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Lorsqu’elle fut loin, presque au bout de la salle, près de disparaître, elle parla. Et sa voix parvint au chevalier comme une voix lointaine, peut-être une voix d’outre-tombe ou d’outre-ciel… Et voici ce qu’elle disait:

– Pardaillan, tu vas mourir… Non parce que tu as voulu abolir mes desseins, non parce que tu t’es dressé devant ma puissance, non parce que tu m’as arraché Violetta, non parce que tu m’as combattue et vaincue… Pardaillan, tu vas mourir parce que je t’aime!…

Elle s’arrêta un instant. Le chevalier toujours immobile et raide à la même place, toujours appuyé sur sa rapière debout devant lui, la regardait, l’écoutait, et il lui semblait voir une ombre qui s’évanouit, il lui semblait entendre la musique d’un sanglot.

La voix d’ineffable douceur, mélopée d’amour et de douleur, expression magique d’une force immense, chant prestigieux d’une âme qui veut s’affranchir et consent à son propre désespoir, cette voix, qui sûrement était plus belle qu’une voix humaine, puisque Fausta, dans cette minute inouïe, s’élevait vraiment au-dessus de l’humanité; la voix reprit:

– Tu es aimé de celle qui n’a jamais aimé; ce cœur de diamant qui n’a jamais reflété que la flamme des pensées supraterrestres a reflété ton image; la vierge d’orgueil et de pureté s’est humiliée devant toi; parce que je ne dois pas aimer, l’homme que j’aime doit mourir. Pardaillan, je pleure sur toi, et je te tue. Et toi qui aimes la morte, toi qui as compris la gloire et l’harmonie de la fidélité, toi qui portes dans ton âme une morte, une morte vivante, tu comprendras le sens du baiser que la vierge a déposé sur tes lèvres. Puisque je ne suis plus seule avec moi-même dans le secret de mes pensées, puisque quelqu’un est entré malgré ma défense désespérée dans cette âme où nul ne devait pénétrer, celui que je porterai dans l’âme sera un mort, comme celle que tu portes, toi, est une morte. Adieu, Pardaillan, tu as reçu le baiser de Fausta, le baiser d’amour, c’est le baiser de mort.

À ces mots, Fausta s’éloigna encore, ondoyante et flottante comme une ombre, puis tout à coup, Pardaillan ne vit plus rien: il était seul; un silence funèbre, un silence de nuit profonde pesait sur lui, d’étranges sensations l’assaillaient: ces paroles d’un mysticisme exalté, confinant à la folie, et qu’un homme ordinaire eût prises pour des paroles de folie, il les avait comprises, lui!…

Mais Pardaillan n’était pas homme à se perdre longtemps dans le rêve. Il ne tarda donc pas à reprendre pied sur terre; c’est-à-dire qu’un frisson le secoua, dernier reste des formidables impressions qu’il venait de recevoir, et s’assurant que sa bonne rapière était toujours dans sa main, il sourit.

– Mourir! murmura-t-il. C’est bientôt dit. Madame Fausta, belle créature en vérité, et c’est dommage qu’un si beau corps renferme une telle méchanceté… m’assure que je vais être tué. Pourquoi? Parce qu’elle m’a embrassé. Par la tête et le ventre, le motif me paraît insuffisant, à moi!… Voyons, il me semble que la douzaine de fois où j’ai dû être meurtri, soit seul, soit en compagnie de monsieur mon père, j’ai toujours fait de mon mieux pour défendre ma peau… Ainsi ferai-je, cornes du diable!

Cependant, comme la solitude et le silence continuaient à être aussi absolus que possible dans cette pièce, Pardaillan commença à se demander quel genre de mort lui réservait l’étrange magicienne.

Non sans essayer du pied le plancher à chaque pas, l’œil au guet, la rapière au poing, il se dirigea vers la porte par laquelle il était entré, c’est-à-dire celle qui communiquait avec le Pressoir de fer . Il essaya de l’ouvrir; mais il n’y avait là ni serrure, ni verrou, ta porte qui s’ouvrait au moyen d’un mécanisme devait se fermer de même; Pardaillan en acquit promptement la conviction.

Alors le récit fantastique de la Roussotte lui revint en mémoire, et il leva les yeux au plafond pour voir s’il n’en descendrait pas quelque bonne corde ornée d’un bon nœud coulant. Mais il ne vit rien qui pût servir à la moindre pendaison.

«Il faut pourtant que je m’en aille.»

Et résolument, il se dirigea cette fois vers le fond de la salle, vers cette tapisserie derrière laquelle avait disparu Fausta. Il souleva la tapisserie et se vit en présence d’un couloir désert… Où aboutissait le couloir? Pardaillan l’ignorait. Mais ce silence autour de lui, cette solitude commençaient à faire passer sur sa nuque le premier frisson, avant-coureur insaisissable de la peur.

– Cordieu! murmura-t-il en avançant. Il ne sera pas dit que j’aurai attendu ici le bon plaisir de cette damnée magicienne, comme un renard dans son terrier. En avant donc, et au diable le mystère!

