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– Oh! s’écria Jeanne avec exaltation. Loïse est sauvée!…

Ce cri de la mère troubla un instant l’âme obscure du guerrier. Mais aussitôt il se remit et reprit:

– J’ignorais d’ailleurs tout ce que vous venez de raconter touchant mon fils Henri. François ne m’en a point parlé (il mentait), et, tout à l’heure, en vous disant que je savais tout, je faisais seulement allusion à ce mariage secret qui m’a gravement offensé dans mon autorité paternelle et dans nos intérêts de famille. Ce mariage est impossible, madame!

– Ce mariage, murmura Jeanne frappée au cœur, n’est ni possible ni impossible: il est. Voilà tout!…

Une bouffée de colère enflamma le visage du connétable. Des paroles violentes se pressèrent sur ses lèvres; mais il dompta sa colère, il refoula ses paroles, parce que sa pensée était plus violente encore.

Avec une tranquillité qui fit frissonner la jeune femme, il tira de son pourpoint deux parchemins et en déroula un.

– Lisez ceci, dit-il.

Jeanne parcourut d’un trait le parchemin. Elle devint livide. Un tremblement d’épouvante l’agita, et incapable d’articuler un mot, ou de pousser une plainte, elle tourna vers le terrible père de François un de ces regards comme les moutons doivent en jeter au boucher lorsqu’il lève son couteau.

Le papier ne contenait que quelques lignes, qui se terminaient par la formule inventée et inaugurée par François 1er . Ces lignes, les voici:

«À tous présents et à venir, salut.

Ordre est donné à notre prévôt, messire Tellier, de se saisir de la personne de François, comte de Margency, aîné de la maison de Montmorency, colonel de notre infanterie suisse, et de le conduire en notre prison du Temple où il demeurera jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de l’appeler à Lui. Nous le voulons et mandons ainsi à notre prévôt et tous officiers de notre prévôté, car tel est notre bon plaisir.»

– Monseigneur! oh! monseigneur! bégaya enfin Jeanne, que vous a fait François? Oh! vous voulez m’éprouver, m’effrayer! Ceci est horrible!… La prison perpétuelle!… ô mon François!…

– Madame, dit Montmorency, avec un calme sinistre, ce parchemin n’est pas signé encore. Je suis, madame, connétable des armées du roi et grand-maître de France. Dans quelques instants, le roi sera dans cet hôtel. Je n’aurai qu’à lui présenter ce papier, et à lui dire: «Plaise à Votre Majesté d’apposer sa griffe au bas de ce parchemin.» Et demain, madame, commencera la prison… la nuit éternelle pour celui que vous aimez.

– Oh! c’est affreux! Ma raison s’égare! Mais que vous a-t-il fait, seigneur? Que vous a-t-il fait?

– Il vous a épousée: là est son crime…

– Son crime! balbutia l’infortunée dont la raison, vraiment, s’égarait… Oh! monseigneur, ne punissez que moi! Grâce pour François! Dieu juste! Dieu de bonté! Il n’est donc ni juste ni pitié ici-bas! Tenez, monseigneur, tuez-moi, puisque c’est un crime que d’aimer…

Une flamme s’alluma dans l’œil du vieux Montmorency qui, froidement, continua:

– Maintenant, madame, voici un deuxième parchemin. C’est un acte de renonciation volontaire à votre mariage…

– Non! non! oh! non! pas cela! haleta Jeanne dans un cri déchirant. Tuez-moi! mais pas cela!…

– Je sais combien un divorce est chose grave, et qu’il est difficile de faire casser un mariage. Mais, le roi aidant…

– Grâce! Pitié! Justice, monseigneur! cria Jeanne en tombant à genoux.

– La bonne volonté de notre Saint-Père nous est acquise… vous n’avez qu’à signer…

– Pitié! oh! laissez-moi mon François! laissez-moi l’aimer!

– Signez, madame, et le Saint-Père cassera le mariage…

– Ma fille, monseigneur! La fille de François! Vous lui volez son père!… Vous lui arrachez son nom!…

– C’en est assez, madame. Tout à l’heure, je présenterai l’un ou l’autre de ces deux parchemins au roi. François sera demain au Temple si, dès ce soir, je ne puis expédier à Rome votre renonciation. Signez et vous le sauvez…

– Grâce! Grâce! sanglota l’épouse martyre. Non! non! jamais!…

– Le roi! Le roi! Vive le roi!…

Des cris éclataient dans la cour d’honneur. Une fanfare de trompettes retentit. On entendit les pas précipités des gentilshommes qui couraient au-devant d’Henri II. La porte s’ouvrit violemment et un homme cria:

– Monseigneur! Monseigneur! voici Sa Majesté!…

– Adieu, madame, dit lentement Montmorency. Déchirez cette renonciation. Moi, je vais faire signer au roi l’ordre d’emprisonner mon fils!…

– Arrêtez! je signe! râla la martyre.

Et elle signa!… Puis elle tomba à la renverse, tandis qu’un de ses bras, dans un geste instinctif et sublime, cherchait encore à protéger Loïse…

Le connétable fondit sur le parchemin, le saisit, le cacha dans son pourpoint, et de son pas lourd d’écraseur de cœur, de tueur d’hommes et de femmes, se porta à la rencontre d’Henri II.

Dans la cour, les cris de joie éclataient furieusement:

– Vive le roi! Vive le roi! Vive le connétable!…

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