– Rassurez-vous, mon père, je suis aussi heureux qu’il m’est permis de l’être.
– Votre frère…
François tressaillit et pâlit soudain.
– Ne vous réconcilierez-vous pas avec lui?…
– Jamais! répondit François d’une voix sourde.
Le connétable fit un nouvel effort pour lutter contre l’agonie.
– Écoutez… peut-être est-il moins coupable… que vous ne pensez…
François secoua violemment la tête.
– Cette jeune femme, reprit le connétable, qu’est-elle devenue?…
– De qui parlez-vous, mon père?…
– La fille… du seigneur de Piennes… Ah! je meurs… François…
– Mon père, calmez-vous… Tout cela est mort pour moi!
– François! Je te dis… qu’il faut la retrouver… elle… et son…
Le connétable n’eut pas le temps de prononcer le mot qui était sur ses lèvres. Il entra en agonie, balbutia quelques paroles vides de sens et expira.
Ainsi le secret de Jeanne de Piennes ne fut pas révélé à François de Montmorency qui ne chercha pas à savoir pourquoi son père voulait retrouver Jeanne… caprice funèbre d’un esprit qui sombre dans le néant, songea-t-il.
Le connétable eut des funérailles presque royales. Mais depuis les Guise qui redoutaient sa puissance, jusqu’à Catherine de Médicis qui supportait impatiemment sa grandeur, tout le monde fut content de cette mort.
Seul, François pleura sincèrement cet homme en qui disparaissait tout un âge.
François de Montmorency, après la bataille de Saint-Denis, vécut retiré des champs de bataille. Un jour que la reine mère lui offrit un commandement contre les huguenots, il refusa en disant qu’il considérait les réformés comme des frères d’armes et non comme des ennemis contre qui il fallait batailler.
Cette attitude lui valut les soupçons et la haine de Catherine de Médicis, qui essaya vainement de pénétrer ses secrets en lui envoyant Alice de Lux.
On a vu qu’Alice avait échoué.
D’ailleurs, François n’avait pas de secrets; simplement il se retirait des luttes auxquelles il n’avait pris part que pour obéir au connétable.
Cette attitude lui valut aussi d’être fort surveillé par un nombreux parti qui se formait alors et qui voyait en lui un chef possible.
Ce parti, indigné de voir couler tant de sang au nom d’une religion de paix rêvait de rétablir l’harmonie entre tous les Français, huguenots ou catholiques.
On l’appela le parti des Politiques.
François en devint le chef, un peu malgré lui, séduit pourtant par cette pensée d’une paix durable et sincère.
Ce fut sur ces entrefaites et dans cette situation d’esprit qu’il reçut un jour la visite du comte de Marillac.
Le comte venait, envoyé par Jeanne d’Albret; il obtint du maréchal la promesse de se rencontrer avec le roi de Navarre.
Henri de Béarn, venu secrètement à Paris avec le prince de Condé et Coligny, prit rendez-vous avec François de Montmorency. Au jour dit, à l’heure convenue, le maréchal se présenta à l’hôtel de la rue de Béthisy. On a vu quel effet l’annonce de son arrivée produisit sur le chevalier de Pardaillan.
Nous laisserons le chevalier expliquer à son ami Marillac les causes de son émotion, et nous suivrons le maréchal, cette entrevue avec Henri de Béarn ayant sur la suite de notre récit une influence considérable.
Le Béarnais accueillit le maréchal avec une sorte de gravité. Il excellait en effet à se mettre au diapason, si l’on peut dire, des gens qu’il voulait séduire, gai ou triste selon le caractère de l’homme à qui il parlait.
– Salut, dit-il à l’illustre défenseur de Thérouanne.
Le mot portait juste. Parmi les faits d’armes du maréchal, il n’en était pas qui lui fussent plus chers, soit parce que la défense de Thérouanne était l’œuvre de sa jeunesse, soit plutôt qu’il y rattachât des souvenirs intimes.
François s’inclina devant le jeune roi.
– Sire, dit-il, vous m’avez fait l’honneur de me mander pour m’entretenir de la situation générale des partis religieux. J’attends que Votre Majesté veuille bien m’expliquer ses intentions et je lui répondrai franchement.
Tout rusé qu’il fût, le Béarnais fut désarçonné par cette netteté un peu sèche. Il s’attendait à des sous-entendus, à des demi-mots, et il avait devant lui un homme qui prétendait parler sans ambages.
