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– Les condamnés ont été ranimés selon l’ordre donné. Il ne reste plus qu’à les conduire jusqu’à la rue.

– Monsieur le chevalier de Pardaillan, dit Fausta, accompagnez vos amis jusqu’au grand vestibule: je vous attends ici… car si je vous prouve que j’ai accepté le marché proposé, vous devez me prouver à votre tour que mon homme à moi est libre comme sont libres vos deux hommes à vous…

Elle fit un signe, et l’homme au rapport s’inclina, et sortit, suivi de Pardaillan. Rapidement, le chevalier, à la suite de son conducteur, franchit deux ou trois vastes salles, magnifiquement décorées, longea un couloir et parvint à une porte ouverte.

– C’est là, dit le conducteur.

Le chevalier entra et, assis sur des fauteuils, il vit le prince Farnèse et maître Claude. Un personnage vêtu de noir, quelque médecin sans doute, était penché sur eux et achevait de les rappeler à la vie… une sorte de petit vieillard à figure énigmatique.

Quelques minutes se passèrent. Pardaillan attendait, la gorge serrée par l’angoisse, regardant avec une maladive curiosité ces deux visages d’hommes sur lesquels la souffrance avait laissé des traces terribles, fantômes qui semblaient revenir des lointaines régions de la mort.

Puis le personnage noir se releva avec un rire silencieux de satisfaction et se tourna vers Pardaillan:

– Ils en reviendront, dit-il avec une grimace qui voulait être sans doute un sourire. Ils en reviendront, s’ils prennent la précaution de manger et boire avec une grande modération pendant huit jours. Louée soit notre souveraine sacrée qui fait grâce!

Là-dessus, le petit vieux fit une courbette, boucha soigneusement le flacon qu’il tenait à la main, puis, ayant jeté un dernier regard sur les deux condamnés, sortit, ou plutôt disparut sans qu’on pût dire au juste par où il s’était éclipsé. Pardaillan regarda vivement autour de lui, vit qu’il était seul, et s’approchant de Farnèse, lui glissa rapidement à l’oreille:

– En sortant d’ici, entrez à l’auberge voisine, rejoignez-y le duc d’Angoulême et allez m’attendre tous les trois à la Devinière , rue Saint-Denis. Eh bien! monsieur continua-t-il à haute voix, comment vous trouvez-vous?…

Le cardinal et le bourreau eurent un regard effaré, vacillant, rempli de cet immense étonnement qui est le vertige de la pensée. Ils étaient pâles comme des spectres. Leurs joues étaient creuses, leurs yeux profondément enfoncés sous les orbites.

Mais presque aussitôt, et avec une foudroyante soudaineté, le sang afflua à leurs visages. C’était la liqueur du petit vieux qui agissait. Ils se dressèrent debout, et leur premier mouvement fut de marcher à la porte. Puis, ils s’arrêtèrent avec une crainte d’enfants: leur pensée, presque atrophiée par la souffrance, ne leur laissait plus la possibilité de la lutte…

– Au nom de Violetta! murmura ardemment le chevalier.

– Violetta? balbutia Farnèse comme s’il eût éprouvé une grande difficulté à se souvenir et une plus grande encore à parler.

Mais ce nom ainsi jeté produisit sur l’esprit de Claude un effet comparable à celui que le violent révulsif du petit vieux avait produit sur son corps. Il eut une sorte de grondement. Ses poings énormes se serrèrent.

– Vous dites: Violetta! fit-il haletant.

– Oui! dit Pardaillan dans un souffle. Si vous l’aimez, faites ce que je dis: entrez au Pressoir de fer , rejoignez-y le duc d’Angoulême, et tous trois, allez m’attendre à la Devinière . Silence! On nous écoute…

En même temps, Pardaillan prit une main de Farnèse, une main de Claude et les entraîna:

– Venez, dit-il, n’avez-vous pas entendu que la glorieuse Fausta vous fait grâce?…

Les deux hommes marchèrent. Que leur arrivait-il? Qu’était-il arrivé? Où allaient-ils? Qui était cet homme? Ils ne savaient plus rien. Dans leur tête, il n’y avait que du vide…

Quelques instants plus tard, ils atteignaient le grand vestibule, traînés par le chevalier, qui lui-même était guidé par l’homme de Fausta. Toutes ces salles, ces couloirs qui se succédaient semblaient déserts. Mais dans le vestibule, il y avait une vingtaine de gardes. La porte, la grande porte de fer s’entrouvrit. Dans le même instant, Farnèse et Claude se trouvèrent dehors, tandis qu’un homme disait à haute voix:

– Allez et bénissez la souveraine qui vous fait grâce de par l’intercession de M. le chevalier de Pardaillan!…

Si peu de temps que la porte de fer eût été entrouverte, le chevalier en eût peut-être profité pour faire ce qu’il appelait une trouée à travers les gardes massés et se précipiter dehors. Il fut retenu par cette réflexion que dans l’état où se trouvaient les deux condamnés graciés, il n’y avait pas de défense à espérer de leur part. Ils seraient poursuivis, rattrapés, et tout ce que venait de tenter Pardaillan serait inutile.

