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Le capitaine, d’un geste, arrêta encore l’attaque: cette tactique ne réussissant pas, il fallait en employer une autre. Ce fut le deuxième arrêt dans ce tragique et merveilleux corps à corps.

– Par tous les diables d’enfer, murmura le capitaine des gardes, je suis fâché d’arrêter ces deux hommes…

– Es-tu blessé? dit le vieux Pardaillan.

– Pas une égratignure, et vous, mon père?

– Rien encore. Tâchons de bien mourir, par Pilate.

– Tâchons de ne pas mourir, dit froidement le chevalier.

– Pied à terre! commanda le capitaine.

Une douzaine de cavaliers sautèrent à bas de leurs chevaux; les mignons étaient du nombre, enragés par cette résistance, rêvant de supplices, et répétant entre eux:

– Il nous les faut vivants!

Alors, ce fut un cercle d’épées qui se forma autour du rempart; douze ou quinze pointes convergèrent sur les Pardaillan; un grand silence se fit dans ce petit espace, tandis que la foule continuait, à droite et à gauche, à faire entendre son grondement sourd: la minute fut poignante.

– Rendez-vous donc, par la mort-dieu! dit le capitaine.

Les Pardaillan secouèrent la tête. Le capitaine haussa les épaules et dit:

– Prenez-les!

Ensemble, à ce mot qui leur fut un signal d’attaque, ensemble les épées fulgurèrent, les pointes fouillèrent à travers les bois, deux ou trois lames se cassèrent d’un coup sec, quatre hommes tombèrent, du sang gicla, et la bande se reculant pour un nouvel assaut, sans faire attention à ses morts, cria d’une voix:

– Ils en tiennent! Ils en tiennent!

C’était un succès; les deux Pardaillan étaient rouges de sang, blessés tous deux à la tête, aux bras, à la poitrine.

– Adieu, chevalier! fit le vieux routier en tombant sur un genou.

– Adieu, mon père! dit le chevalier en s’accoudant pour ne pas tomber.

– Au nom du roi, rendez-vous, et je tiens votre rébellion nulle et non avenue! cria le capitaine avec une émotion dont il ne fut pas maître.

– Merci, monsieur! dit le chevalier de sa voix la plus jolie. En mourant, c’est vous que je regarderai, car vous êtes ici la seule figure qu’un honnête homme puisse regarder… Chargez-nous!

Le capitaine fit un signe et cria:

– Démolissez, d’abord!…

Et de nouveau, le formidable rang d’acier s’avança comme une bête monstrueuse, en dardant ses pointes. Au même instant, sous des coups furieux, la barricade s’écroula, le passage se trouva libre.

– Voici la fin de la fin! s’écria le vieux Pardaillan dans un suprême éclat de rire.

En même temps, il portait deux ou trois coups de pointe.

– Adieu, Loïse! murmura le chevalier dans un frémissement de tout son être, en fermant un instant les yeux.

Et lorsqu’il les rouvrit, ces yeux, il demeura pantelant, ébloui, extasié, frappé d’un étonnement surhumain, rêvant qu’il était mort, ou que, dans le vertige de l’angoisse, une consolante et radieuse apparition lui était survenue pour le conduire aux portes de l’infini. Et voici ce qu’il voyait:

Les pointes des épées menaçantes qui étaient à un pouce de sa poitrine s’étaient relevées ou abaissées. Les assaillants reculaient à droite et à gauche, étonnés, fascinés, laissant libre une route bordée d’acier qui aboutissait à Henri de Montmorency à cheval, immobile, pétrifié, couvert d’une pâleur livide. Dans ce chemin, une femme vêtue de deuil s’avançait, lente et majestueuse…

– La dame en noir! haletait le chevalier.

Et sur le seuil de la maison, devant la porte où s’élevait la barricade, devant cette porte qui venait de s’ouvrir soudain, se tenait une jeune fille adorable dans sa pose à la fois craintive et hardie, avec ses cheveux dorés lui faisant un nimbe glorieux, son doux visage pâle, – et du seuil élevé, elle abaissait sur le chevalier un long regard chargé d’admiration et d’effroi…

– Loïse! bégaya le jeune homme qui, d’un mouvement très doux, se mit à genoux sur le sol baigné de sang.

Deux larmes perlèrent au bord des longs cils de la jeune fille. Et son regard se voila alors d’une céleste tendresse.

– Puissances du ciel, je puis mourir… elle m’aime!…

Le chevalier tomba à la renverse, évanoui, tandis que le vieux Pardaillan, mordant sa rude moustache grise, grommelait:

– Ah! c’est la Loïse, Loïson, Loïsette?… Eh bien, je ne suis pas fâché de trépasser avec ce spectacle-là dans les yeux!

