, mordue au cœur par un soupçon subit.

– Vous le connaissez? s’écria Bertille radieuse.

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