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– Mère, dit Loïse, reposez-vous. Voilà trois nuits que vous passez sur cet ouvrage… je puis maintenant le terminer seule en quelques heures…

– Chère Loïse!… Tu oublies que je dois porter cette tapisserie aujourd’hui même à cette jeune dame…

– Que vous m’avez dit de bonne bourgeoisie… dame Marie Touchet, je crois?…

– Oui, mon enfant…

– Ah! ma mère, pourquoi ne sommes-nous pas, nous aussi, de bourgeoisie?… Pourquoi sommes-nous de pauvres ouvrières?… Je dis cela pour vous, ajouta vivement Loïse, car, moi, je suis si heureuse!…

Jeanne jette un profond regard sur sa fille, et murmure en tressaillant:

– De bourgeoisie!…

Et elle se perd dans une morne et douloureuse rêverie…

«Pauvre enfant sans nom!… Que dirais-tu si tu savais que tu t’appelles Loïse de Montmorency?…»

– À quoi songez-vous, ma mère?

La mère tremble… ses yeux se voilent de larmes… son sein palpite. Lentement, comme si elle évoquait des choses mortes, les yeux fixés dans le vague, elle répond:

– Je songe, mon enfant, ma petite Loïse adorée, que peut-être tu n’étais pas née pour ce pénible labeur… et que c’est bien triste pour moi de voir des piqûres d’aiguilles au bout de tes jolis doigts…

Jeanne saisit la main de sa fille et couvre ses doigts de baisers.

Loïse éclate d’un joli rire sonore, clair, d’une charmante gaieté.

– Bon, ma mère! s’écrie-t-elle. Croyez-vous donc que j’aie des mains de jeune princesse?…

La mère tressaille profondément.

– Qui sait, reprend-elle. Qui sait si, sans ces deux hommes maudits…

Loïse laisse tomber son aiguille, et, très émue, cette fois:

– Ah! ma mère! quand me direz-vous ce terrible secret qui pèse sur votre vie?…

– Jamais! Jamais! murmure sourdement Jeanne.

– Quand me direz-vous, reprend Loïse qui n’a pas entendu, le nom des deux hommes, cause du malheur qui est dans votre existence, je le sens!… De ces deux noms, vous ne m’en avez jamais dit qu’un!…

– Oui, Loïse!… Le nom du chevalier de Pardaillan!…

– Je ne l’oublie pas, ma mère! Et je vous jure que, cet homme, je le déteste de toutes mes forces, pour ce mal inconnu qu’il vous a fait!… Mais l’autre! l’autre, plus criminel encore, m’avez-vous dit!…

«Jamais! Jamais! reprend Jeanne au fond de son cœur.»

Loïse respecte le silence de sa mère, et pousse un soupir. Les deux femmes se penchent sur la tapisserie, et on ne voit plus que leurs deux mains agiles qui vont et viennent, tandis que leurs cheveux se touchent, se frôlent…

Bientôt la tapisserie est terminée.

Jeanne, alors, s’enveloppe d’une mante, et après avoir serré Loïse sur son cœur, sort pour se rendre chez la dame qui a commandé cet ouvrage… dame Marie Touchet.

Loïse a accompagné sa mère jusque sur le palier. Elle rentre alors, et vivement, comme attirée par une force invincible, court à la fenêtre de l’autre pièce qui donne sur la rue Saint-Denis…

En face, se dresse une grande maison: l’hôtellerie de la Devinière .

Loïse lève sa tête charmante vers l’hôtellerie, craintivement, furtivement, tandis que son jeune sein se gonfle d’espoir et d’émoi.

Là-haut, à une fenêtre de grenier, apparaît un jeune cavalier…

Du bout des doigts, il envoie un baiser à Loïse…

Loïse hésite, rougit, pâlit… elle demeure un instant les yeux fixés sur l’inconnu… et ce regard est peut-être un aveu!

*******

Ce jeune cavalier porte un nom qu’ignore Loïse et qui, s’il était prononcé, retentirait comme une malédiction dans le cœur de jeune fille qui s’ouvre à l’amour le plus pur, le plus profond…

Car le jeune chevalier s’appelle le chevalier Jean de Pardaillan!…

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