La dame en noir, Jeanne de Piennes s’avançait vers Henri de Montmorency.

Au moment où la porte s’était brusquement ouverte, au moment où cette femme était ainsi apparue, se jetant entre les épées et les blessés, les assaillants s’étaient reculés effarés. Et la dame avait si grand air, le front haut, majestueuse et calme, elle parut si imposante que l’étonnement se changea en respect, que tous comprirent qu’il allait se passer quelque chose d’étrange, et que nul parmi ces hommes furieux tout à l’heure n’eût voulu alors porter un dernier coup aux blessés que d’un geste elle avait mis sous sa protection.

Jeanne de Piennes s’arrêta à deux pas du maréchal de Damville. Hypnotisé, Henri l’avait vue venir comme on voit marcher une apparition dans un rêve. Il n’y avait plus en lui ni amour, ni fureur, ni jalousie: il n’y avait que le prodigieux étonnement de la voir là. Comment? Pourquoi? Sa tête s’y perdait. Il attendait, voilà tout.

– Monseigneur, dit Jeanne de Piennes, je prends ces deux hommes: ils sont à moi. L’un d’eux est celui qui m’a ramené l’enfant qui m’avait été volé; l’autre, c’est son fils. Et ma gratitude infinie va de l’un à l’autre. Je vous le dis, monseigneur, ces deux hommes sont à moi. Et je vous demande: dois-je expliquer à tous ici présents quelle dette j’ai contractée envers eux? Faut-il que je parle?

D’un geste de son bras elle enveloppa les cavaliers immobiles, les mignons stupéfaits, la foule maintenant silencieuse, haletante devant cette scène. Le maréchal avait longuement tressailli. Il eut un haut-le-cœur de révolte. Ses yeux sanglants regardèrent, farouches, autour de lui, puis revinrent à Jeanne de Piennes. Et sous son regard à elle, sous ce regard limpide, il se courba, vaincu… vaincu en apparence, car un sourire funeste glissa sur ses lèvres décolorées. D’une voix basse, rauque, à peine perceptible, il répondit:

– Ces deux hommes sont à vous, madame… prenez-les!…

Et sous ses coups de saccade violente, son cheval recula jusqu’aux maisons d’en face; mais là, il s’arrêta, et Henri demeura présent… un nouveau sourire fugitif et terrible tordit sa bouche. Jeanne de Piennes s’était retournée vers le capitaine des gardes du duc d’Anjou.

– Monsieur, dit-elle, vous accomplissez ici une mission…

– Ordre du roi, madame! fit le capitaine d’une voix ferme. Je dois arrêter ces deux gentilshommes…

– Monsieur, je m’appelle Jeanne, comtesse de Piennes, duchesse de Montmorency…

Le capitaine s’inclina profondément. Il y eut un frisson parmi les assistants, telle avait été l’amertume qui avait éclaté dans ces quelques mots, – l’amertume et aussi la forte volonté.

– Je vous suis une caution vivante, poursuivit Jeanne de Piennes. Ma parole vous répond des deux prisonniers.

– S’il en est ainsi, madame, dit le capitaine, à Dieu ne plaise que je mette en doute la caution de haute, noble et puissante dame de Piennes et de Montmorency. Et si les deux prisonniers ne doivent pas quitter cette maison…

– Ils ne la quitteront pas, monsieur!

– J’obéis, madame. J’ajoute: je suis heureux d’obéir, car ce sont deux braves.

Jeanne de Piennes s’inclina et se retourna vers les deux blessés qui, s’étant relevés, assistaient à cette partie de la scène en faisant d’héroïques efforts pour se tenir debout. Aux derniers mots du capitaine, d’un même mouvement, ils remirent leurs épées aux fourreaux. Jeanne de Piennes s’avança vers le vieux Pardaillan:

– Monsieur, dit-elle de sa voix douce et fière, voulez-vous me faire le grand honneur de vous reposer dans ma pauvre maison?…

Elle tendit sa main. Le vieux routier, bouleversé d’émotion, s’appuya sur cette main, et tous les deux entrèrent ainsi dans la maison.

Alors, d’un geste timide, Loïse présenta sa main au chevalier, Il la saisit en frissonnant et se redressa de toute sa taille. Déchiré, sanglant, superbe, il apparut un instant comme le lion qui, après la victoire, conduit sa lionne hors du champ de bataille.

La vision disparut. La porte s’était refermée sur Loïse et le chevalier…

– Capitaine! gronda Henri, vingt gardes devant cette maison, nuit et jour! Vous me répondez sur votre tête des prisonniers… et des prisonnières!…

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