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– Guillaume! Jacques! Toussaint! Pierre! venez tous! entrez!… entrez tous!…

– Madame! voulut interrompre Henri.

Les serviteurs en deuil étaient entrés et, avec eux, plusieurs paysans de Margency.

– Entrez tous, continuait Jeanne enfiévrée, soutenue par une étrange exaltation. Entrez tous! Et apprenez la nouvelle: je ne suis plus ici chez moi!…

– Madame! gronda Henri…

Jeanne saisit une main glacée du cadavre et la secoua.

– N’est-ce pas, mon père, que nous ne sommes plus ici chez nous? N’est-ce pas qu’on nous chasse? N’est-ce pas, père, que tu ne veux pas rester une minute de plus dans la maison de la race maudite?… Allons, vous autres! n’entendez-vous pas que le seigneur de Piennes n’est plus ici chez lui! et qu’on chasse ce cadavre!… Dehors!… Dehors, vous dis-je!

Les joues brûlantes, les pommettes pourpres, les yeux en feu, la jeune femme courait d’un serviteur à l’autre, les poussait avec une force irrésistible, les plaçait autour du lit de camp… et, quand la manœuvre fut prête, elle fit un signe.

Huit hommes saisirent le lit, le soulevèrent sur leurs épaules, et les autres se formèrent en cortège, avec de sourdes malédictions, Jeanne marchant en tête!…

Henri, comme dans un cauchemar, vit le cadavre franchir la porte, puis Jeanne disparaître et, au loin, dans le village, il n’entendit plus qu’un sourd murmure d’imprécations…

Alors, violemment, il frappa le sol du pied, sortit, sauta sur son cheval et, furieusement, ventre à terre, il s’enfuit…

Jeanne, en arrivant chez la vieille nourrice où elle avait ordonné de porter le corps, tomba à la renverse, écrasée, anéantie, sans une larme, la force factice qui l’avait soutenue jusque-là soudain brisée.

Presque aussitôt, une fièvre intense se déclara; elle perdit la connaissance des choses, et seul le délire témoigna qu’elle vivait encore.

*******

Henri passa une nuit terrible, avec des accès de honte humiliée, des accès de fureur démente, et des crises de passion. Le lendemain, il retourna à Margency, prêt à tout, – peut-être à un meurtre.

Une nouvelle l’écrasa: Jeanne se mourait! Son délire tomba.

Dès lors, il revint tous les jours rôder autour de la maison paysanne…

Cela dura des mois. Près d’une année s’écoula… une année atroce pendant laquelle sa passion s’exaspéra, pendant laquelle aussi il apprit tout à coup que Thérouanne avait succombé, que la place avait été rasée, que la garnison avait été passée au fil de l’épée, que François avait disparu!…

Disparu!…

Mort peut-être?…

Il l’espéra! Oui, dans l’âme de ce frère, germa, grandit et se fortifia l’abominable espoir…

François avait été tué: cela devait être!

Et il en eut l’irrévocable conviction le jour où quelques hommes d’armes exténués, amaigris, en lambeaux, passèrent par Montmorency et s’arrêtèrent au manoir.

Il les interrogea.

Ils racontèrent la prise de Thérouanne, la cité incendiée, rasée, le grand massacre de la garnison…

Quant au chef, quant à Montmorency, disparu!

On ne savait ce qu’il était devenu.

Et leur opinion se résuma très ferme.

– Mort!…

On l’avait vu un moment derrière une barricade que plus de trois mille assaillants attaquaient…

Et tranquille désormais, Henri se remit à rôder autour de la maison, attendant patiemment que Jeanne fût enfin guérie.

Un jour – onze mois après le départ de son frère! – il aperçut enfin Jeanne dans le pauvre verger de la vieille nourrice. À la palpitation de son cœur, il comprit que l’amour était tout-puissant en lui.

Jeanne était en grand deuil.

De son père? ou de François?

Nul ne le savait…

Seulement, elle tenait dans ses bras un enfant qu’elle serrait passionnément sur son sein.

Henri s’en retourna lentement, combinant un plan.

Enfin, Jeanne était guérie! Enfin, il allait pouvoir agir! C’était simple: enlever la jeune femme et l’emmener de force au manoir, l’emporter comme les hommes primitifs devaient emporter, dans leurs bras velus, la femme choisie! Le crime arrêté, étudié dans tous ses aspects, Henri se sentit plus calme qu’il ne l’avait jamais été depuis un an.

En arrivant dans la cour d’honneur, il vit un cavalier tout poudreux qui venait de mettre pied à terre.

Henri pâlit…

Mais il lui sembla que cet homme avait une figure joyeuse, qu’il était porteur d’une nouvelle qu’il devait croire heureuse…

Et il n’osait l’interroger.

Mais à peine ce cavalier l’eut-il aperçu qu’il se dirigea vers lui et, d’une voix paisible, il dit en s’inclinant:

– Monseigneur François de Montmorency, délivré de sa captivité, sera, après-demain, dans le manoir de ses pères. Il m’a fait l’honneur de m’envoyer en avant pour prévenir de son arrivée son bien-aimé frère et toutes les personnes qui lui sont chères… Ce sont ses paroles expresses…

Henri devint livide; dans un éclair, il entrevit son frère se dressant en justicier, le frappant du coup mortel.

Puis un afflux de sang empourpra son visage et fit ses lèvres toutes violettes. Il leva le poing au ciel et râla:

– Malédiction!

Puis il s’abattit tout d’une pièce, foudroyé, assommé comme un bœuf à l’abattoir…

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