Il laissa donc la porte se refermer, et suivant le même homme qui l’avait guidé, il se retrouva quelques instants plus tard en présence de Fausta. Il s’inclina devant elle, non sans émotion, et lui dit:

– Madame, c’est fait: ces deux malheureux sont libres. Vous venez d’acquérir à ma reconnaissance des droits que je n’oublierai jamais…

Et comme Fausta ne répondait pas, abîmée qu’elle était dans quelque lointaine rêverie:

– Si peu que je sois, continua-t-il, si puissante et glorieuse que vous soyez, qui sait si cette gratitude du pauvre chevalier ne vous sera pas un jour de quelque utilité?…

Fausta tourna légèrement la tête de son côté et dit:

– Où est le moine Jacques Clément?…

– Il est libre, madame, répondit Pardaillan sans hésitation. Aussi libre que le cardinal et le bourreau qui sortent de ce logis. Madame, continua-t-il, et une flamme d’intrépidité et d’audace empourpra son visage, libre à vous de me considérer comme un otage. Mais il ne sera pas dit que je vous aurai trompée après l’acte de générosité que vous avez accordé à mon humble prière. En vous l’avouant je me retire sans doute tout espoir de salut, mais sachez-le: Jacques Clément n’a jamais été en mon pouvoir, et il n’est pas davantage en ce moment au pouvoir du duc d’Angoulême…

– En sorte, dit Fausta, que je puis donner l’ordre de vous mettre à mort sans que les projets du moine sur Henri III en soient interrompus?…

– Vous le pouvez, madame!

Et Fausta, de cette voix sans expression qui faisait frissonner les plus braves, reprit:

– Je vais donc donner cet ordre. Apprêtez-vous à mourir, chevalier!…

Pardaillan, d’un geste lent, tira sa rapière, regarda Fausta en face, et dit:

– Je suis prêt, madame!…

Fausta se leva et s’approcha de Pardaillan.

Celui-ci la reconnut à peine…

Ce n’était plus la statue glaciale et glacée. Ce n’était plus cette synthèse d’orgueil, cette figuration de majesté qui faisait courber les fronts et inspirait la terreur. Celle qui venait vers lui, c’était une femme dans tout l’éclat de la beauté qui s’exalte, dans toute la magnificence de l’amour qui se déchaîne et qui s’offre!…

Les yeux de cette femme, ces splendides yeux noirs pareils à des diamants noirs versaient de la passion en jets de flamme. Ces yeux pleuraient. Des larmes lentes, silencieuses et brûlantes qui s’évaporaient au feu des joues.

Pardaillan, des deux mains, s’appuya sur la garde de son épée dont la pointe s’appuyait au plancher. Il se tenait tout raide, dans une immobilité de stupeur, vivant une de ces étranges minutes qui à peine accomplies, ne laissent que le souvenir d’un rêve, comme si elles ne s’étaient pas accomplies…

Lorsque Fausta fut près de Pardaillan, palpitante, le sein soulevé par le tumulte de sa passion déchaînée, les yeux noyés d’une immense douleur, elle leva ses deux bras qu’un sculpteur eût désespéré de pouvoir jamais imiter en leur forme solide, harmonieuse, délicate et puissante…

Et ces deux bras, soudain, enveloppèrent le cou de Pardaillan… Elle se colla à lui, l’enveloppa pour ainsi dire tout entier de sa caresse… Et quand elle le tint ainsi, elle saisit sa tête à deux mains, et lentement, tandis qu’un sanglot terrible râlait dans sa gorge, elle attira cette tête à elle… Et alors, ses lèvres pâles, violemment, se posèrent sur les lèvres du chevalier…

La sensation brûlante de ce baiser fit tressaillir Pardaillan jusqu’au plus profond de l’être… mais ses lèvres, à lui, demeurèrent muettes! Il ne ferma pas les yeux: il les tint fixés, froids et insensibles, sur les yeux bouleversés de Fausta, de l’Ange devenu femme, de la vierge en qui triomphait tout à coup l’amour.

Pardaillan reçut le baiser, le violent, le délirant baiser de la vierge. Et il ne le rendit pas… Pardaillan aimait la morte! Pardaillan, jusqu’à son dernier souffle, devait aimer la morte!…

Après le baiser, Fausta, lentement, dénoua ses bras et se recula… À mesure qu’elle reculait, il semblait à Pardaillan qu’elle n’était plus la femme, l’être d’amour intense et surhumain, et qu’elle redevenait la Souveraine, la Majesté, la Sainteté…

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