Il avança donc à grands pas et aboutit bientôt dans une salle déserte. Mais comme il venait d’y entrer, la porte se referma derrière lui. En même temps, à l’autre bout de la salle, une autre porte s’ouvrait…

– Il paraît que c’est par là que je dois passer, fit Pardaillan. Passons donc!

Et il continua de marcher, l’épée à la main. Il marchait dans du silence. Le palais était une solitude. Seulement, à mesure qu’il franchissait une porte, elle se refermait derrière lui. Il traversa ainsi plusieurs salles décorées avec un luxe dont il n’avait aucune idée. Mais on comprendra qu’il n’eût guère l’esprit à admirer en passant les tableaux, les statues, les vases énormes remplis de fleurs rares, les meubles précieux, les tentures dont chacune représentait une fortune. Cette marche à travers le vaste palais qu’il savait plein de gardes et où il n’apercevait pas âme qui vive, cette traversée des vastes salles silencieuses eussent affolé un cerveau moins solide que celui de Pardaillan.

Lui-même commençait à éprouver en quelque sorte une horreur pénétrante. Y avait-il danger de mort? Et où était ce danger? Et en quoi consistait-il?… Il y avait comme une menace lugubre dans ces portes qui se refermaient derrière lui, comme pour lui dire: «Tu ne repasseras plus jamais par là!…»

Et pourtant, il ne s’arrêtait pas. Tout lui semblait préférable à ce frisson qui s’emparait de lui dès qu’il séjournait. Devant lui, les portes s’ouvraient, manœuvrées par des mains invisibles, sinistre indication de la route à suivre.

– Il faudra bien que j’aboutisse quelque part! grommelait furieusement le chevalier qui pareil au prince de la légende parcourait, l’épée à la main, cette façon de palais enchanté.

Et malgré toute sa force d’âme, il éprouvait le vertige du danger inconnu. Une salle encore fut franchie, salle immense et somptueuse avec ses colonnes de jaspe… la salle du trône; puis deux ou trois pièces encore que Pardaillan traversa presque en courant, haletant, les yeux exorbités, l’angoisse au cœur, en criant à pleine voix:

– Mais tout le monde a donc peur de ma rapière, dans ce nid d’assassins!…

Pardaillan se trompait: c’est lui qui avait peur…, peur du silence, de la solitude, de l’inconnu. Brusquement, il fut rassuré. Il venait enfin de pénétrer dans une salle aux murailles nues, sinistre, coupe-gorge ou prison… mais dans cette salle, il y avait des hommes, des gens en chair et os, bâtis comme lui!… Il respira longuement et se mit à rire, tout en tombant en garde.

– Par les boyaux du diable, j’ai failli avoir peur, dit-il.

C’était pourtant le moment d’avoir peur: ces gens étaient au nombre d’une trentaine. Ils étaient armés d’épées et de poignards. Ils se tenaient debout, tout autour de la salle, contre les murs. À l’entrée de Pardaillan, aucun d’eux ne fit un geste. Et dans la minute qui suivit, il eut le temps de bien se rendre compte de sa situation. Elle était terrible.

D’abord, la porte, comme toutes les autres venait de se fermer. Ensuite au milieu, au beau milieu du plancher s’ouvrait un trou carré. Au fond de ce trou, il entendait mugir les eaux de la Seine. Enfin, tout autour de lui, des gens armés. S’il faisait un faux pas en se défendant, il tombait dans le trou. S’il bougeait en avant, en arrière, à gauche et à droite, il se heurtait aux aciers qui luisaient confusément dans cet antre à peine éclairé!… Pardaillan se trouvait en effet dans la salle des exécutions, c’est-à-dire dans cette salle même où maître Claude avait pénétré pour étrangler Violetta et la précipiter ensuite dans le fleuve, dont les flots venaient se heurter aux soubassements du palais avec un murmure confus.

Il y eut, comme nous l’avons dit, une minute de silence.

«Si je pouvais seulement m’acculer à un de ces angles!» songeait Pardaillan.

Brusquement retentit de l’autre côté des murs un bruit éclatant et prolongé, semblable au bruit que peuvent faire deux cymbales violemment heurtées l’une contre l’autre. Alors les statues adossées aux murs s’animèrent et se mirent en mouvement, les épées en garde: dans le même instant, Pardaillan se vit au centre d’un vaste cercle d’acier.

Ce cercle se resserra sans hâte. Chacun de ces hommes, l’épée nue en avant, marchait vers le trou noir qui béait. Ils ne semblaient pas voir Pardaillan, ni s’occuper de lui. Seulement, la manœuvre apparut au chevalier d’une admirable simplicité: de quelque côté qu’il se tournât, il avait une pointe sur la poitrine. C’était sûr: il allait être lardé de coups d’épées, et à force de reculer, il lui faudrait bien sauter dans le trou!…

Tout cela, Pardaillan le vit et le comprit en deux secondes.

Au moment même où les statues s’animaient et se mettaient en mouvement, il se rua en avant pour franchir le cercle d’acier, et porta devant lui deux ou trois coups de pointe. Et un frémissement de terreur le parcourut cette fois des pieds à la tête: il était sûr d’avoir touché deux de ses assaillants… de les avoir touchés à mort!… Et aucun ne tombait!…

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