– Prenez ce siège, fit-il pour se donner le temps de réfléchir; je ne souffrirai pas que le maréchal de Montmorency demeure debout quand je suis assis, moi, simple cadet encore dans le métier des armes.
– Sire, le respect…
– Je le veux, dit Henri avec un sourire.
Montmorency obéit alors.
– Monsieur le maréchal, reprit le roi après un instant de silence, pendant lequel il étudia la mâle physionomie de son interlocuteur, je ne vous parlerai pas de la confiance que j’ai en vous. Bien que nous ayons combattu dans des camps opposés, je vous ai toujours tenu en singulière estime, et la meilleure preuve, c’est que vous êtes ici, seul de tout Paris, connaissant mon arrivée à l’asile que j’ai choisi.
– Cette confiance m’honore, dit le maréchal; mais je ferai remarquer à Votre Majesté qu’il n’est pas un seul gentilhomme capable de trahir son secret.
– Vous croyez? fit le roi avec un sourire sceptique. Je ne suis pas de votre avis et je vous répète que vous êtes le seul que j’aie pu faire venir ici, avec la certitude de pouvoir dormir tranquille cette nuit.
Le maréchal s’inclina sans répondre.
– Le résultat de cette confiance, continua le Béarnais, c’est que je vous causerai à cœur ouvert et que, du premier mot, je vous dirai le but de mon voyage à Paris.
Coligny et Condé jetèrent un regard d’étonnement sur le roi.
Mais celui-ci ne vit pas ce regard, ou feignit de ne pas l’avoir vu.
D’une voix très calme, il prononça:
– Monsieur le maréchal, nous avons l’intention d’enlever Charles IX, roi de France. Qu’en pensez-vous?
Coligny pâlit légèrement. Condé se mit à jouer nerveusement avec les aiguillettes de son pourpoint. L’entretien se trouvait du premier coup porté à une hauteur où le danger du vertige est permanent.
Pourtant le maréchal n’avait pas sourcillé. Sa voix demeura aussi calme que celle du Béarnais.
– Sire, dit-il, Votre Majesté m’interroge-t-elle sur la possibilité de l’aventure ou sur les suites qu’elle pourrait avoir, soit en cas de réussite, soit en cas d’échec?
– Nous parlerons de cela tout à l’heure, monsieur le maréchal. Pour le moment, je désire savoir seulement votre opinion sur… la justice de cet acte devenu nécessaire. Voyons, qu’en dites-vous? Serez-vous pour nous? Serez-vous contre nous? Garderez-vous simplement la neutralité?
– Tout dépend, Sire, de ce que vous voulez faire du roi de France, je n’ai ni à me louer ni à me plaindre de Charles IX. Mais il est mon roi. Je lui dois aide et assistance. Tout gentilhomme est félon qui ne court pas au secours de son roi en danger. Donc, Sire, avez-vous l’intention de violenter le roi de France, et rêvez-vous quelque substitution de famille sur le trône? Je suis contre vous! Cherchez-vous à obtenir de justes garanties pour l’exercice libre de votre religion? Je demeure neutre. En aucun cas, Sire, je ne vous aiderai à cet enlèvement.
– Voilà qui est parler net! Et l’on a plaisir à s’entretenir avec vous, monsieur le maréchal. Voici pourquoi nous avons résolu d’enlever mon cousin Charles. Je sais, nous savons que la reine mère prépare de nouvelles guerres. Nos ressources sont épuisées. En hommes et en argent, nous ne pouvons plus tenir campagne. Or, plus que jamais, nous sommes menacés. L’acte que nous préparons est un acte de guerre parfaitement légitime. Si Charles marchait à la tête de ses armées, ne chercherais-je pas à le faire prisonnier?… Nous sommes d’accord sur ce point, je pense?
– Oui, Sire, et j’avoue que si j’avais l’honneur d’être votre féal, au lieu d’être celui du roi de France, je donnerais les deux mains à votre projet.
– Très bien. Reste donc la question de savoir ce que nous ferons du roi quand il sera prisonnier…
– En effet, Sire, c’est là le point délicat, dit le maréchal.
Le Béarnais eut un long regard pensif. Qu’entrevoyait-il dans l’avenir dont il cherchait alors à percer les brumes? Était-ce la couronne de France? Ou bien cherchait-il simplement le moyen de paraître loyal devant cet homme qui lui semblait être la loyauté incarnée?
Quoi qu’il en soit, sa physionomie perdit soudain cette expression de ruse qui était si remarquable sur son visage. Et ce ne fut pas sans une sorte de mélancolie et de grandeur qu’il dit: