XLI LE MARIAGE DE VIOLETTA (fin)
L’église Saint-Paul était à deux pas de l’hôtel de Marie Touchet. De la rue des Barrés, soit par la ruelle des Jardins, soit par la ruelle des Fauconniers et le couvent de l’Ave Maria, on aboutissait dans la rue des Prêtres-Saint-Paul, au bout de laquelle l’église dressait sa construction massive. Le duc d’Angoulême admira la prévoyance de Pardaillan, qui avait choisi cette église de préférence à toute autre.
Il n’avait aucun doute sur l’identité de la messagère. Et pourtant, avant de rentrer dans l’hôtel, il n’avait pu s’empêcher d’inspecter la rue des Barrés, à droite et à gauche. Il ne vit rien, sinon quelques ménagères, de loin en loin, et rentra convaincu que jusqu’au soir du moins, nul ne songerait à venir l’inquiéter. Le lendemain, il aurait quitté Paris pour se rendre à Orléans, quitte à reprendre ses projets contre Guise, après avoir mis en sûreté la nouvelle duchesse d’Angoulême.
Seulement, si Charles avait eu l’idée de suivre la messagère, il eût vu le laquais mettre pied à terre au coin de la rue de la Mortellerie. Et tandis que la baronne d’Aubigné continuait tranquillement son chemin, ce laquais, ayant remisé son cheval dans une auberge, venait se poster à vingt pas de l’hôtel, et s’immobilisant au fond d’un de ces nombreux angles que formaient les maisons mal alignées, demeura là, jusqu’au soir, les yeux fixés sur la porte qui s’était refermée sur le duc d’Angoulême.
Peu à peu, avant que le soir ne fût arrivé, divers autres personnages parurent dans la rue des Barrés et occupèrent des postes semblables à celui qu’avait choisi ce laquais. En sorte qu’une heure après le départ de la messagère, si Charles avait eu l’idée de sortir de l’hôtel, il n’eût pu faire dix pas soit à gauche soit à droite sans se heurter à l’une de ces statues immobiles.
Lorsque la nuit fut tombée, un étrange mouvement se produisit autour de l’église Saint-Paul. Diverses troupes, composées chacune de dix ou douze hommes, prirent position devant chacune des portes de l’église. Dans la rue Saint-Antoine, un lourd carrosse vint stationner.
Pendant que Fausta prenait ses dispositions avec sa science de la stratégie des rues, Charles et Violetta, assis l’un près de l’autre dans cette grande salle où jadis Marie Touchet et Charles IX avaient échangé de si douces paroles, continuaient à vivre de ce beau rêve d’amour où ils venaient d’entrer. Enfin, onze heures sonnèrent.
– Il est temps, dit Charles doucement.
– Allons, mon cher seigneur, répondit Violetta.
Elle était toujours vêtue de sa tunique blanche qu’elle portait sur la place de Grève. Seulement, Charles alla prendre dans une vieille armoire un grand manteau qui avait appartenu à sa mère et le lui jeta sur les épaules. Alors, il la prit par la main, et ayant simplement recommandé aux serviteurs de tenir la maison en état pour le jour prochain où il y rentrerait avec la duchesse d’Angoulême, il sortit.
Dehors, Violetta se suspendit à son bras. Et serrés l’un contre l’autre, palpitants tous deux, les yeux noyés d’extase, sans prononcer un mot, ils marchèrent vers l’église Saint-Paul.
* * * * *
Onze heures du soir!… C’était le moment où Claude et Farnèse écoutaient, dans la maison de Fausta, la sentence du tribunal secret qui les condamnait à mourir. C’était enfin le moment où la somptueuse et fantastique vision disparaissait aux yeux des condamnés, et où, livides, la gorge en feu, ils voyaient se lever devant leurs regards affolés ces spectres de la faim et la soif qu’avait évoqués Fausta.
Lorsque le panneau se fut refermé, lorsque Fausta, debout sur son trône, eut donné la bénédiction des trois doigts que donnent les papes, ceux qui l’entouraient se retirèrent lentement. Cardinaux, évêques, gentilshommes, tous sortirent. Les gardes seuls demeurèrent à leurs places, alignés, statues d’acier qui semblaient immuables.
Fausta descendit lentement de son trône et gagna une chambre à coucher dont la simplicité presque cénobitique eût stupéfait quiconque fût parvenu là après avoir visité les merveilles entassées dans ce palais. C’était sa chambre, à elle. Nul n’y pénétrait. Myrthis et Léa, ses deux suivantes, étaient les seules qui eussent permission d’y entrer.
Elles étaient là, attendant leur souveraine. Elles la déshabillèrent du splendide costume qu’elle portait. Et alors elle revêtit ces mêmes vêtements de gentilhomme sous lesquels elle s’était présentée à l’hôtel de la rue des Barrés. Alors elle se rendit dans cette salle élégante qui pouvait passer pour le boudoir d’une jolie femme. Un homme était là qui attendait, assis, et qui à l’entrée de Fausta se leva vivement et s’inclina.
