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– Mère, s’écria-t-elle, je ne te quitterai pas!

– Non, mon enfant, dit Jeanne, nous ne nous séparerons pas. Quoi que cet homme puisse dire, ta mère est là pour te défendre…

Henri rougit et pâlit coup sur coup. Son plan d’isoler Jeanne échouait. Un instant, il se demanda s’il n’allait pas recourir à la violence. Mais il vit Jeanne si décidée qu’il eut peur une minute.

Et pourtant, il voulait lui parler. Toute cette passion exaspérée de son jeune âge qu’il avait cru étouffée, montait à ses lèvres.

Son regard, maintenant, vacillait. Sa tête s’égarait.

– Que craignez-vous? fit-il d’une voix basse et rauque, suppliante et menaçante à la fois. Si j’avais voulu vous séparer de votre fille, je l’eusse déjà fait et facilement. Je ne l’ai pas voulu. Dites et pensez ce que vous voudrez, vous ne m’ôterez pas le mérite de la franchise. Oui, j’ai été violent envers vous, et je le serai peut-être encore. C’est que je suis fidèle à moi-même! Je ne suis pas de ces lâches qui, mariés, répudient leur femme… Ah! vous grondez! Toute votre attitude proteste. Que voulez-vous que cela me fasse? Vous ne pouvez empêcher d’être ce qui est. Et ce qui est, c’est que si François vous a abandonné lâchement, moi, je suis fidèle!

Un cri d’horreur et d’indignation éclata sur les lèvres de Jeanne. Sans y penser, Henri venait de trouver la meilleure tactique pour forcer Jeanne à lui répondre.

Une seconde, elle oublia Loïse pour ne songer qu’à François.

– Misérable, cria-t-elle dans un élan où il semblait qu’elle fût soulevée par tout son amour de jadis, misérable, c’est toi, c’est ta félonie, c’est ton infamie qui nous a séparés… Mais sache-le, loin de moi, François me pleure, comme je le pleure!

Jeanne éclata en sanglots.

– Mère, mère! Je te reste! cria Loïse.

Ces mots de son enfant rendirent à Jeanne sa présence d’esprit. Elle serra sa fille dans ses bras.

– Oui, mon enfant, ma bien-aimée, tu me restes… et tu es bien maintenant mon unique trésor…

Henri contempla d’un œil sombre le spectacle de la mère et de la fille enlacées. Il comprit la faute énorme qu’il avait faite en ne les séparant pas… il comprit que toutes ses paroles seraient vaines, et que la violence seule lui restait comme une dernière ressource.

– C’est bien, reprit-il en essayant de donner à sa voix un accent de modération. Plus tard, vous me rendrez justice… oui! quand vous saurez à quel péril je vous ai arrachées toutes deux, peut-être me regarderez-vous avec moins d’horreur. Pour le moment, il faut que vous sachiez ce que j’étais venu vous dire. Vous ne pouvez demeurer dans cet hôtel. Ce même péril qui vous menaçait rue Saint-Denis vous menace encore ici… Veuillez donc vous apprêter; dans une heure, une voiture vous transportera dans une maison où vous serez en parfaite sûreté… Adieu madame!

Un imperceptible mouvement de joie échappa à Jeanne.

Mais le regard soupçonneux d’Henri saisit ce mouvement.

– Je dois vous dire, fit-il froidement, que toute tentative, tout cri pendant le trajet seraient au moins inutiles… à moins qu’ils ne soient très dangereux… pour cette enfant.

Et il sortit en grommelant à part lui:

– D’ailleurs, j’aurai soin de choisir un moment convenable.

Après le départ d’Henri de Montmorency, les deux femmes demeurèrent quelques minutes silencieuses et comme stupéfiées.

L’exaltation factice qui avait soutenu Jeanne en présence de son redoutable ennemi tomba d’un coup. Elle éprouvait une de ces terreurs qui paralysent la pensée. Pour en trouver une pareille dans sa vie, elle eut dû remonter à la néfaste journée de Margency où, devant François, Henri l’avait accusée.

«C’est fini, songeait-elle. Ma fille est perdue, je suis perdue!»

En effet, l’entretien qu’elle venait d’avoir avec Henri – si on peut donner le nom d’entretien à cet échange de menaces et de défis – lui prouvait que cet homme était encore ce qu’il était jadis.

Dans les journées qui venaient de s’écouler, la malheureuse mère s’était reprise à espérer.

Et pourtant, elle savait qu’elle était au pouvoir d’Henri de Montmorency.

En effet, on n’a peut-être pas oublié que le jour où elles avaient été amenées à l’hôtel de Mesmes, le maréchal, ouvrant soudain la porte, était apparu à la mère et à la fille au moment même, où elles échangeaient des conjectures sur cet étrange emprisonnement.

Mais ce jour-là, Henri n’avait rien dit.

Peut-être la vue de Jeanne avait-elle produit sur lui un effet plus violent qu’il ne s’y était attendu.

Il n’avait rien trouvé à dire.

Livide, balbutiant d’incohérentes paroles confuses, à, demi murmurées, il s’était retiré après cette apparition d’une seconde.

Les jours s’étaient écoulés sans qu’il osât risquer une nouvelle entrevue.

Et alors que Jeanne espérait que le remords l’avait touché peut-être, le maréchal de Damville constatait que sa passion était plus violente que jamais.

Cet espoir de Jeanne venait de s’envoler. C’était bien toujours le même Henri qu’elle avait connu, avec moins de violence apparente, avec plus d’hypocrisie.

– Que va-t-il faire de nous? se demanda-t-elle à demi-voix.

– Courage, mère, fit Loïse. Qu’importe où cet homme nous conduise, pourvu que nous ne soyons pas séparées?

Cette nuit-là, les deux femmes ne se couchèrent point.

Mais la nuit s’acheva sans qu’on fût venu les chercher, malgré ce qu’avait annoncé Henri, et ce fut seulement sur le matin qu’elles s’endormirent, brisées, l’une près de l’autre.

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