– Oui, oui, fit le maréchal, je vois comment les choses ont dû se passer… il y a un criminel dans tout cela, et le vrai criminel porte mon nom!
François saisit brusquement la main du chevalier, et, d’une voix sombre, continua:
– Mon enfant, ceci est une chose horrible à penser! Qu’un pareil forfait ait pu être conçu par mon propre frère, que les inventions de cette trahison aient pu prendre naissance chez celui à qui j’avais confié ma femme, cela me paraît un rêve impossible et terrible… Mais laissons tout cela. Chevalier, je vais entreprendre la délivrance de la malheureuse femme qui a tant souffert… Voulez-vous me faire un récit exact et détaillé de tout ce que vous savez?
Pardaillan raconta comment il avait été arrêté, et comment, à la sortie de la Bastille, il avait eu tout ouverte la lettre de Jeanne de Piennes.
Un seul point demeura obscur dans son récit:
Pourquoi Jeanne de Piennes et Loïse s’étaient-elles adressées à lui?… Il eut soin de glisser rapidement sur ce passage dangereux. Quant à pouvoir dire quel danger menaçait les deux femmes, qui les avait enlevées, où elles se trouvaient, Pardaillan ne pouvait rien dire de précis là-dessus. Mais il avait des soupçons qu’il exposa:
– Il y a deux pistes possibles, dit-il en terminant, je vous ai dit que j’avais vu rôder le duc d’Anjou et ses mignons autour de la maison de la rue Saint-Denis. Peut-être est-ce donc au frère du roi que vous devrez demander compte de cette disparition.
Le maréchal secoua la tête.
– Je connais Henri d’Anjou, dit-il. L’action violente l’effraie. Il n’est pas homme à risquer un scandale.
– Alors, monseigneur, j’en reviens à la supposition qui n’a cesse de me hanter. Je suppose qu’un hasard a pu mettre le maréchal de Damville en présence de la duchesse de Montmorency, et que nous devons commencer nos recherches du côté de l’hôtel de Mesmes. C’est ce que je disais cette nuit au comte de Marillac, que j’étais venu prier de m’aider dans mes recherches.
– Je crois que vous avez raison, fit le maréchal avec une violente agitation. Je vais de ce pas trouver mon frère… Mais, dites-moi, si vous ne m’aviez pas trouvé à Paris, vous eussiez donc entrepris cette délivrance? Pourquoi? Quel intérêt particulier pouvait vous guider?
– Monseigneur, fit Pardaillan qui faillit se démonter, je considérais comme un devoir de réparer en partie le mal dont mon père était responsable en partie…
– Oui, c’est vrai… vous êtes vraiment une belle nature, chevalier. Pardonnez-moi ces questions…
– Quant à ce qui est d’aller trouver le maréchal de Damville, reprit Pardaillan qui se hâta de laisser tomber cette inquiétante partie de l’entretien, j’imagine que la démarche est dangereuse…
– Ah! s’écria François avec une exaltation concentrée, puissé-je le rencontrer! Et nous verrons de quel côté frappera le danger!
– Je ne parle pas pour vous, monseigneur, mais pour elles… C’est d’elles seules qu’il s’agit!
– Elles! fit le maréchal qui tressaillit.
– Sans doute! Qui sait à quelles extrémités pourra se porter le duc de Damville, si elles sont chez lui, et si vous allez le provoquer! Qui sait quels ordres il aura donnés! Qui sait si un nouveau complice n’exécuterait pas cette fois ce que mon père se refusa jadis à exécuter!
– Ma fille! balbutia François en pâlissant.
– Monseigneur, je vous demande un jour et une nuit de patience. Laissez-moi faire! Je me charge, dès cette nuit, de savoir ce qui se passe à l’hôtel de Mesmes. Si elles y sont, nous aviserons, et je crois que nous devrons ruser… vous serez libre d’employer la force quand il ne s’agira plus que de vengeance.
– En vérité, chevalier, s’écria François, plus je vous écoute, et plus j’admire votre énergie et votre souplesse. Notre rencontre est un grand bonheur pour moi…
– Ainsi, monseigneur, vous me laissez faire?
– Jusqu’à demain, oui!
– Monseigneur, reprit froidement Pardaillan, jusqu’au jour où j’aurai pu m’introduire à l’hôtel de Mesmes et où je saurai exactement ce qui s’y passe. D’ailleurs, j’espère que dès cette nuit, j’aurai réussi.
– Faites donc, mon enfant. Et si vous réussissez, je vous devrai plus que la vie…
Le chevalier se leva pour se retirer. Le maréchal l’embrassa tendrement. Il comprenait que, dans l’état de violente émotion où il se trouvait, tout ce qu’il eût entrepris eût tourné contre lui, et il considérait le chevalier comme un être spécialement suscité pour le sauver, pour sauver Jeanne, pour sauver sa fille.
Pardaillan s’éloigna à grands pas de l’hôtel de Montmorency.
Il se rendit tout droit à la Devinière , où il fit une toilette qui ressemblait assez à un branle-bas de combat. Puis il sortit en se disant à lui-même:
– Et maintenant, peut-être, à la conquête du bonheur!… à l’hôtel de Mesmes!…