– Êtes-vous prêt à tout ce que nous avons convenu ce soir? demanda Fausta.
– Je suis prêt, madame, répondit l’homme d’une voix où tremblait une émotion – crainte ou espérance.
– Venez donc, alors!…
Ils sortirent ensemble du palais de la Cité. Dehors attendait une escorte d’une vingtaine de cavaliers. Fausta monta à cheval et, se mettant en route, fit signe à l’homme de marcher près d’elle. Et ils se mirent à parler à voix basse. La troupe, avec Fausta et l’homme en tête, se dirigea du côté de la rue Saint-Antoine après être sortie de la Cité.
Cet homme qui attendait Fausta, qui venait de monter à cheval et se tenait près d’elle, c’était le sire de Maurevert.
* * * * *
Charles et Violetta arrivèrent à l’église par la rue des Prêtres-Saint-Paul, au moment où la demie de onze heures tombait dans la nuit des temps. Un instant, les vibrations sonores de la cloche gémirent dans l’air calme, puis tout retomba à cet énorme silence du Paris nocturne d’alors.
Charles, dans le court trajet de la rue des Barrés à l’église Saint-Paul, avait bien entrevu des ombres se glissant au long des murs, apparaissant pour disparaître aussitôt; mais il avait pensé que c’étaient des tire-laine, gens peu redoutables pour un homme bien décidé, et il s’était contenté d’assurer dans sa main le manche de sa bonne dague. Quant à Violetta, elle n’avait rien vu, rien entendu. Suspendue au bras de son fiancé, elle eût traversé sans s’en apercevoir une légion de démons.
Devant la porte de l’église, Charles s’arrêta et regarda autour de lui, non qu’il eût quelque soupçon ou qu’il craignît une attaque, mais pour voir s’il n’apercevrait pas ceux qui l’attendaient. Il ne vit personne. Mais il s’aperçut aussitôt que la porte était entrouverte. Donc, on l’attendait à l’intérieur.
– Entrons! murmura-t-il palpitant.
Ils entrèrent. L’église était vaguement éclairée par deux cierges allumés au maître-autel. Près du chœur, il entrevit alors trois hommes debout qui, formés en groupe, semblaient attendre en causant entre eux.
– Les voici! dit Charles.
– Mon père? demanda Violetta.
– Oui, votre père, chère âme… et voici… oh! voici le prêtre qui va nous unir…
Ils frissonnèrent tous deux longuement et se serrèrent l’un contre l’autre, dans une douce étreinte, arrêtés près de la porte en cette minute de ravissement et de pur bonheur. Le prêtre revêtu de ses ornements venait en effet d’apparaître, suivi de deux autres prêtres en surplis.
– Allons, mon cher seigneur, dit Violetta.
– Oui, car voici minuit qui va sonner bientôt… voici l’heure où nous allons nous unir pour l’éternité…
Ils s’avancèrent lentement vers le chœur.
À mesure qu’ils avançaient, un étrange mouvement se produisait dans l’église. Des chapelles latérales noyées d’obscurité, de tous les recoins ténébreux sortaient des hommes qui, silencieusement, se mettaient à marcher derrière le couple. Bientôt, ces inconnus furent au nombre d’une trentaine et, enveloppés dans leurs manteaux, la main sur la garde de leurs épées, ils semblaient une escorte rassemblée pour le mariage secret d’un prince.
Charles et Violetta, les yeux fixés sur les trois hommes qui attendaient dans le chœur, s’avançaient en souriant. Tout à coup Charles tressaillit, et ses yeux hagards dardèrent un regard de stupéfaction et de terreur sur ceux qu’il croyait être ses amis…
Ces trois inconnus venaient de laisser tomber leurs manteaux… Et ce n’était pas Pardaillan! Ce n’était pas Farnèse! Ce n’était pas Claude!…
Dans le même instant Charles reconnut deux de ces hommes: il les avait vus en quelques circonstances, notamment au moulin de la butte Saint-Roch: c’étaient Maineville et Bussi-Leclerc. Quant au troisième, il portait un masque.
D’un mouvement instinctif, Charles entoura Violetta de son bras gauche, tandis que de la main droite il dégainait son poignard. Au même moment, la jeune fille jeta un cri d’épouvante. Elle aussi venait de regarder les trois hommes. Immobiles, graves, sans un geste, ils semblaient d’ailleurs n’avoir aucune mauvaise intention.
– Ne craignez rien, chère âme, dit rapidement Charles.
– Je n’ai pas peur, dit Violetta en se serrant contre lui.
Charles, alors, contempla un instant ces trois statues immobiles qui le regardaient sans parler.